Le Docteur Jane Goodall avec Freud, un chimpanzé de Gombe. . Photographie © Michael Neugebauer
Jane Goodall est non seulement sans doute la plus célèbre protectrice de la nature qui ait jamais vécu, mais elle est aussi la femme scientifique la plus connue et la plus respectée dans le monde à ce jour.
Le chemin parcouru pour arriver à cette envergure est aussi improbable qu’inspirant. Sa mère lui ayant appris à « ne jamais abandonner », Jane Goodall décide à vingt ans de réaliser son rêve d’enfance : vivre avec des animaux en Afrique. Et c’est exactement ce qu’elle fait à l’âge de 26 ans. Cueillie par l’anthropologiste de renom Louis Leakley, elle est envoyée à Gombe, en Tanzanie, pour diriger la première étude à long terme sur le comportement des chimpanzés sauvages. Sans même un diplôme universitaire, Jane Goodall devient la première personne à être acceptée dans un groupe de chimpanzés. Son travail a mis à jour des connaissances approfondies (et controversées) sur les primates les plus proches de nous, y compris la découverte que les humains ne sont pas les seuls à utiliser des outils, contribuant finalement à un mouvement scientifique plus large afin d’identifier et de documenter la « culture » inhérente à d’autres espèces. Jane Goodall reçut le premier de nombreux hommages.
Alors que de nombreux biologistes se satisferaient de voir leurs œuvres largement citées, récolter une liste impressionnante de récompenses, et changer notre façon de voir le monde et nous-mêmes, « Dr Jane » est allée bien au-delà, dépassant la recherche pour un travail de militante. Comprendre que les chimpanzés pouvaient être amenés à disparaître dans la nature la mena à se dévouer à une cause sans doute plus ambitieuse encore: la protection de la nature. Elle refusait de laisser le monde perdre ce qu’elle avait appris à aimer.
Comprenant que la sensibilisation exigeait davantage que de vagues appels aux masses, Jane Goodall se tourna vers la nouvelle génération. En 1991, elle lança «Roots and Shoots» (des racines et des pousses), une plateforme de services et de formation environnementale, qui compte aujourd’hui plus de 150.000 membres dans plus de 130 pays. En parallèle, le «Jane Goodall Institute», son organisme de recherche et de protection de la nature, s’est également développé au-delà de sa mission d’origine et est maintenant actif dans 29 pays.
Au cours de plus de cinquante ans de travail avec la nature, Jane Goodall a pu constater de grands changements dans le domaine de la protection de l’environnement et elle est devenue une observatrice attentive de ce qui marche ou pas.
En haut de sa liste viennent les batailles féroces que sont enclins à se livrer entre eux les défenseurs de la nature à propos d’argent, d’égos et de stratégies. Elle déclare que les défenseurs de la nature feraient mieux de travailler ensemble pour faire face aux menaces pressantes contre la nature et les milieux de vie plutôt que de consacrer leurs maigres ressources à des luttes internes.
« Je regrette toujours qu’il n’y ait pas plus de partenariats, de partages de ressources, » a-t-elle déclaré à mongabay.com. « Malheureusement, la concurrence pour le financement fait que les organisations se méfient de tels partenariats. Davantage encore quand les égos de chacun sont en jeu. »
Elle évoque les approches qui excluent les populations locales comme exemple de d’actions habituellement vouées à l’échec.
« Les programmes de préservation qui isolent une partie de la nature sans essayer d’impliquer les gens qui vivent autour ont peu de chances de réussir, en tout cas dans les pays en développement ou tant de gens vivent dans la misère. »
Il est essentiel de combler ces différends et de travailler ensemble si l’humanité veut surmonter les défis considérables qui l’attendent. Mais Jane Goodall est optimiste, donnant pour cela cinq raisons (voir plus bas)
« L’actualité est, effectivement, sombre. Et c’est la raison pour laquelle tant de gens se sentent inutiles et sans espoir, et par conséquent ne font rien, » déclare Jane Goodall. « Il est vrai que si rien ne change, nous ferions aussi bien d’abandonner. Mais je suis fermement convaincue qu’il nous reste du temps, bien qu’il s’écoule rapidement. »
[Info: Jane Goodall a rejoint le comité consultatif de Mongabay le mois dernier].
Jane Goodall. Courtoisie du Jane Goodall Institute.
ENTRETIEN AVEC JANE GOODALL
Mongabay.com: Quelles sont d’après vous les qualités que Louis Leakey a vu en vous pour qu’il vous donne une telle opportunité d’étudier les chimpanzés dans la nature?
Jane Goodall: Il fut d’abord impressionné parce que j’avais économisé suffisamment pour aller en Afrique. Il fut aussi impressionné par mes connaissances sur les animaux d’Afrique, acquises par mes lectures et par les heures passées au Musée d’Histoire Naturelle de Londres ; et, je suppose, par mon enthousiasme et ma sincérité. C’est à cause de cela qu’il m’invita pour la très modeste expédition des Gorges d’Olduvai, à l’époque un endroit très reculé, sans route ni piste pour y accéder. Et une fois sur place, il fut impressionné parce qu’il semblait que, instinctivement, je savais me comporter dans la nature, je me sentais chez moi. Je ne fus pas effrayée en rencontrant un rhino un soir où je marchais dans la plaine avec l’autre jeune fille anglaise de l’expédition. De même quand, un autre soir, nous rencontrâmes un jeune lion qui nous suivit pendant un un bout de chemin. Il était simplement curieux.
Ces qualités me furent inculquées par ma mère. Elle disait toujours que si je voulais quelque chose, je devrais travailler dur, saisir les occasions, ne jamais abandonner. Tout le monde se moquait de mon rêve d’enfance d’aller en Afrique pour vivre avec les animaux. Cela avait commencé quand j’avais huit ans, en lisant comment le Docteur Doolittle avait ramené des animaux de cirque en Afrique. Ce rêve fut ravivé en 1944 à la lecture de Tarzan of the Apes. J’avais dix ans. Nous n’avions pas d’argent. L’Afrique était le « Continent Noir ». Il n’existait pas d’avions de tourisme assurant la liaison. La deuxième guerre mondiale faisait rage. Et je n’étais qu’une fille. C’était en 1944.
Mais ma mère me disait « Si tu veux vraiment quelque chose tu devras travailler dur, saisir les occasions, et ne jamais abandonner. »
Nous n’avions pas d’argent pour que j’aille à l’université ; juste assez pour une formation de secrétaire. Maman dit que je pourrais peut-être trouver un travail en Afrique. Je trouvai d’abord un emploi à Oxford, où j’ai pu expérimenter les joies de la vie universitaire sans le travail étudiant ! Mon emploi suivant m’amena à Londres pour des films documentaires. Puis arriva la lettre d’une amie d’école qui m’invitait au Kenya, où ses parents venaient d’acheter une ferme. Je rentrai chez moi et je travaillai comme serveuse dans un hôtel du coin. Cela prit des mois, mais j’économisai assez d’argent pour un voyage aller-retour en Afrique, par bateau. J’avais vingt-trois ans. Cela ne se faisait pas à l’époque, une fille qui part en Afrique. Ma mère fut considérée comme une irresponsable !!! Grâce à Dieu elle n’y prêta pas attention!
Forêt tropicale d’Afrique. Photographie Rhett Butler
Mongabay.com: Nombre de vos derniers livres sont centrés sur le thème de l’espoir. Étant données les nouvelles environnementales catastrophiques qui sortent chaque jour et les défis considérables qui attendent l’humanité, quelles sont vos raisons d’espérer pour notre avenir?
Jane Goodall: Les nouvelles sont effectivement sombres. Et c’est la raison pour laquelle tant de gens se sentent inutiles et sans espoir, et par conséquent ne font rien. Il est vrai que si rien ne change, nous ferions aussi bien d’abandonner. Mais je suis fermement convaincue qu’il nous reste du temps, bien qu’il s’écoule rapidement. Mes raisons d’espérer sont simples:
1. L’énergie, l’engagement et les efforts des jeunes lorsqu’ils comprennent les problèmes et qu’on leur donne la possibilité de discuter et d’AGIR sur des solutions. C’est pourquoi je consacre autant de temps à développer notre programme pour les jeunes, « Roots & Shoots ». Il s’adresse aux jeunes de la maternelle à l’université. « Roots and Shoots » est maintenant présent dans 137 pays. Chaque groupe choisit trois projets : un visant à améliorer la vie pour les populations, pour les animaux, et pour l’environnement. Avec un thème en commun : apprenons à vivre ensemble en paix et en harmonie, avec d’autres religions, cultures et nations. Entre jeunes et vieux, riches et pauvres, natifs et immigrants. Et apprenons à vivre en meilleure harmonie avec la nature. Nous avons près de 150.000 membres dans le monde, et ils font vraiment une différence. Ils choisissent les projets qui les passionnent, remontent leurs manches et entreprennent des actions. Et de nombreux adultes qui ont été membres de « Roots and Shoots » restent engagés pour la vie.
Graines d’Espoir : Sagesse et Merveilles du Monde des Plantes |
2. Le cerveau humain. La plus grande différence (selon moi) entre nous et nos plus proches parents chez les animaux, les chimpanzés, c’est le cerveau humain. Les chimpanzés sont beaucoup plus intelligents qu’on le pensait autrefois. Mais même le cerveau du plus brillant des chimpanzés ne peut égaler le cerveau d’une créature qui a conçu une fusée de laquelle est sorti un robot qui est encore en train d’explorer Mars et d’envoyer des photos sur Terre pour les scientifiques. La question est donc : comment est-il possible que la créature la plus intelligente ayant jamais foulé la Terre soit en train de détruire son propre foyer ? (Les photos prises sur Mars montrent clairement que nous ne pourrons pas nous y installer !) Peut-être avons-nous perdu la raison ? Quand nous prenons une décision importante, nous avons tendance à nous demander : « Comment cela va-t-il me profiter maintenant ? Ou à la prochaine réunion des actionnaires dans 3 mois ? Ou pour ma prochaine campagne électorale ? » alors que nous devrions nous demander comment cette décision affectera les générations futures.
Mais nous revenons à la raison. Déjà, autour du monde, des solutions innovantes sont développées pour remédier à nombre des problèmes que nous avons créés, par exemple les énergies renouvelables, l’agriculture équitable, etc. Ainsi, en tant qu’individus, nous laissons une empreinte écologique moindre.
3. La résistance de la nature. Au début des années 1990, ce qui entourait les modestes cinquante kilomètres carrés du Parc National de Gombe, autrefois contigu à une étendue de forêt couvrant les rives orientales du lac Tanganyika, avait été réduit à des collines dénudées. Il y avait là plus d’habitants que la terre ne pouvait en nourrir, trop pauvres pour pouvoir acheter de la nourriture ailleurs. Les sols surexploités avaient perdu leur fertilité. Alors que je regardais un jour depuis un petit avion, je me suis demandé « Comment peut-on même essayer de sauver les fameux chimpanzés de Gombe alors que les gens des alentours luttent pour survivre ? » C’est ce qui a mené à créer notre programme TACARE (TakeCare = prendre soin) pour améliorer la vie des villageois d’une manière globale. L’aspect le plus important était que nous demandions aux villageois en quoi nous pouvions mieux les aider, et nous fournissions le savoir-faire, c’est-à-dire les hameçons plutôt que le poisson. Un élément clé fut le micro-crédit, principalement pour des groupes de femmes, basé sur la « Grameen Bank », avec des prêts pour des projets respectueux de l’environnement, et aussi la communication d’informations sur le planning familial. Nous avons commencé avec douze villages des limites du parc. Le succès fut tel que nous opérons maintenant dans cinquante-deux villages. Et la couverture forestière se reforme, les forêts restantes sont protégées, on apprend aux villageois à se servir de tablettes Google Earth pour suivre l’état des forêts restantes et de celles qui se reconstituent. Ils ont aussi accepté de réserver des terres du village comme zones tampons autour du petit parc Gombe. Les chimpanzés ont trois fois plus d’étendue forestière aujourd’hui qu’il y a dix ans. Et d’autres villages mettent des terres de côté pour former un corridor qui reliera les chimpanzés de Gombe, auparavant isolés, avec d’autres groupes résiduels.
Street View de Gombe, résultat de l’effort conjoint de Google Maps, Google Earth Outreach (GEO), Tanzania National Parks, et du Jane Goodall Institute (JGI), a été lancé le mois dernier pour mettre en valeur les efforts de préservation de la nature au Gombe Stream National Park, comme le fit Google en répertoriant les rue à travers le monde. Cette image Street View de Gombe montre une mère chimpanzé de l’Est (Pan troglodytes schweinfurthii) et son petit marchant le long d’une piste à Gombe. Image : courtoisie de Google Earth.
D’autres animaux au bord de l’extinction peuvent avoir une deuxième chance. Je donne de nombreux exemples inspirants dans « Hope for Animals and their World » (Espoir pour les animaux et leur monde). Mon préféré est celui du miro des Chatham, un oiseau qui à un moment ne comptait plus que sept individus, dont une seule femelle fertile. Celle-ci et son partenaire sont devenus célèbres. Il existe maintenant plus de cinq cents miros, tous génétiquement identiques, mais répartis sur quatre îles différentes. On peut espérer une dérive génétique avec le temps.
4. 4. Le courage indomptable de l’être humain, les gens qui s’attaquent à des tâches apparemment impossibles et qui n’abandonnent pas. Quelqu’un comme Don Merton, qui a sauvé le miro des Chatham, alors qu’on lui disait qu’il perdait son temps. Certains sont des figures emblématiques, comme Nelson Mandela, qui est sorti de dix-sept ans de bagne (vingt et un an en prison) avec une incroyable capacité de pardon qui lui a permis de sortir sa nation du régime odieux de l’apartheid en évitant le bain de sang prédit par la plupart des gens. En fait, on trouve cet esprit indomptable un peu partout, si on se donne la peine de chercher. Et c’est très inspirant.
5. 5. Ma raison d’espérer la plus récente vient des réseaux sociaux. Par exemple, les organisateurs de la dernière marche pour le climat à New-York s’attendaient à cent mille personnes. Mais tout le monde a envoyé des messages, des tweets et a posté sur Facebook, demandant aux amis et collègues de participer. Ils furent près de quatre cent mille (d’autres arrivaient mais la police a bloqué l’accès). J’y étais!
Chimpanzé en Ouganda. Photographie Rhett Butler.
Mongabay.com: Mongabay: Vous prétendez depuis longtemps que les animaux sont des êtres sensibles. Pouvez-vous nous dire ce que cela signifie et quelles en sont les implications éthiques?
Jane Goodall: Après avoir étudié les chimpanzés pendant un an, Louis Leakley me dit avoir trouvé une place pour moi à l’université de Cambridge pour y faire un doctorat (alors que je n’étais jamais allée à l’université). Imaginez mon horreur lorsqu’on me dit que je ne pouvais pas parler de personnalité, d’esprit ou d’émotion chez les animaux. On me dit que ces qualités étaient spécifiques à l’être humain (certains scientifiques allèrent jusqu’à me réprimander pour avoir donné des noms aux chimpanzés plutôt que des numéros). Je savais bien sûr que ces brillants scientifiques avaient tort (et je doute que la plupart d’entre eux aient cru à ce qu’ils disaient). Vous ne pouvez pas passer du temps avec des chimpanzés sans reconnaître leurs différentes personnalités. Vous ne pouvez pas observer la réaction d’une mère à la mort de son petit sans reconnaître sa peine. Vous ne pouvez pas voir des jeunes en train de jouer et ne pas sentir leur joie. Et les sentiments de colère, de frustration, jalousie, plaisir, tristesse et ainsi de suite sont également évidents. Mais j’ai appris que les animaux ont réellement une personnalité longtemps avant d’étudier les chimpanzés, avec mon chien, Rusty. Vous ne pouvez pas passer du temps avec n’importe quel animal, que ce soit un chien, un chat, un cheval, un lapin ou un cochon sans vous en rendre compte. Le problème était juste que la science n’avait pas trouvé comment analyser cela.
Pendant longtemps, les humains ont été définis comme le « faiseur d’outil », la seule créature ayant cette capacité. Puis je vis un jour David Greybeard (le premier chimpanzé à ne plus avoir peur de moi) non seulement utiliser une tige de gaminée pour attraper des termites dans leur nid souterrain, mais aussi effeuiller soigneusement une brindille pour fabriquer l’outil à cet usage. J’ai vu un jour un chimpanzé qui se reposait tranquillement s’étirer au soleil. Puis il s’assit, regarda autour de lui, se déplaça jusqu’à une touffe d’herbes hautes, en choisit très soigneusement trois ou quatre, puis se mit résolument en route pour aller attraper des termites dans un nid qui était hors de sa vue, dans la forêt, à environ cent mètres de là. Un exemple clair d’action planifiée. Et j’ai des centaines d’autres exemples.
Une fois que nous sommes prêts à admettre que les animaux ont une personnalité, un esprit capable de penser, et surtout des émotions, alors nous passerons des nuits sans sommeil à penser à la douleur et aux souffrances (parfois mentales autant que physiques) que nous infligeons systématiquement à des millions d’animaux. L’agriculture intensive, les abattoirs, la chasse sportive, les pièges, les animaux dans les spectacles, le traitement des animaux de compagnie, la pêche, et ainsi de suite. C’est pourquoi je suis devenue végétarienne. C’est pourquoi j’encourage et j’essaie d’aider tous ceux qui s’efforcent d’alléger la peine et la souffrance des animaux dans le monde.
Jane Goddall. Photographie © CBS/Landov.
Mongabay.com: Parmi vos succès dans la défense de la nature, lesquels ont dépassé vos espérances?
Jane Goodall: Ce qui a commencé avec moi seule sur le terrain s’est transformé en une station de recherche. Le premier « Jane Goodall Institute » (JGI) a été enregistré en Amérique en 1977, pour la protection des chimpanzés (et d’autres primates), ce qui bien sûr comprenait la préservation des forêts. Et depuis le début, sa mission fut aussi de s’occuper des chimpanzés en captivité, et d’éduquer les gens sur l’importance de notre mission. Je n’aurais pas pu imaginer que le nombre de JGI se multiplierait dans le monde, il y en a maintenant dans 29 pays, en Afrique, en Amérique, en Europe, en Asie et au Moyen Orient, qui partagent tous la même mission.
Alors que je survolais le tout petit Parc National de Gombe en 1990, je fus horrifiée de voir des collines dénudées là où il y avait eu une épaisse forêt. C’est ainsi qu’est née TACARE. Des programmes similaires sont maintenant gérés par d’autres JGI en Ouganda, RDC, Congo-Brazzaville, et au Sénégal. Et partout ces programmes sont conçus pour aider les gens et créer des partenariats locaux pour protéger et préserver l’environnement et les espèces qui y vivent. Je n’aurais jamais pu espérer de tels programmes lorsque j’ai commencé (en fait ils n’étaient pas nécessaires en 1960 car les forêts abritant les chimpanzés s’étendaient à travers l’Afrique centrale, c’était la ceinture forestière équatoriale).
Je n’aurais pas non plus imaginé à l’époque, qu’un programme pour les jeunes que j’avais démarré, se propagerait à travers le monde, comme l’a fait « Roots & Shoots ». Et bien sûr, l’un des rôles majeurs de Roots & Shoots est de protéger et restaurer l’environnement, et d’œuvrer pour aider les animaux.
Mongabay.com: Et pour l’envers de la médaille, quels sont les échecs de la protection de la nature?
Jane Goodall: Les programmes de protection qui isolent une partie de la nature sans essayer d’impliquer les gens qui vivent autour ont peu de chances de réussir, en tout cas dans les pays en développement ou tant de gens vivent dans la misère.
Roots & Shoots : Jane Goodall et des membres de Roots & Shoots plantent des arbres à Singapour. © Chris Dickinson
Mongabay.com: Quels sont selon vous les plus grosses lacunes ou les meilleures chances dans la défense de la nature?
Jane Goodall: Je souhaite toujours qu’il y ait plus de partenariats et de partage de ressources. Le JGI essaie de s’associer avec le plus de programmes possibles. Malheureusement, la concurrence pour le financement fait que beaucoup d’organisations se méfient de tels partenariats. Davantage encore quand les égos de chacun sont en jeu.
Mongabay.com: Êtes-vous particulièrement enthousiaste par rapport à de nouvelles idées, des innovations ou une technologie émergente dans la protection de la nature?
Jane Goodall: Le JGI a forgé des partenariats avec Esri, Google Earth, Digital Globe et la NASA. Le Docteur Lilian Pintea du JGI a établi ces liens grâce auxquels nous avons des compétences de pointe en cartographie, qui permettent aux populations locales de voir précisément ce que veut dire la restauration de l’habitat, et comment la protection du bassin hydrologique peut être bénéfique pour l’avenir de leurs villages et pour la nature. Google Earth a fourni des tablettes rechargeables à l’énergie solaire. Des gardes forestiers, volontaires des villages, sont formés à leur utilisation. Ils ont fait une liste de tout ce qu’ils pensent devoir être fait, et les tablettes sont conçues pour les aider à répertorier tout cela.
À mesure que les gardes sont formés, par le JGI et d’autres organismes, cette information peut alimenter le « Global Forest Watch ». Cela nous donnera bientôt une image plus claire de ce qui se passe dans les forêts du monde entier.
Aujourd’hui, l’ADN d’un chimpanzé (ou d’autres animaux) peut être déterminé par l’analyse de matières fécales. Une fois établis les profils ADN de tous les chimpanzés de Gombe, nous avons été capables, pour la première fois, de déterminer qui étaient les pères des différents jeunes. Et si un chimpanzé inconnu est repéré, l’analyse ADN déterminera si il est lié ou non à l’un des chimpanzés de Gombe et prouvera ainsi l’efficacité de nos corridors.
Ce mois-ci, du 17 au 23 Novembre, la “ The Thin Green Line Foundation” a lancé une nouvelle campagne de sensibilisation «Go Green for Rangers». Dans la video ci-dessous, le Dr. Jane Goodall soutient Sean Willmore et la “Thin Green Line Foundation” dans leurs efforts pour protéger et soutenir tous les gardes forestiers. |
Les pièges photographiques aident de nombreux scientifiques qui travaillent avec des animaux farouches, ou qui souhaitent récolter des informations sans déranger les animaux. Les drones permettent aussi l’observation, surtout dans la lutte contre le braconnage. Les réseaux sociaux peuvent maintenant être considérés comme un outil puissant pour amener les gens à se joindre à une campagne, pour faire entendre sa voix ou récolter des fonds, et pour la sensibilisation.
Impliquer les jeunes n’est pas vraiment une nouvelle idée, mais cela se fait de plus en plus et avec un impact immense. J’ai reçu juste hier un chèque de 150 dollars qui ont été récoltés par une petite fille de huit ans pour nous aider à nous occuper des chimpanzés orphelins de notre grand sanctuaire de Tchimpounga. Elle récolte régulièrement de l’argent en vendant de la citronnade maison. Il y a littéralement des milliers de jeunes qui récoltent de l’argent, qui font de la sensibilisation et , le plus important, qui remontent leurs manches pour retirer des plantes invasives de certains écosystèmes, qui plantent des arbres, qui surveillent les migrations des papillons monarques, de divers oiseaux, et ainsi de suite. C’est une armée énorme et enthousiaste, déterminée à sauver l’environnement et les animaux qu’ils aiment.
Mongabay.com: Comment voyez-vous Gombe dans cinquante ans?
Jane Goodall: J’espère qu’il y aura toujours une station de recherche, qui suivra les arrières petits-enfants de mes amis chimpanzés des débuts. Après tout, les chimpanzés peuvent vivre jusqu’à soixante ans (parfois plus), cela prendra donc au moins cent ans pour répondre à certaines des questions qui nous intéressent concernant « l’inné » et « l’acquis », l’héritage génétique, la transmission de comportements individuels par l’observation, l’imitation et l’entraînement. Nous enregistrerons les effets du changement climatique et travaillerons encore avec les populations locales, qui seront bien plus « développées », mais comprendront le besoin de protéger le bassin hydrologique et l’environnement pour l’éco-tourisme. Les méthodes agricoles seront encore plus respectueuses de l’environnement qu’aujourd’hui. Les populations locales seront fières de leur flore et de leur faune, particulièrement des chimpanzés.
Mongabay.com: Considérant vos nombreux succès et distinctions, de quoi êtes-vous le plus fière?
Jane Goodall: D’avoir aidé les gens à comprendre que les animaux ne sont pas juste des « choses », mais des êtres sensibles et doués de connaissances, avec une individualité, un esprit et des émotions. Et d’avoir créé « Roots & Shoots ».
Mongabay.com: Beaucoup de gens veulent aider à protéger la nature, mais ne savent pas comment faire à part en donnant de l’argent. Que peut-on faire d’autre pour assurer la survie des nombreuses espèces en danger dans le monde?
Jane Goodall: L’argent peut être important, mais la sensibilisation est aussi importante, à travers les réseaux sociaux, des articles, des livres.
Jane Goodall: 50 ans à Gombe |
Éduquer les jeunes, y compris en développant des cursus dans les écoles. Et créer des groupes « Roots & Shoots »!
Prendre part à des campagnes, alerter les autres par les réseaux sociaux.
Travailler, bénévolement ou non, pour des projets de protection de l’environnement.
Et finalement comprendre que chaque individu laisse en quelque sorte son empreinte chaque jour. Ne jamais oublier que chaque personne compte, que vous avez un rôle à jouer dans cette vie, que ce que vous faites, chaque jour, fait vraiment une différence. Pensez aux conséquences des petits choix que vous faites, ce que vous achetez, mangez, les vêtements que vous portez, etc. Où cela a-t-il été fabriqué ? Est-ce que cela a causé une destruction de l’environnement (de forêt par exemple, ou une utilisation intensive de pesticides ou herbicides chimiques, ou de cultures génétiquement modifiées) ou fait souffrir des gens (par le travail forcé des enfants, ou dans des ateliers clandestins). Y a-t-il eu souffrance d’animaux (fermes d’élevage intensif, vêtements Angora de Chine où la laine est prise sur des lapins vivants, foie gras obtenu en gavant de force des oies et des canards avec un tube de métal enfoncé dans leur gorge, ou toute autre pratique cruelle). Quand des milliards de personnes feront les bons choix environnementaux, et sociaux, des changements majeurs se produiront.