- La réserve de faune et flore du parc de Nyungwe, au Rwanda, continue de subir de fortes pressions anthropiques.
- Les incendies de forêt causés essentiellement par l’activité humaine qu'au cours des dernières périodes ont été de plus en plus fréquents et intenses suite au réchauffement climatique
- Les institutions et les ONG de conservation de la nature aident les populations riveraines de la forêt naturelle de Nyungwe par la promotion de l’apiculture écologique
- Le changement d’attitude et de comportement par les communautés visant autour du parc à l’égard de l’utilisation du feu et du brûlage reste indispensable
Chaque matin, Jonathan Bihibindi, un agriculteur de Nyakabuye, petit village rural isolé à proximité de la forêt de Nyungwe située au sud-ouest du Rwanda, faisait tout son possible pour échapper à la vigilance et à une surveillance constante des gardes forestiers et des autorités administratives locales, pour inspecter les ruches qu’il exploitait au milieu de cette réserve naturelle. « Auparavant, j’étais un apiculteur traditionnel et mes abeilles produisaient alors du miel dans le creux d’un tronc d’arbre au milieu du parc », dit Bihibindi qui a, depuis lors, abandonné cette activité pour s’adonner à l’élevage.
Bihibindi se rappelle qu’avant même son récent morcellement à cause des activités humaines, la réserve de Cyamudongo était entièrement reliée au Parc national de Nyungwe.
Dans ce village isolé à proximité de la frontière avec la République Démocratique du Congo (RDC), la plupart des paysans récolteurs de miel faisaient recours au feu, seule technique à leur portée, ce qui entraine parfois des incendies dans le parc.
Cyamudongo est devenue récemment l’un des refuges pour les animaux ayant échappé aux flammes, suite à plusieurs incendies répétés ayant ravagé, au mois d’aout 2023, une vingtaine d’hectares dans cette réserve naturelle.
Les incendies incontrôlés, selon les responsables du parc sont fréquents pendant la principale saison sèche s’étend de juin à août aux alentours de cette réserve naturelle, détruisant de vastes étendues de zones boisées.
Alors que de nombreux incendies sont allumés intentionnellement pour défricher des terres pour l’agriculture et les mauvaises pratiques apicoles autour de la réserve naturelle de Nyungwe, Protais Niyigaba, responsable du parc affirme que des initiatives éducatives restent essentielles pour réduire les risques et pour assurer une réaction adéquate face aux incendies récurrents.
Même son de cloche chez Jean Damascène Gashumba, coordinateur de Rural Environment and Development Organization (REDO), une ONG rwandaise qui travaille avec les communautés locales vivant autour du parc de Nyungwe.
« L’implication des communautés locales reste primordiale pour prévenir et lutter contre les incendies récurrents de forêt », dit-il à Mongabay face, selon lui, toujours aux fortes pressions anthropiques que subissent cette réserve de faune et de flore.
Apiculture écologique
Pour mieux lutter contre ces incendies, les acteurs clés de la conservation tablent, depuis lors, sur des initiatives communautaires à petite échelle et qui commencent à prospérer, malgré les résistances de certains individus parmi la population locale.
Parmi ces initiatives, figurent les bonnes pratiques agricoles dans la conservation des sols, et l’apiculture écologique notamment
Concrètement, les apiculteurs organisés au sein des coopératives sont formés aux différentes techniques pour combattre les feux de brousse et de forêt, notamment les techniques de piégeage des ruches.
Par exemple, Médiatrice Mukantwari, responsable d’ « Ubwiza Bwa Nyungwe » (les merveilles de Nyungwe, en langue Kinyarwanda), une coopérative regroupant une centaine d’apiculteurs à Nyamagabe, un district montagneux situé autour du parc de Nyungwe, affirme que les conditions de vie des communautés se sont améliorées grâce à l’apiculture écologique.
Mukantwari travaille désormais dans la mobilisation des communautés locales pour la prévention des feux de brousse.
« Grace aux pratiques alternatives d’une apiculture écologique, les communautés locales comprennent désormais les effets néfastes des feux de brousse sur la végétation et la faune protégées à l’intérieur du parc », dit Mukantwari à Mongabay.
Le Parc national de Nyungwe abrite exclusivement au Rwanda les éperviers à cuisses rouges (Accipiter erythronemius) ainsi que plusieurs espèces d’oiseaux endémiques, mais les incendies répétitives provoquées par les chasseurs de miel, représentent, aux yeux des responsables du parc, un grand danger pour la perte de la biodiversité.
Les estimations de l’ONG Wildlife Conservation Society (WCS) montrent que, depuis 1997, les incendies ont détruit plus de 12 % des forêts de Nyungwe. Dans de nombreux cas, les incendies ont été déclenchés accidentellement par des personnes utilisant la fumée pour récolter du miel.
« Il y a encore plusieurs membres de la communauté qui dépendent toujours des abeilles pour leurs moyens de subsistance grâce à l’apiculture traditionnelle », affirme Bihibindi qui s’est investi depuis lors dans des activités à valeur ajoutée dans la filière de l’élevage.
Mais depuis que WCS et ses partenaires ont commencé à organiser les apiculteurs locaux, au moins 13 coopératives d’apiculteurs légalement enregistrées et opérant autour de Nyungwe ont vu le jour, regroupant plus de 1 300 apiculteurs, dont beaucoup récoltaient autrefois du miel illégalement dans le parc.
Daniel Ndamyimana, secrétaire exécutif du secteur de Bweyeye, l’un des centres les plus reculés et les plus isolés situés à la périphérie de la forêt de Nyungwe, soutient que l’intensité des feux de forêt dans cette réserve a été réduit grâce à des approches initiées en étroite collaboration avec les communautés locales.
« La sensibilisation des communautés locales est devenue essentielle pour une prévention effective », a-t-il confié à Mongabay.
Sur un total de 101,900 hectares, soit l’étendue de 123 515 terrains de football, les experts affirment qu’une superficie représentant 12 % de la superficie totale de cette réserve naturelle, a été ravagée par les incendies sauvages dans la réserve de Nyungwe.
Au-delà des feux de forêt ainsi que de l’expansion des activités agricoles et d’autres formes de conversion des terres, qui figurent parmi les menaces persistantes sur cette réserve naturelle, Concorde Nsengumuremyi, Directeur général de l’Autorité forestière du Rwanda (RFA), estime que la conservation de Nyungwe pourrait éviter des crises de l’eau dans de nombreux pays.
« La restauration des forêts dans cette réserve et une gestion responsable par la population locale qui s’adonnait autrefois au braconnage, offrent des solutions alternatives face à ces crises en restaurant les habitats», a affirmé Dr Nsengumuremyi dans un point de presse sur les mesures prises par le gouvernement en aout 2023, dans la lutte contre les incendies incontrôlés au milieu du parc de Nyungwe.
Pour l’instant, les garde-forestiers du parc travaillent ensemble avec les autorités administratives locales dans des régions situées aux alentours du parc, pour pérenniser ces efforts de conservation, mais des problèmes persistent toujours avec les incursions de la population locale dans les aires protégées.
Si Bihibindi a décidé d’abandonner le braconnage pour s’adonner à l’élevage, grâce à cette campagne de sensibilisation communautaire en cours, sa voisine Cecilia Mukagasana souligne la nécessité de mettre en place des mesures incitatives pour les collectivités qui signalent et préviennent des actes illégaux au milieu du parc.
Mukagasana, propriétaire d’un petit commerce au marché de Bweyeye, situé à proximité de la forêt de Nyungwe, soutient l’idée que le manque d’activités génératrices de revenus pour certains membres de la communauté locale serait la cause des incendies de forêt dans cette réserve naturelle.
Des solutions à long terme
Depuis 2004, plusieurs projets communautaires aux alentours des 4 parcs nationaux existants au Rwanda, ont été financés par les revenus issus du tourisme, en vue de contribuer à la résolution de conflits les populations riveraines.
Le gouvernement rwandais contribue jusqu’ici, avec 10 % de ces revenus touristiques, en faveur de ces communautés vivant autour des parcs nationaux, ce qui permet de stimuler leur développement socio-économique.
Alors que les bénéficiaires de projets reconnaissent que les infrastructures dont des écoles et autres contribuent au développement socio-économique de leurs villages, toutefois, certains déplorent que les projets financés restent insignifiants au regard de la pauvreté qui règne dans cette zone.
Mukagasana explique que les braconniers exploitaient le miel de la forêt sans outils modernes, ce qui provoquait des incendies de forêt, car ils brûlaient d’abord l’espace qui recouvrait le miel. Elle a ajouté que d’autres braconniers pouvaient chasser les animaux et porter atteinte à la biodiversité.
« Il faudrait que les acteurs de la conservation trouvent des solutions à long terme, car cette forêt constitue une source de revenus pour la population riveraine », dit Mukagasana.
Image de bannière : Un essaim d’abeilles. Les abeilles semblent se tenir « la main » juste pour s’accrocher. Image de Karen Hall via Flickr (CC BY-NC 2.0).
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.