- Depuis l’Accord de Paris sur le climat de 2015, les pays pauvres et vulnérables plaident pour que les pays riches et industrialisés (responsables de la majeure partie des changements climatiques) investissent des centaines de milliards de dollars dans l’adaptation et la résilience climatiques. Toutefois, malgré de grandes promesses, les financements véritablement engagés par les pays riches restent largement insuffisants.
- Ce sous-financement s’explique en partie par une vision trop étroite de la valeur réelle des projets d’adaptation et de résilience, qui a été longtemps sous-estimée, en raison de données incomplètes. Cependant, une nouvelle étude, qui utilise une méthodologie novatrice pour donner une valeur monétaire globale à ces projets, révèle aujourd’hui que chaque dollar investi, génère 10,50 USD de bénéfices environnementaux et sociaux sur une période de dix ans.
- Cette nouvelle méthodologie, le « triple dividende de la résilience », prend en compte non seulement les pertes évitées, grâce à l’adaptation aux changements climatiques, mais aussi les retombées économiques (comme l’amélioration des infrastructures et la création d’emplois), ainsi que les bénéfices environnementaux plus larges (renforcement des systèmes de santé publique et de la protection de la biodiversité, par exemple).
- Cette nouvelle analyse pourrait constituer un atout stratégique pour les décideurs politiques et les organisations non gouvernementales (ONG) lors de la COP30 à Belém, au Brésil, en novembre prochain, lorsqu’ils tenteront de convaincre les pays riches et les institutions financières de débloquer les milliards de dollars nécessaires pour aider les pays vulnérables à financer leurs efforts d’adaptation et de résilience face aux effets croissants des changements climatiques.
D’un sommet climatique des Nations Unies à l’autre, la quête de financements suffisants en provenance des pays riches et industrialisés s’est intensifiée, afin d’aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables à éviter une catastrophe climatique. Pourtant, le fossé se creuse entre les fonds véritablement alloués aux mesures d’adaptation et de résilience et les besoins réels sur le terrain.
En 2024, les Nations Unies ont estimé ce déficit à 359 milliards de dollars en besoins annuels non satisfaits.
Mais un nouveau rapport de l’Institut des ressources mondiales (WRI), révèle que les pays et les bailleurs de fonds abordent la question de l’adaptation et de la résilience de manière erronée. En effet, en la considérant uniquement comme un moyen d’éviter les pertes climatiques potentielles, la valeur réelle de chaque dollar dépensé a été largement sous-estimée.
Les auteurs de l’étude ont constaté que les investissements actuellement réalisés sont bien plus précieux pour les pays et les communautés que ce qui avait été jusqu’ici compris ou reconnu. Pour démontrer cette évaluation, le WRI a analysé 320 projets climatiques d’adaptation et de résilience menés dans 12 pays (principalement en Asie tropicale, en Afrique et en Amérique latine), représentant un investissement total de 133 milliards USD entre 2014 et 2024. Le rapport final du WRI estime que lorsqu’on évalue les projets d’une manière plus globale, on observe que chaque dollar investi génère 10,50 dollars de bénéfices sur dix ans, soit une valeur potentielle totale de 1 400 milliards USD pour l’ensemble des 320 projets climatiques analysés.

Calcul du « triple dividende de la résilience »
Cette découverte révolutionnaire repose sur ce que le WRI appelle le « triple dividende de la résilience ». Comme pour les évaluations classiques, les chercheurs du WRI se sont penchés sur le calcul des pertes anticipées évitées à la suite de catastrophes climatiques.
Mais ensuite ils sont allés bien plus loin, en intégrant les gains économiques générés par l’amélioration des infrastructures, la gestion des risques et la création d’emplois. Les chercheurs ont également attribué une valeur monétaire aux bénéfices sociaux et environnementaux, tels que l’amélioration de la santé publique et la protection de la biodiversité associées aux investissements.
Bien que les retombées soient réelles, ces deux dernières dimensions sont rarement prises en compte dans les objectifs mesurés, voire tout simplement évoquées, lorsque l’on cherche à obtenir des solutions de financement pour l’adaptation et la résilience.
Les auteurs de l’étude affirment que les pays et les bailleurs de fonds internationaux – dont beaucoup se réuniront à Bonn, en Allemagne, le 16 juin dans le cadre des négociations climatiques intermédiaires de l’Organisation des Nations Unies (ONU) – devraient prendre en compte l’ensemble des trois dimensions du « triple dividende », pour évaluer les bénéfices réels des investissements en matière de résilience.
« Ce que nous cherchons à faire ici, c’est combler le fossé entre la perception et la réalité en matière d’investissements efficaces, de manière à démontrer leur véritable valeur », déclare Carter Brandon, économiste au WRI et coauteur du rapport, lors d’un entretien avec Mongabay. « En réalité, ces investissements sont bien plus rentables que nous ne le pensons, et nous proposons cette nouvelle méthodologie pour nous en convaincre ».
Carter Brandon, qui travaillait auparavant pour la division de la Banque mondiale chargée de l’environnement et des changements climatiques, sera présent à Bonn pour défendre les conclusions du rapport du WRI auprès des décideurs politiques et des bailleurs internationaux.
« Cette étude a permis de lever le voile sur la véritable valeur de la résilience. Et ce premier aperçu est déjà stupéfiant », souligne dans un communiqué, Sam Mugume Koojo, coprésident de la Coalition des ministres des Finances pour l’action climatique en Ouganda. « Il est temps que les dirigeants reconnaissent que l’adaptation au climat n’est pas seulement un filet de sécurité, mais un véritable levier de développement ».

Renverser les idées reçues sur le financement climatique
En novembre dernier, en amont de la COP29 en Azerbaïdjan, Andrew Deutz, expert en finance auprès du Fonds mondial pour la nature (WWF), indiquait à Mongabay que « tout le monde continue de parler de cette COP comme étant la COP du financement. Mais à vrai dire, à partir de maintenant, toutes les COP seront des COP du financement ».
Cela sera d’autant plus vrai lorsque les États Parties se réuniront à Belém, au Brésil, en novembre prochain pour la COP30, un moment charnière où les conclusions du rapport du WRI pourraient réellement peser dans la balance.
Lors des précédentes COP, les pays riches et industrialisés, qui sont les principaux responsables des émissions de gaz à effet de serre, ont échoué à alimenter de manière significative les nombreux fonds dédiés à l’atténuation des changements climatiques. Les montants versés se sont systématiquement révélés inférieurs de plusieurs centaines de milliards de dollars aux besoins réels. Et ce, malgré les appels de plus en plus pressants des pays les plus exposés aux changements climatiques.
Le WRI espère que les données présentées dans son rapport inciteront les pays riches à accroître leur soutien financier à l’adaptation et à la résilience lors de la COP30, et que les pays vulnérables s’appuieront sur le rapport pour défendre plus efficacement les projets qu’ils aspirent à mettre en œuvre.
« Personnellement, je ne suis pas satisfait du niveau actuel des discussions, car elles ne posent pas les questions essentielles, à savoir : Que devraient faire les pays ? Quelles priorités devraient-ils se fixer ? Que devraient-ils réellement chercher à atteindre ? En réalité, beaucoup de pays n’ont pas encore de réponses claires à ces questions », souligne Brandon. « Et si le montant des financements venait à doubler par miracle, ce qui reste très improbable, pensez-vous que les pays sauraient quoi en faire ? À mon avis, la réponse est non ».
C’est précisément pour cette raison que le WRI a souhaité aller plus loin et analyser en profondeur ce qui fonctionne réellement sur le terrain, là où des milliards de dollars sont déjà investis dans la résilience climatique. Brandon a précisé qu’il s’agit de la première analyse aussi détaillée jamais réalisée. L’objectif de la méthode du « triple dividende » était d’évaluer les retombées quantitatives et qualitatives des investissements sur une période de dix ans.
« Ce que nous observons aujourd’hui c’est que ces investissements ne se contentent pas de renforcer la résilience », ajoute Brandon, « mais ils représentent également un excellent levier en matière de développement et de santé publique».


Des bénéfices réels, mais non comptabilisés
Parmi les exemples mis en avant dans le rapport du WRI pour illustrer les retombées du « triple dividende », Brandon cite un projet de gestion fluviale à hauteur de 507 millions USD à Durban, en Afrique du Sud, qui vise principalement à réduire les risques d’inondation. L’initiative est financée par la C40 Cities Finance Facility, qui facilite l’accès au financement pour les projets d’atténuation des changements climatiques au niveau mondial.
« Ce projet hydraulique consiste essentiellement à assainir une rivière, à nettoyer et à restaurer des zones humides et à stabiliser l’approvisionnement en eau », explique Brandon, qui souligne les objectifs du projet en matière de prévention des inondations. « Il améliore également la qualité de l’eau grâce à la nature, ce qui permet de garantir et d’améliorer sa disponibilité et sa salubrité en période de sécheresse ».
À ces résultats, vient s’ajouter toute une série de bénéfices, rarement pris en compte : « Il améliore aussi l’écologie de la rivière et la santé des populations riveraines, en réduisant les déchets, la pollution et les maladies diarrhéiques. Et, en s’appuyant sur des solutions basées sur la nature, et en protégeant les zones humides, le projet permet également de séquestrer davantage de carbone. Il s’agit ici de retombées réelles auxquelles nous pouvons attribuer une valeur monétaire qui, jusqu’à présent, n’avait pas été prise en compte ».
Un billet de blog du WRI coécrit par les chercheurs à l’origine du nouveau rapport présente de nombreux autres projets, dont « Ethiopia Resilient Landscapes and Livelihoods Projects » (« Projets pour des paysages et des moyens de subsistance résilients en Éthiopie »), financé à hauteur de 119 millions USD par la Banque mondiale. Ce projet a permis de « restaurer des paysages dégradés dans certains bassins versants, grâce à des mesures telles que l’aménagement de terrasses à flanc de colline et la plantation d’arbres » – des résultats qui étaient attendus.
Mais ce qui renforce encore davantage le retour sur investissement de la Banque mondiale, c’est ceci : Le projet « a permis de former les communautés à des pratiques durables en matière d’agriculture et de pâturage ». « Associées les unes aux autres, ces mesures peuvent améliorer la santé des sols, réduire l’érosion et renforcer les bassins versants, rendant ainsi la région plus résistante aux inondations et aux sécheresses, tout en augmentant la production agricole et animale », souligne l’article du blog du WRI.
Par le biais de son analyse novatrice et approfondie, le WRI recommande aux gouvernements d’élargir leur vision en matière de stratégies d’adaptation et de résilience et d’y inclure les retombées économiques, sociales, environnementales et de santé publique lorsqu’ils cherchent à obtenir des soutiens financiers à hauteur de plusieurs millions de dollars.
« Ces données offrent aux dirigeants et aux acteurs non étatiques exactement ce dont ils ont besoin à l’approche de la COP30 : à savoir un argumentaire économique clair en faveur des mesures d’adaptation », souligne Dan Ioschpe, nommé par les dirigeants de la COP au Brésil, pour plaider en faveur d’un financement climatique accru. « Belém doit marquer un tournant, en intégrant la résilience dans les priorités nationales et locales et en utilisant pleinement le potentiel du leadership des acteurs non étatiques ».
Image de bannière : Les jardins urbains communautaires existent depuis longtemps dans la ville de Salvador, au Brésil. Ils sont souvent gérés par les résidents, comme c’est le cas ici pour le projet Hortas Urbanas SSA, lancé aux alentours de l’année 2014.
Justin Catanoso, contributeur régulier de Mongabay, est professeur de journalisme à l’Université de Wake Forest aux États-Unis.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 10 juin, 2025.