- Si l’attention de la population mondiale se concentre actuellement sur la pandémie de COVID-19 et les autres maladies zoonotiques qui se transmettent de l’animal à l’homme, les maladies qui franchissent la barrière des espèces se transmettent aussi des hommes et des animaux domestiques aux espèces sauvages.
- Les altérations anthropiques de la planète – la destruction des forêts, le commerce légal et illégal de la faune, le changement climatique et autres perturbations – accentuent les interactions contre nature entre les espèces et favorisent les mutations des maladies et l’infection de nouveaux hôtes.
- Les maladies infectieuses représentent une menace sérieuse pour les tigres, les chimpanzés, les loups d’Éthiopie, les lycaons (chiens sauvages d’Afrique) et autres espèces en danger. Les maladies virales transmises par les humains, le bétail et les animaux domestiques pourraient porter le coup de grâce aux espèces déjà menacées d’extinction.
- La stratégie One Health (une seule santé), selon laquelle la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes sont interconnectées et interdépendantes, gagne du terrain – la protection de la planète est devenue une préoccupation de taille pour la santé de tous.
C’est en observant une tigresse nommée Galia, décharnée et se déplaçant d’un pas chancelant, que des chercheurs de l’Extrême-Orient russe ont été alertés. Galia, puis d’autres tigres de Sibérie (Panthera tigris altaica) vivant à l’état sauvage ont été aperçus errant affamés et le regard hagard dans des villages et sur des routes sans manifestation de signes de peur à l’égard des humains – comportement extrêmement anormal pour ce félin habituellement prudent et méfiant.
Lorsque le biologiste et expert en tigres Dale Miquelle a mené son étude, il a associé ces mystérieux problèmes neurologiques aux symptômes de la maladie de Carré,une maladie virale extrêmement contagieuse présente à l’échelle mondiale, que les tigres avaient probablement contractée en se nourrissant de chiens sauvages contaminés ou d’autres hôtes porteurs du virus, tels que des martres ou des loups. Galia et d’autres animaux ont été retrouvés morts peu après.
La pandémie de COVID-19 nous a rappelé que de nombreux agents pathogènes sont zoonotiques, c’est à dire qu’ils peuvent se transmettre d’une espèce à l’autre. Aujourd’hui, la communauté internationale se concentre sur les virus transmis par la faune qui mutent pour contaminer les humains, le bétail et les animaux de compagnie. « Mais de nombreux agents pathogènes progressent à grands pas dans l’autre direction, à savoir des hommes et des animaux domestiques vers la faune », a averti Steve Osofsky, directeur du Cornell Wildlife Health Center (centre d’études spécialisé dans la santé des espèces sauvages) à Ithaca, dans l’État de New York.
Peu de gens ont conscience que les déplacements d’hommes, de vaches, de porcs, de poules ou de chiens vers – ou à proximité d’– une zone naturelle peut accélérer la disparition des espèces en danger. La maladie de Carré est un exemple d’épidémies particulièrement alarmantes : Elle a considérablement augmenté le risque de voir les 500 derniers tigres de Sibérie disparaitre à jamais dans les 50 prochaines années.
« Il existe pourtant une cause sous-jacente étonnement simple », a expliqué Osofsky : « C’est la relation que nous avons brisée avec la nature sauvage et cette arrogance de nous croire indépendants des autres formes de vie sur Terre. »
L’activité humainealtère rapidement la quasi-totalité des systèmes naturels sur Terre, et d’une manière si radicale que nous avons même atteint une nouvelle ère géologique, l’Anthropocene. De nombreux changements d’origine humaine – allant de la déforestation sauvage, de l’agriculture industrielle et du commerce international aux voyages internationaux, au trafic d’espèces sauvages et aux changements climatiques – ont contribué à la propagation des maladies.
Ces activités mettent en contact les hommes et le bétail avec la vie sauvage, et les exposent tous à des bactéries et à des virus contre lesquels ils ne sont pas immunisés. Dans un contexte de réchauffement climatique, les moustiques, les tiques et autres porteurs de maladies parasitaires élargissent leur aire de répartition et transportent avec eux des maladies mortelles et débilitantes. Ces changements provoquent l’émergence de nouvelles maladies, propagent les maladies existantes vers de nouvelles zones et augmentent les risques d’épidémies. Dans le futur, de nouvelles maladies pourraient entrainer d’autres conséquences imprévues, telles que des pandémies touchant des écosystèmes entiers.
La vie dans un monde viral et bactérien
Les chercheurs estiment que mis bout à bout, les virus pourraient s’étendre sur 100 millions d’années-lumière. Beaucoup de maladies sont d’origine animale, et leur hôte ne manifeste parfois aucun symptôme. De nombreuses maladies graves ont franchi la barrière des espèces pour déclencher des épidémies humaines ou des pandémies, dont la peste bubonique, la grippe, le paludisme, le virus Ebola, le VIH, la variole, la tuberculose, la maladie de Lyme, la COVID-19, et plus encore.
« Près de 70 % des agents pathogènes émergents et ré-émergents sont des maladies zoonotiques (ou zoonoses), et nous ignorons quand la prochaine menace – la prochaine maladie X – émergera », a déclaré le directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) lors d’un congrès mondial sur la santé animale un peu plus tôt dans l’année.
Il existerait actuellement environ 1,7 million de virus inconnus (non découverts) chez les mammifères et les oiseaux, d’après un récent rapport intitulé “‘Échapper à l’ère des pandémies’”. Ils ont tous besoin d’un hôte animal ou humain pour se reproduire, se propager et survivre. La plupart des nouvelles zoonoses infectieuses ont émergé dans les régions tropicales, des zones qui abritent une grande variété d’espèces sauvages, hôtes de nombreux pathogènes. La Chine, l’Asie du Sud-Est, l’Inde et certaines régions d’Afrique sont les principaux foyers des zoonoses.
Les maladies font partie du milieu naturel. Les virus et les bactéries sont présents au cœur des écosystèmes dans un environnement sain et varié, au sein duquel les résidents autochtones ont su développer des défenses naturelles en vue de prévenir des taux élevés d’infection et de mortalité aux effets dévastateurs. Les écosystèmes en bon état de conservation préservent l’équilibre de la biodiversité : la riche toile de la vie, où tous les systèmes vivants sont interdépendants, est notamment très développée dans les forêts tropicales. Rick Ostfeld, spécialiste des maladies infectieuses au Cary Institute of Ecosystem Studies (Institut Cary des études des écosystèmes) à Millbrook dans l’État de New York, a déclaré qu’elle permettait normalement de garder le contrôle sur les hôtes des maladies, comme les rongeurs, par exemple.
Ce n’est pas le cas des zones où les humains ont anéanti les populations d’espèces animales indigènes, introduit des espèces invasives, morcelé ou détruit des terres sauvages, ou déplacé des animaux domestiques à proximité immédiate des espèces sauvages.
Chris Walzer, vétérinaire et directeur général de la santé auprès de la Société pour la conservation de la vie sauvage (Wildlife Conversation Society en anglais, WCS) dans le quartier du Bronx à New York, a souligné que les paysages perturbés représentaient généralement le plus grand danger lors des nouvelles pandémies. Quand les hommes s’installent avec leur bétail et leurs chiens au sein des zones précédemment sauvages, il se créé une interaction contre nature qui facilite l’échange de nouveaux agents pathogènes infectieux entre les hommes et les animaux. Cette cohabitation donne lieu à des conditions parfaites pour la mutation des maladies et leur propagation parmi de nouvelles espèces : elles peuvent se transmettre des animaux aux hommes – ou des hommes aux animaux.
Certains virus, comme la variole ou l’herpès, se transmettent rarement d’une espèce à l’autre. Billy Karesh, vice président-directeur en matière de politique sanitaire pour l’ONG EcoHealth Alliance basée à New York, a indiqué que d’autres virus s’adaptaient facilement à leur environnement et qu’ils pouvaient potentiellement infecter un très grand nombre d’hôtes. La rage est connue pour avoir l’une des plus grandes capacités d’adaptation parmi tous les virus. Elle se transmet par la morsure de l’une des 170 espèces de mammifères, dont l’homme, et a été recensée sur chacun des continents, hormis l’Antarctique. Sans traitement, l’inflammation cérébrale est toujours mortelle.
Nous manquons encore de données historiques concernant certaines zoonoses, telles que la maladie de Carré. Les chercheurs ignorent notamment si les grands félins ont toujours été vulnérables. Dans un journal paru en 1950, un article indiquait que deux lionceaux avaient été contaminés par un cocker. Entre 1991 et 1992, la maladie a dévasté la ménagerie Wildlife Waystation, maintenant fermée, tuant 17 léopards, tigres et lions ainsi qu’un jaguar. Les biologistes ne se sont aperçus de la menace causée par la maladie de Carré – et par les chiens errants – sur la conservation des espèces que lorsqu’une épidémie a frappé les lions (Panthera leo) du parc national de Seregenti en 1994. Environ 1 000 individus ont succombé à la maladie, soit un tiers de la population du parc national tanzanien.
La maladie de Carré a également massivement frappé d’autres espèces. Le virus a tué quelque 10 000 phoques de la mer Caspienne (Phoca caspica), a presque exterminé les putois à pieds noirs (Mustela nigripes) aux États-Unis, et le loup d’Éthiopie (Canis simensis) en Afrique, et a causé la disparition de meutes entières de chiens sauvages africains (Lycaon pictus) en danger critique d’extinction. En 2018, la maladie s’est propagée au sein des 600 derniers lions d’Asie (Panthera leo leo). On retrouve la dernière population aujourd’hui exclusivement au sein d’une parcelle de forêt de l’État de Gujarat, en Inde ; une seule épidémie ou une autre catastrophe pourrait la décimer à jamais.
La pandémie de COVID-19 n’a pas uniquement attaqué l’espèce humaine, elle a également contaminé les animaux. Aux États-Unis seuls, les visons d’élevage, les pumas, les gorilles, les loutres, les léopards des neiges et autres espèces ont été diagnostiqués porteurs de la maladie, selon les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies. En septembre dernier, les grands félins du zoo national de Washington – six lions africains, un tigre du Sumatra et deux tigres de Sibérie – ont tous été testés positifs au virus. Les animaux à risque reçoivent maintenant des vaccins pour animaux développés par Zoetis, un laboratoire médical mondial spécialisé dans la santé animale.
Promotion d’une approche One Health
Walzer a souligné que les vétérinaires avaient toujours été parfaitement conscients de la transmission des maladies des humains aux animaux et des animaux aux humains. Cela fait partie de leurs connaissances primaires. Il a précisé que les vétérinaires savaient que les éleveurs pouvaient être contaminés par leurs porcs ou leurs vaches. Ils diagnostiquent régulièrement des maladies qui se transmettent entre espèces, contaminées parfois par des vecteurs, tels les tiques, les moustiques ou les puces. Et il a ajouté qu’ils savaient pertinemment que la santé des animaux et des hommes était étroitement liée à celle de l’environnement.
Ce concept – nommé One Health, Santé planétaire, ou Santé environnementale — a gagné une reconnaissance croissante au cours des vingt dernières années chez un large éventail d’experts, allant des professionnels de la médecine et de la santé publique aux économistes, travaillant en coopération avec les gouvernements, les ONG, l’OMS, les Nations unies et autres organisations internationales.
Mais les vétérinaires et les spécialistes de la conservation demeurent les rares personnes à explicitement reconnaitre la répercussion potentiellement désastreuse des maladies zoonotiques, à savoir l’extinction. Une épidémie dévastatrice pourrait être fatale pour les espèces déjà menacées.
Le tamarin lion doré (Leontopithecus rosalia), en danger critique d’extinction, en est un bon exemple. Dans les années 1980, la population à l’état sauvage de ce primate endémique de la forêt atlantique du Brésil ne s’élevait qu’à quelques centaines d’individus. Puis, elle est passée à 3 700 en 2014, grâce à l’intensification des efforts de conservation. Mais, en 2018, les tamarins ont été frappés par une épidémie régionale de fièvre jaune et un tiers de la population a été décimée en une seule année. Le vaccin contre la fièvre jaune administré aux hommes a ensuite été testé avec succès sur les tamarins en captivité, offrant un nouveau souffle à l’espèce. Les biologistes prévoient de vacciner 500 des animaux. Le programme a toutefois pris du retard : les scientifiques craignent de contaminer les singes avec la COVID-19.
Osofsky a rapporté qu’un autre cas de déclins spectaculaires des populations d’espèces iconiques dû à la propagation de maladies avait été identifié en Afrique – mais d’une nature différente de ce que l’on pourrait l’imaginer. Dans les années 1950, les éleveurs avaient commencé à ériger des clôtures pour protéger leurs troupeaux du buffle d’Afrique, porteur du virus extrêmement contagieux de la fièvre aphteuse. Ces clôtures, bloquant d’anciennes routes migratoires, rendaient l’accès aux pâturages saisonniers et aux points d’eau fraîche impossible. Osofsky a personnellement observé ce qu’il appelle « un conflit tragique et coûteux entre l’élevage et la faune sauvage » quand il a travaillé en tant que premier vétérinaire en charge de la faune sauvage au Botswana au début des années 1990. « Des centaines de milliers, si ce n’est des millions, d’animaux sauvages sont morts à cause de ces clôtures », a-t-il déclaré, notamment des gnous et autres antilopes, des girafes et des zèbres.
Les marchés d’animaux sauvages représentent encore un autre important moyen de transmission de maladies entre les hommes et la faune, a fait observer Debbie Banks, experte en criminalités liées aux espèces sauvages et travaillant pour l’Agence d’enquête environnementale basée à Londres. Chaque année, des millions d’animaux sont capturés dans la nature, légalement et illégalement, ou élevés dans des « fermes pour espèces sauvages ». « Ces animaux vivants ou des parties de leurs corps sont ensuite expédiés dans le monde entier », a-t-elle ajouté. Ce trafic international lucratif d’espèces sauvages est animé par une demande croissante en médecine traditionnelle chinoise, en viande de brousse, en fourrure, en ornements, en bijoux, et autres produits.
Bon nombre de ces animaux sont vendus vivants sur les marchés. Ils se retrouvent confinés les uns avec les autres dans des conditions d’hygiène déplorables – une cacophonie d’animaux sauvages entre cochons et volailles. Ils partagent tous leurs microbes les uns avec les autres. Ces marchés représentent des terrains parfaits pour la transmission de nouvelles maladies à d’autres espèces ou pour la propagation de maladies déjà existantes.
« Les agents pathogènes se moquent de savoir s’ils ont été transmis par un animal légalement ou illégalement vendu », a fait remarquer Debbie Banks.
Chris Shepherd, directeur général de Monitor, une organisation à but non lucratif qui concentre ses efforts sur la lutte contre le trafic d’espèces sauvages a indiqué que le commerce légal minimisait le commerce illégal, et que l’élevage industriel intensif d’animaux sauvages présentait également un risque élevé. La pandémie de COVID-19 en est un exemple récent. Au début du mois de janvier 2021, le virus s’est rapidement propagé dans au minimum 400 élevages industriels de visons à travers 10 pays. Les animaux avaient été contaminés par les employés de l’exploitation. Il semble que dans certaines exploitations les visons avaient retransmis le virus à leurs éleveurs. Les experts craignent que de nouveaux variants de COVID-19 n’émergent à mesure que la maladie continue de se transmettre d’une espèce à l’autre.
Franchissement de la barrière des espèces : du bétail à la faune
Karesh, qui est également vétérinaire, a déclaré que les maladies des cheptels qui contaminaient la faune sauvage représentaient un problème de conservation majeur. Certaines entrainent des épidémies catastrophiques. En 2017, des chèvres qui avaient partagé des pâturages avec des antilopes saïga (Saiga tatarica mongolica) dans l’Ouest de la Mongolie y avaient propagé une maladie mortelle, la peste des petits ruminants (PPR). En quatre mois, le virus avait dévasté la population, qui était passée d’environ 25 699 individus en janvier 2017 à 8 806 en mai de la même année, selon les estimations recueillies.
À l’instar des pandémies humaines, certaines maladies animales se sont propagées à travers les continents, de la faune vers le bétail et du bétail vers la faune. Karesh a précisé que la peste porcine africaine était d’ailleurs un exemple récent et extrêmement préoccupant. Ce virus hémorragique incurable, hautement contagieux, est véhiculé par le phacochère d’Afrique (Phacochoerus africanus) et le potamochère du Cap (Potamochoerus larvatus) qui, eux, ne développent aucun symptôme de la maladie. Le virus n’est pas transmissible à l’homme. Mais chez les porcs d’élevage, il est mortel.
En 2007, le virus s’est déplacé hors de l’Afrique subsaharienne pour atteindre la Géorgie, puis l’Europe. Là, il a contaminé et tué porcs d’élevage et sangliers. Depuis, la peste porcine africaine s’est répandue à travers la Russie et a frappé la Chine en 2018, où plus de 300 millions de porcs d’élevage ont succombé au virus mortel ou ont été abattus, ayant un effet dévastateur pour la filière et réduisant une source de protéine essentielle.
Le virus s’est maintenant introduit en Asie du Sud-Est menaçant 11 espèces de porcs sauvages extrêmement uniques. Si l’épidémie continue de s’y propager, elle pourrait bien accélérer la disparition de ces porcs sauvages, qui sont déjà très peu nombreux et ont une aire de répartition déjà très restreinte, et entrainer des répercussions destructrices en cascade sur l’écosystème.
Ces porcs sauvages sont des ingénieurs de l’écosystème : ils labourent le sol et, ainsi, facilitent et contrôlent la plantation de forêts et la croissance des arbres. En tant que proies, ils contribuent à la survie des prédateurs en danger critique d’extinction, notamment le tigre de Sumatra (Panthera tigris sumatrae) et la panthère de Java (Panthera pardus melas) en Indonésie. Sans porcs sauvages pour satisfaire leur appétit, les grands félins se déplacent vers les villages et se ruent sur le bétail. Ils finissent généralement par trouver la mort – victimes alors d’une escalade d’évènements qui avait débuté par la peste porcine en Afrique.
Karesh a expliqué qu’il ne s’agissait que d’une des innombrables zoonoses transmissibles de l’animal à l’homme et réciproquement, car au fur et à mesure que la faune sauvage contracte l’un virus des animaux domestiques, elle le retransmet ensuite à ces espèces domestiques. Autre exemple : le virus de Newcastle, hautement contagieux, qui a été diagnostiqué chez plus de 240 espèces de volatiles, des dindes et des canards sauvages aux autruches et à la volaille d’élevage.
Il existe aussi des dommages collatéraux pour la communauté naturelle à la suite des cas de mortalité causés par un virus ou une bactérie. La perte d’espèces, dites « clés de voûte » – les semeurs de graines, les prédateurs ou les proies – risque de s’étendre à l’ensemble des écosystèmes.
Franchissement de la barrière des espèces : des hommes à la faune
Environ deux tiers des maladies humaines sont d’origine animale, mais elles sont aussi contagieuses pour les hommes. Nos plus proches parents, les chimpanzés, les gorilles et autres primates sont des espèces particulièrement vulnérables. Ils partagent environ 97 % de notre constitution génétique. Un simple rhume peut tuer un gorille.
La plus grande menace pour les chimpanzés du parc national de Gombe en Tanzanie, rendu célèbre par la chercheuse Jane Goodall, est la propagation d’une maladie. En 1966, pendant ses études, une épidémie de polio avait frappé les chimpanzés de Gombe. Plus tard, ils avaient essuyé des épisodes de grippe et de pneumonie. Tous assez fatals, responsables de 35 % des cas de mortalités entre 1960 et 2007. Goodall s’est déclarée inquiète par rapport à l’état de santé des chimpanzés en raison des touristes autorisés à visiter le camp.
Pour le gorille des montagnes (Gorilla beringei beringei), le risque est également très élevé. Selon les estimations, il resterait 1 063 individus en vie dans le massif africain des Virunga. Ils sont régulièrement exposés aux contacts avec les gardiens du parc qui veillent à leur protection, aux écotouristes, et, occasionnellement, aux braconniers. Ces grands singes ont subi des vagues de virus respiratoires humains, généralement transmis par des touristes qui s’aventurent un peu trop près et ne respectent pas la distance de sécurité de 7 mètres.
Les hommes ont aussi propagé la tuberculose en toussant ou éternuant auprès des orangs-outans et d’autres grands singes. Les éléphants en captivité ont eux aussi attrapé la souche humaine du virus, et peuvent nous la retransmettre à leur tour. Chez les éléphants d’Asie, la tuberculose est une maladie débilitante chronique.
Moustiques, tiques et puces
Les insectes hématophages sont porteurs d’innombrables agents pathogènes qui contaminent la faune. Les moustiques sont notamment porteurs de la fièvre jaune selvatique qui contamine les singes. En Afrique, d’où elle est originaire, les simiens ont évolué avec la maladie, ils ne tombent donc pas réellement malades. Le virus a probablement été introduit sur le continent américain par les navires d’esclaves dans les années 1600. Il continue d’y décimer les populations de singes hurleurs (Alouatta guariba clamitans), dont certaines sous-espèces sont en danger d’extinction, et menace également les tamarins lions dorés.
La région métropolitaine de New York est devenue le point zéro pour une autre maladie transmise par les moustiques lorsque le premier cas du virus Nil occidental a été diagnostiqué en 1999. La maladie avait été identifiée en Ouganda six décennies plus tôt. Dans les années précédant son arrivée à New York, des millions d’oiseaux avaient trouvé la mort au fur et à mesure que le virus avait progressé à travers les États-Unis, vers le Mexique et les Caraïbes. D’après les données des Centres américains de contrôle et de prévention 412 espèces d’oiseaux ont été testés positifs aux tests du virus Nil occidental. Un vaccin développé pour les condors de Californie, en danger critique, pourrait avoir sauvé des espèces d’oiseaux rares de l’extinction.
La bactérie qui a tué des millions de personnes pendant la « peste noire » à l’époque médiévale en Europe a également frappé le royaume des animaux. La peste bubonique, propagée par les piqûres de puces, peut être fatale pour les félins iconiques, notamment pour le lion de montagne (Puma concolor), le lynx roux (Lynx rufus) et le lynx canadien (Lynx canadensis), ainsi que pour le chien de prairie et d’autres espèces sauvages.
One Health est « dans l’intérêt de tous »
Pendant des décennies, les épidémiologistes, les spécialistes de la conservation et autres experts ont mis en garde contre la perturbation des systèmes naturels de notre planète, soulignant qu’elle pourrait avoir des effets délétères sur la santé au niveau mondial. Si l’on ajoute les risques d’épidémies à toutes les menaces qui pèsent déjà sur les espèces sauvages, telles que la dégradation de leur habitat, la réduction du gibier, le braconnage et le changement climatique, on risque d’accélérer rapidement leur extinction.
La stratégie One Health (une seule santé), selon laquelle la santé humaine, la santé animale et la santé des écosystèmes sont interconnectées et interdépendantes, gagne du terrain – la protection de la planète est devenue une préoccupation de taille pour la santé de tous.
La pandémie actuelle l’a d’ailleurs placée sur le devant de la scène, interpelant l’attention du public d’une manière nouvelle, a indiqué Walzer de WCS. « Tout le monde a conscience de la gravité des conséquences et de l’ampleur des impacts. Il existe donc une chance pour que des actions soient réellement prises maintenant. »
Osofsky a souligné qu’une prise d’action rapide était « dans l’intérêt de tous, ce qui est évidemment une bonne motivation pour mieux protéger notre environnement proche – et la planète. »
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Image de bannière : Tigre de Sibérie femelle (Panthera tigris altaica) et son petit au Buffalo zoo (New York). Photo de Dave Pape via Wikimedia Commons (Domaine public).
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/10/in-harms-way-our-actions-put-people-and-wildlife-at-risk-of-disease/