- Des ONG et organisations autochtones venues des quatre continents ont dénoncé, à Belém, à travers une déclaration, le Tropical Forest Forever Facility, ce mécanisme accusé d’aggraver l’endettement et la financiarisation de la nature.
- Proposé par la présidence de la COP30, le TFFF prévoit un fonds d’investissement de 125 milliards USD piloté par la Banque mondiale et des investisseurs privés.
- Les acteurs de la société civile rencontrés critiquent un modèle « colonial », qui ne s'attaque pas aux causes structurelles de la déforestation, telles que l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles, l’accaparement des terres et la marginalisation des peuples autochtones.
- Ils appellent à un mécanisme alternatif public, stable, dirigé par les communautés locales, reconnaissant les droits de la nature et compatible avec la justice climatique.
Samedi 8 novembre 2025, dans un amphithéâtre improvisé à l’ambassade des peuples à Belém, la chaleur moite se mêle aux discussions tendues. En marge des négociations officielles, des représentants de la société civile venus d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie et d’Europe ont pris la parole d’une même voix pour dire non au Tropical Forest Forever Facility (TFFF), ce mécanisme phare mis en avant par la présidence de la COP30.
Parmi eux, des organisations membres de la Global Forest Coalition (GFC), des réseaux autochtones d’Amazonie, d’Afrique centrale, d’Asie du Sud-Est, mais aussi des mouvements écologistes européens. Une diversité qui contraste avec ce qu’ils qualifient de mécanisme « imposé d’en haut ».
Dans la salle, Sila Mesquita, défenseure autochtone colombienne du collectif Trabalho Amazônico, prend la parole d’une voix posée, mais chargée d’émotion.
« Nous venons ici avec nos corps et nos territoires. Pourtant, encore une fois, on nous demande de croire à un système qui promet des milliards sans rien garantir pour celles et ceux qui protègent vraiment les forêts », dit-elle.
Elle marque une pause, puis ajoute : « Le TFFF n’est pas une solution pour nous. C’est une structure pensée loin de nos réalités, sans nos voix, sans nos décisions. Nous ne sommes pas les bénéficiaires d’une aide, nous sommes les gardiennes de ces territoires. Et ce mécanisme ne nous reconnaît pas comme telles ».
Pour elle, le TFFF « transforme encore une fois nos forêts en actifs financiers, alors que nous, peuples autochtones, demandons simplement que nos droits soient respectés et que nos territoires soient protégés des industries extractives ».
Devant la presse internationale, les organisations ont présenté une déclaration officielle, dénonçant les risques du TFFF. Ce texte, désormais signé par des dizaines de groupes autochtones et des ONG, constitue aujourd’hui la principale contestation mondiale du mécanisme.

Une déclaration commune contre le TFFF
Selon la déclaration lue publiquement par les organisations de la société civile à Belém, le Tropical Forest Forever Facility « repose sur une compréhension fondamentalement erronée de la protection des forêts ». Le texte affirme que l’initiative réduit la déforestation à « une simple défaillance du marché que l’on corrigerait en attribuant une valeur financière aux services écologiques pour attirer les capitaux privés ».
Plus clairement, indique la déclaration, « cette vision prolonge et aggrave la financiarisation de la nature, en reproduisant les mécanismes économiques, coloniaux et extractivistes qui ont contribué à l’effondrement écologique mondial. Le TFFF ne reconnaît pas les forêts comme des systèmes vivants, dotés de droits fondamentaux à la régénération et à l’intégrité écologique ».
Le document appelle par ailleurs à des alternatives « capables d’adresser les causes structurelles de la déforestation », de « soutenir la restauration écologique » et de reposer sur « des financements publics fiables, indépendants des marchés financiers et issus, par exemple, de budgets militaires ou de subventions aux énergies fossiles ».
Il précise que ces ressources doivent être « directement accessibles aux peuples autochtones et aux communautés locales », renforcer « la gouvernance communautaire » et reconnaître « les forêts, rivières et écosystèmes comme des sujets de droits ».
La voix togolaise s’oppose
Parmi les intervenants présents à Belém, Kwami Kpondzo, directeur exécutif du Centre pour la justice environnementale (CJE-Togo), a livré une critique sans ambiguïté. « Le TFFF est une escroquerie, un héritage colonial, qui ne s’attaque pas aux causes structurelles de la déforestation, à tous ces projets qui ont détruit nos forêts. S’il ne permet pas d’arrêter la déforestation, nous n’en avons tout simplement pas besoin ».
Pour lui, le mécanisme détourne l’attention des États et de la communauté internationale des véritables priorités. « Nous voulons un nouveau système sans financiarisation de la nature, construit par et pour les peuples autochtones et les communautés locales. Le TFFF est une distraction, une fausse solution à la crise climatique ».
Il insiste aussi sur la nécessité des financements publics, stables et orientés vers les communautés. « Les solutions doivent venir du terrain. Les fonds doivent être suffisants, accessibles sans intermédiaires, et issus de ressources publiques, y compris la réaffectation des budgets de défense ou des subventions aux combustibles fossiles », dit-il.
Ce fonds ne changera rien à la déforestation Pour Diel Mochire, point focal Afrique de la Global Forest Coalition, le problème est clair. « Ce fonds ne changera rien à la déforestation si ceux qui la subissent n’ont aucun pouvoir de décision. Le TFFF met encore les financiers aux commandes et laisse les communautés en bout de chaîne. Nous disons : il ne faut pas améliorer le TFFF, il faut un système totalement différent ».
Il poursuit : « Nous avons besoin des mécanismes qui reconnaissent nos droits fonciers, qui garantissent la participation économique des communautés, et qui ne dépendent pas des marchés financiers. Les forêts du Congo et de l’Amazonie ne peuvent pas être gérées par les mêmes logiques que Wall Street ».
Une autre voix autour de la table renforce le diagnostic, celle de Stéphane Pouffary, président d’honneur d’Énergie 2050, un réseau international basé en France, et dont le domaine d’intervention est la transition urbaine, les ressources naturelles, l’art et les droits des populations autochtones. « On dit que cette COP est celle des peuples autochtones. Oui, ils sont présents par milliers. Mais la vraie question est ailleurs : retrouve-t-on leurs voix dans les CDN, dans les plans nationaux d’adaptation ou les demandes de financement ? Très peu, et c’est bien là le problème ».
Il donne un exemple frappant : « Dans le bassin du Congo, les Pygmées ont été exclus de leurs terres au nom de la conservation, alors qu’ils en étaient les meilleurs gardiens. Pourquoi ne pas les associer réellement à la gestion et aux revenus générés ? Ce serait une vraie reconnaissance de leurs droits ».
Pour lui, les promesses internationales ne valent rien sans action concrète. « Tant que les droits fonciers et la participation économique des peuples autochtones ne seront pas sanctuarisés, nous resterons dans le discours. Le plaidoyer sans action, c’est encore du vent ».

Un fossé grandissant
Le débat autour du TFFF met au jour une tension profonde, qui traverse cette COP30 et qui se situe entre une diplomatie climatique axée sur les grands mécanismes financiers et des mouvements de justice écologique réclamant des solutions ancrées dans les territoires.
À Belém, cette fracture est palpable. Tandis que les négociateurs défendent un fonds de plusieurs milliards, les peuples autochtones rappellent que la reconnaissance de leurs droits fonciers protégerait davantage de forêts que n’importe quel investissement financier.
Pour les opposants, l’enjeu du TFFF dépasse sa structure financière : il touche au cœur de la gouvernance mondiale du climat, à la légitimité des mécanismes de financement et à la place réelle accordée aux peuples autochtones dans les décisions qui les concernent.
Dans leur déclaration à Belém, les organisations signataires affirment leur engagement à soutenir les luttes locales contre les projets d’exploitation des ressources naturelles et les fausses solutions climatiques.
Selon elles, le TFFF risque de mettre en péril cette solidarité et de détourner les ressources publiques au profit de mécanismes opaques sous contrôle d’acteurs financiers du Nord.
Alors que les négociations se poursuivent derrière les murs officiels de la COP30, la contestation venue des rives de l’Amazone rappelle une chose : sans justice écologique, aucune solution climatique ne pourra être durable.
Image de bannière : De gauche à droite : Janaina Uemura, militante pour le climat à la Global Forest Coalition ; Sila Mesquita, Grupo de Trabalho Amazónico ; une femme autochtone de Colombie ; Mary Louise Malig, directrice des politiques à la Global Forest Coalition ; Kwami Kpondzo, Directeur exécutif du Centre pour la Justice Environnementale au Togo ; Satrio Manggala, WALHI/Les Amis de la Terre Indonésie. Image fournie par Hector Sann’do Nammangue depuis Bélem.
COP30 : Un optimisme prudent accueille le nouveau fonds mondial pour les forêts
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