- La construction d’une autoroute asphaltée de type 2x2 voies, divisée en une tranche ferme et deux tranches conditionnelles, à Madagascar, a inquiété des organisations soucieuses de la durabilité environnementale.
- Long de 260 kilomètres, le tracé initial de la future infrastructure autoroutière traverse, sur la carte, des localités sensibles, dont des zones clés pour la biodiversité.
- Pour se faire entendre, une soixantaine d’organisations qui dénoncent les impacts écologiques potentiels du projet sont même allées jusqu’à accuser ouvertement le Fonds monétaire international de complicité.
- Les autorités gouvernementales, de leur côté, rassurent que l’autoroute ne traversera jamais les aires protégées.
ANTANANARIVO, Madagascar — La toute première autoroute de Madagascar, dont une section de 80 kilomètres partant du nord d’Antananarivo est en construction depuis avril, après l’obtention de l’avis de conformité du projet, épargnera les aires protégées et d’autres zones sensibles. Les autorités gouvernementales sont affirmatives à ce sujet pour apaiser les inquiétudes des diverses organisations qui se méfient des impacts écologistes potentiels de l’ambitieux projet.
Ce dernier a fait grincer les dents, dès son entame. Des organisations, en particulier celles œuvrant pour la protection de l’environnement et la conservation de la biodiversité, sont sceptiques, quant aux éventuels dégâts causés par l’initiative gouvernementale aux écosystèmes et aux conditions d’existence des populations. Pour se faire entendre, elles ont donné une conférence de presse à Bakou, en Azerbaïdjan, le 20 novembre, à deux jours de la clôture du dernier sommet mondial sur le climat (COP29), pour accuser ouvertement le Fonds monétaire international (FMI) de mettre en péril les forêts vitales de Madagascar.
Une large diffusion en ligne d’un communiqué, disponible en français et en anglais, signé par cinquante-neuf organisations, dont Global Forest Watch, a suivi cette sortie médiatique fracassante, qui a fait hérisser les poils. Le même jour, le ministre malgache de l’Environnement et du Développement durable, Max Andonirina Fontaine, a invité les signataires de la lettre à une réunion d’urgence, qui s’est déroulée en présentiel et en ligne, à Antananarivo, dans la matinée du 22 novembre.
La rencontre a coïncidé avec la clôture du rendez-vous planétaire dans la capitale azerbaïdjanaise, au deuxième jour duquel, la Grande île – avec le Suriname, le Bhoutan et le Panama – a rejoint la Coalition G zéro réunissant les nations à statut de « carbone négatif » ou « neutralité carbone ». Les pays ainsi étiquetés séquestrent davantage de carbone plus qu’ils n’en émettent.
Le ministre n’a pas mâché ses mots à la fin du tête-à-tête du 22 novembre à Antananarivo : « En aucun cas, cette autoroute ne traversera pas l’aire protégée. Cela fait un moment que le gouvernement a décidé de ne pas la faire passer par le corridor forestier Ankeniheny-Zahamena (CAZ, ndlr) ». Dans un entretien accordé à Mongabay à son bureau, son homologue des Travaux publics, Richard Théodore Rafidison, a dit : « Nous considérons toutes les options à même de réduire au minimum les impacts du projet sur l’environnement et respectons également toutes les conditions sociales s’y rapportant ».
Quatre voies, mise en circulation en 2028
D’après le schéma initial, l’autoroute en question mesurera 260 kilomètres de long et reliera la capitale à la ville de Toamasina, sur le littoral Est. Le trajet se fera en 2 heures et demie contre 12 à 14 heures sur l’actuelle nationale 2, plus longue (367 km) et en état de délabrement avancé.
Capitale économique du pays, Toamasina abrite le plus important port de l’île qui assure 90 % de l’import-export national avec 2,5 millions de tonnes de marchandises par an. L’Etat avance alors un argumentaire économique pour justifier l’opportunité de la construction de la nouvelle infrastructure autoroutière. « Madagascar est le seul pays au monde qui n’a pas de route correcte pour faire relier le grand port et la capitale », dit Fontaine.
Techniquement, la largeur de la chaussée de quatre voies avec une charge maximale de 44 tonnes, deux allées et deux retours, est de 15,65 m avec une expropriation de 50 m de large et de réserve totale d’emprise de 100 m de large de chaque côté. Le contrat pour l’exécution de la tâche confiée à la firme égyptienne Samcrete Egypt Engineers And Contractors Sae a été signé en décembre 2022.
L’intégralité du chantier comprend en effet une tranche ferme et deux tranches conditionnelles. « Le coût au kilomètre n’excède pas 4 millions de dollars », précise Lalao Mbolatiana Rajaonarivo, coordinatrice des projets auprès du ministère des Travaux publics (MTP). La livraison finale est programmée pour fin décembre 2027. L’ouverture de l’autoroute à la circulation devrait commencer en 2028.
D’une longueur totale de 80 km, la tranche ferme part de la banlieue d’Antananarivo jusqu’à l’est d’Anjozorobe, une ville d’importance moyenne située à 90 km au nord de la capitale. Le chantier, sur ce premier tronçon financé sur les ressources propres internes de l’Etat, a démarré en avril. Pour lequel, l’Office national pour l’environnement a délivré, en septembre 2023, le permis environnemental en vertu de la mise en compatibilité des investissements avec l’environnement. Selon les prévisions, cette section, dont les travaux de terrassement sont exécutés jusqu’au niveau du PK 38-40 fin novembre, sera achevée en décembre 2025.
Tracé de l’autoroute à proximité de nombreux sites du patrimoine
En réalité, le tracé de la tranche ferme passe à proximité de nombreux sites sacrés, culturels, cultuels et naturels, dont la colline royale d’Ambohimanga inscrite en 2001 à la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, et le corridor forestier d’Anjozorobe-Angavo. Il s’agit d’une forêt relictuelle d’une superficie totale de 52 000 hectares, où vivent plusieurs espèces endémiques. L’Association Fanamby s’occupe du maintien de l’intégrité écologique du paysage harmonieux protégé du complexe Anjozorobe-Angavo créé en avril 2015.
A ce propos, Hugues Ranarivelo, un des participants à la récente rencontre à Antananarivo, s’est exprimé en ces mots : « Nous sommes propriétaires d’une partie du noyau dur sur le couloir Anjozorobe-Angavo. Cette partie qui nous revient a été classée par Fanamby noyau dur. Elle se situe au niveau d’Anjozorobe. Cette propriété fait à peu près 1 300 ha de forêt renfermant une forêt primaire et une partie de forêt secondaire. C’est donc une des deux dernières forêts primaires qui existent sur les plateaux ».
Selon ses dires, des spécimens d’espèces animales, parmi les plus menacées au monde comme le lémurien aye-aye (Daubentonia madagascariensis) et un couple de fosa – le plus grand carnivore terrestre de Madagascar connu sous le nom scientifique de Cryptoprocta ferox – ont été en octobre découverts dans la propriété privée incluse dans l’aire protégée Anjozorobe-Angavo. « Je peux, si besoin est, fournir les photos de ces deux animaux, entre autres, avec les points GPS qui ont été relevés », s’est-il adressé aux représentants du gouvernement.
Depuis le début du chantier sur la tranche ferme, et même avant, les communautés locales, se disant affectées par le projet, se plaignent par le truchement des média nationaux et étrangers. Pour les concernés, les choses sont opaques. L’exécution du projet d’autoroute qui détruit rizières, champs de cultures, cours d’eau… menace les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des ménages ruraux déjà aux prises avec la pauvreté endémique, Madagascar étant le pays le plus pauvre de la planète, selon le site d’information suisse Watson.
Ces personnes directement affectés par la mise en œuvre du projet routier semblent impuissants à l’image des enfants timorés en face des parents sévères qui ne sont pas disposés à faire des concessions. Selon la conception malgache du pouvoir, les dirigeants et, par extension l’Etat, sont les raiamandreny (parents entendus comme autorité étatique ou morale, à ne pas confondre avec ray aman-dreny, qui vient de ray [père] et reny [mère] pour désigner les parents biologiques ou leurs substituts) du peuple. Dans le cadre du projet d’autoroute, ces citoyens qui s’estiment lésés sont relayés et défendus par des organisations de la société civile. Ces dernières se font leurs porte-paroles.
« Il faut que ça [le dialogue, ndlr] soit régulier, que ça soit ouvert, que nous soyons entendus, que vous nous écoutiez et que nous vous entendions sinon ça ne marche pas. Autant faire les choses clairement. Tout le monde comprend, tout le monde est content et tout le monde peut poser des questions et aura des réponses. Ça, c’est un cri du cœur. Je ne parle même pas au nom de mon organisation. Je parle au nom des citoyens. Parce que derrière moi, derrière nous, il y a d’autres citoyens qui ont besoin d’être aidés, soutenus et entendus », Mialisoa Randriamampianina, la Directrice exécutive de Transparency International-Initiative Madagascar, s’est exclamée en prenant la parole lors du rendez-vous d’Antananarivo.
Le corridor forestier Ankeniheny-Zahamena : souci majeur des écologistes
Beaucoup de questions ont alors été posées, la parole a été libre et, en général, les réponses obtenues ont calmé les esprits pour faire baisser la tension. De leur côté, les autorités ont affirmé avoir pris en compte, aux détails près, tous les aspects humains, sociaux, techniques, administratifs, juridiques et surtout écologiques du projet. Selon des responsables ministériels, des consultations publiques ont eu lieu et le tracé de l’autoroute a été maintes fois dévié au gré des réalités sur le terrain. Les expropriés aussi seront indemnisés.
Mais, par-dessus tout, le souci majeur des écologistes a porté plus particulièrement sur la réserve de ressources naturelles du corridor forestier Ankeniheny-Zahamena. Communément appelée CAZ à Madagascar, ladite réserve a été créée en 2015. Gérée par l’ONG Conservation International basée à Arlington, en Virginie aux Etats-Unis, qui a une antenne à Madagascar, cette aire protégée couvrant 369 266 ha de terrain sur le versant oriental de l’île est désignée comme une zone clé pour la biodiversité, pourtant sous haute pression à cause des activités destructrices.
Le fameux CAZ constitue l’un des principaux vestiges de la grande forêt autrefois présente dans tout l’Est du pays. Cet important puits de carbone est un candidat potentiel pour le crédit carbone. Avec le couloir forestier d’Anjozorobe-Angavo cité plus haut, il abrite plus de 10 % des forêts primaires du pays dotées d’une immense richesse floristique et faunistique. Il est de plus considéré comme le château d’eau de Madagascar. Plusieurs cours d’eau y prennent source ou le traversent. Son rôle dans le cycle de l’eau au pays et dans l’atténuation des nombreux et violents cylones dans le bassin de l’océan Indien, n’est plus à démontrer.
Le CAZ4Lemur Project, financé par l’Union européenne, à travers le programme de gestion de biodiversité et de zones protégées (BIOPAMA), vise la conservation durable des lémuriens à l’intérieur du CAZ. L’intervention cible trois espèces à savoir l’Indri indri, le Propithecus diadema et la Varecia variegata. Outre les anciennes explorations, un survol aérien dans la matinée du 15 octobre a permis à Mongabay d’apprécier la luxuriance envoûtante et la préciosité et du CAZ vu du ciel.
Demande de suspension du projet autoroutier
L’annonce de la totalité du tracé de l’autoroute d’Antananarivo à Toamasina a horripilé plus d’un. Sur la carte, il traverse le CAZ comme une entaille béante pour le scinder en deux sections distinctes. L’image qui s’en dégage a donné la chair de poule aux protecteurs de la nature. « Ce tracé fragmenterait irrévocablement le CAZ (…). Il entraînerait la perte directe de 1 490 ha de forêt primaire sauvage et irremplaçable, riche en espèces uniques au monde et menacées (…) », lit-on dans un premier communiqué du 10 juillet signé par une cinquantaine d’organisations.
L’effet de lisière, largement sous-estimé mais menaçant potentiellement jusqu’à 18 % des forêts tropicales humides, selon une étude, est le plus redouté. L’autoroute risque à terme d’entraîner la destruction des dizaines de kilomètres de forêt de part et d’autre. « Il a été montré partout dans le monde que 95 % des destructions de forêts ont lieu à moins de 50 km d’une route et qu’il suffit d’une route, pour détruire une forêt. En donnant accès au cœur de la forêt, l’autoroute apporterait avec elle plus d’activités destructrices que de développement (…). Concrètement, il est très probable que le CAZ ne serait plus jamais un grand massif, mais deux forêts distinctes, bien plus réduites en taille et dans leur capacité de résilience écologique », lit-on dans le communiqué cité ci-dessus.
Les signataires du communiqué ont alors émis des recommandations incluant la demande de suspension du projet autoroutier en invitant les autorités à la réflexion stratégique et à miser sur des alternatives viables. Tous les bailleurs de Madagascar ont aussi été interpellés. Il leur a été demandé de faire du respect des aires protégées un point central de leur dialogue avec le gouvernement sur la conditionnalité des financements bilatéraux et multilatéraux.
Peu de réactions officielles ont été entendues à la suite du son de cloche de juillet. De plus, un communiqué du 9 juillet signé par Emile Joseph Sambisolo, secrétaire général du MTP, dépeint succinctement le contexte du projet. Au passage, la missive a souligné que les marchés sont conditionnés par l’achèvement de la tranche ferme et que le tracé des tranches 2 et 3, entre Anjozorobe et Toamasina, n’est pas encore définitif. Le haut responsable ministériel a aussi mentionné que des plans ont été établis, afin d’éviter la percée de l’autoroute dans le CAZ.
Pression des défenseurs de la nature à la COP29
Soupçonnant la sincérité du gouvernement, les organisations militant en faveur de l’environnement ont encore recherché d’autres moyens de faire plus de pression. La COP29 a été pour elles une occasion en or pour revenir à la charge, mais à un degré élevé en visant spécifiquement le FMI tout en reconnaissant que le financement climatique est crucial pour le pays, l’un des plus durement exposé aux aléas.
En donnant une conférence de presse sur le site du sommet mondial sur le climat à Bakou le 20 novembre, à deux jours de sa clôture, les organisations, a priori non convaincues du bien-fondé du projet autoroutier, ont accusé sans détours l’institution de Bretton Woods de fermer les yeux sur la gravité des projets en cours sur le sol malgache. Un deuxième communiqué émis, après celui du 10 juillet, évoqué plus haut, s’appesantit sur ce point.
En juin 2024, le FMI a en effet annoncé deux programmes de financement pour Madagascar : la facilité élargie de crédit (FEC) de 337 millions de dollars et la facilité de résilience et de durabilité (FRD) de 321 millions de dollars. Cette dernière est spécifiquement destinée à renforcer la capacité du pays à faire face au changement climatique, notamment en ce qui concerne le renforcement de la protection des forêts et de la biodiversité.
Selon les écologistes signataires du communiqué, les conditionnalités attachées à ce financement sont jugées extrêmement faibles, car elles ignorent le projet d’autoroute. Une réévaluation d’urgence des conditions de ce financement a été alors exigée. « Si nous nous tournons vers le FMI, c’est parce que nos raiamandreny dans ce pays ne nous écoutent pas », a dit Ndrantomahefa Razakamanarina, lors de la réunion du 22 novembre à Antananarivo.
Cet expert en plaidoyer et président de l’Alliance Voahary Gasy – une plateforme des organisations de la société civile œuvrant pour l’instauration de la bonne gouvernance environnementale à Madagascar, parmi les plus influentes des signataires des communiqués du 10 juillet et du 20 novembre – a aussi proposé la création d’un espace de dialogue public-privé-population-société civile, pour servir de cadre de concertation pour les grands projets à réaliser au pays, afin de faire dissiper les doutes. « Si ce dialogue existe, l’autoroute ne devrait pas être une route de discorde mais de concorde », a-t-il insisté.
L’idée largement partagée par les participants a aussi convaincu le gouvernement. « La position du ministère ne bouge pas. On est là dans un esprit de transparence et d’ouverture. Soyez rassurés qu’il y aura une continuité ! On peut toujours se regrouper comme ça », a déclaré Fontaine pour terminer son allocution à la fin du dialogue à Antananarivo, sans manquer de signaler les nombreuses erreurs d’appréciation, quant au rapport du gouvernement avec les bailleurs.
Jouer la carte de la transparence
L’Etat malgache se doit désormais de jouer la transparence totale sur la poursuite de la construction de l’autoroute. Une grande concertation avec la société civile et d’autres parties prenantes est envisagée, en novembre 2025, à deux mois de l’achèvement de la tranche ferme, afin de déterminer le tracé des tranches conditionnelles 2 et 3 du projet.
Deux alternatives pour contourner la traversée du CAZ existent bel et bien. La validation commune de l’une d’elles conditionnera la réalisation de l’étude d’impact environnemental et social, une étape cruciale en vue de l’obtention du permis environnemental sans lequel le démarrage effectif des travaux sera impossible. L’effectivité d’une évaluation environnementale et sociale stratégique, bien avant le projet, est également sur les lèvres.
En attendant, le financement nécessaire est d’ores et déjà en cours d’étude au niveau du gouvernement. De leur côté aussi, les organisations de la société civile gardent toujours un œil attentif sur ce qui se passe sur le terrain. En décembre, elles ont mené une enquête indépendante sur le long du tracé remblayé ou déblayé, afin de collecter in situ des informations sur la situation vécue par la population riveraine par rapport à l’exécution du projet.
Image de bannière : Indri indri, l’une des trois espèces de lémuriens, dont la conservation est l’objet du Lemur4CAZ Project financé par l’Union européenne dans le corridor Ankeniheny-Zahamena, à Madagascar. Image de Inaki Relanzon – Jonah Ratsimbazafy via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Bourgoin, C., Ceccherini, G., Girardello, M. et al. (2024) Human degradation of tropical moist forests is greater than previously estimated. Nature. https://doi.org/10.1038/s41586-024-07629-0
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