- Héritée de pratiques anciennes, la haie vive, une barrière verte, connaît un regain d’intérêt face au changement climatique et aux tensions croissantes entre éleveurs et agriculteurs.
- À Amkhalbate, Zakaria Khalid Fachir a mis cinq ans pour entourer ses champs de maïs et de mil d’une ceinture verte, augmentant ses rendements de 30 %.
- Dans la province du Guéra, les autorités agricoles estiment que cette technique simple peut sauver jusqu’à cinq tonnes de sols fertiles, par hectare, chaque année.
- Au delà de la protection des champs, la haie vive apaise les conflits intercommunautaires et devient un atout majeur pour la sécurité alimentaire.
Le soleil cogne fort, ce matin-là, sur Amkhalbate, village poussiéreux situé à une quinzaine de kilomètres de Mongo, au centre du Tchad. Le vent sec soulève des nuages de sable qui brûlent la peau et brouillent la vue. Mais à l’entrée de son champ, Zakaria Khalid Fachir, chef de village et agriculteur, esquisse un sourire de satisfaction.
Devant lui, une ligne dense d’arbustes épineux forme une ceinture verte protectrice autour de ses parcelles de maïs et de mil. Derrière cette barrière végétale, l’air est plus frais, la poussière retombe et ses cultures résistent aux bourrasques.
« Sans cette haie, je n’aurais presque rien à récolter », confie-t-il en caressant une branche d’acacia. « Mes parents utilisaient déjà cette pratique, mais elle était rare, peu vulgarisée. Aujourd’hui, elle est devenue indispensable pour moi ».
Le Tchad, vaste pays sahélien au climat aride, vit depuis des années une insécurité alimentaire chronique. Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), plus de 3,7 millions de personnes, soit près de 20 % de la population, vivent actuellement en situation d’insécurité alimentaire sévère.
Cette crise résulte d’une combinaison de facteurs : les conflits armés persistants, l’instabilité politique, l’afflux massif de réfugiés soudanais depuis 2023, qui accentue la pression sur les ressources locales, mais aussi une agriculture rudimentaire, largement dépendante des précipitations.
Les inondations dévastatrices ravagent régulièrement les cultures pluviales dans le sud du pays, tandis que le centre et le nord doivent composer avec des sécheresses récurrentes et une avancée inexorable du désert. Cette double menace fragilise les ménages ruraux, pris entre le trop-plein d’eau et l’absence de pluie.
Dans ce contexte, des solutions locales émergent pour renforcer la résilience des communautés. Parmi elles, la pratique des haies vives s’impose progressivement comme une barrière verte capable de protéger les cultures et de sécuriser la production.

Une solution simple mais efficace
Dans la province du Guéra, au centre du Tchad (environ 500 kilomètres de la capitale N’Djamena), les champs s’étendent à perte de vue, mais sont de plus en plus exposés aux vents violents, à l’érosion et aux incursions d’animaux errants. Face à ces défis, une solution ancestrale, remise au goût du jour, refait surface : la haie vive, un rempart naturel qui protège les cultures tout en régénérant l’environnement.
Hamza Mahamat Zène, délégué provincial de l’Agriculture, affirme qu’un champ protégé par une haie vive produit entre 20 et 40 % de rendement supplémentaire par rapport à un champ exposé.
Pour son collègue Alexandre Homi, délégué provincial de l’Environnement, les bénéfices vont bien au-delà de la production : « Les haies réduisent l’érosion, retiennent l’humidité, produisent de la matière organique et stockent du carbone. Chaque arbre planté est un soldat contre l’avancée du désert ».
Les services agricoles confirment ces observations : un hectare protégé permet d’économiser jusqu’à cinq tonnes de sols fertiles par an, autrement emportés par le vent ou les pluies. Ces résultats rejoignent une étude de 2021, menée au Sénégal, dans le bassin de Thyssé Kaymor, montrant que les haies vives isohypses améliorent la gestion de l’eau dans le sol, réduisent le ruissellement et augmentent les rendements.
Héritage et résilience : l’histoire d’un champ protégé
Zakaria Khalid Fachir, sexagénaire, explique avoir hérité cette technique de son père et de son grand-père. À l’époque, planter des arbustes autour d’un champ n’était qu’une précaution secondaire. Les terres étaient vastes, les animaux erraient sans grande contrainte et les conflits intercommunautaires, bien que présents, restaient sporadiques.
« Avant, il y avait de la place pour tout le monde », dit-il. « Mais maintenant, la population a explosé, les terres se sont réduites et les sécheresses sont devenues fréquentes. Nous vivons collés les uns aux autres : hommes, bêtes et champs ».

Face à ce déséquilibre, la haie vive est devenue pour lui « un héritage réinventé », adapté à une époque où le climat est de plus en plus imprévisible, et où les relations entre agriculteurs et éleveurs sont souvent tendues.
Son champ, Zakaria l’appelle désormais « sa banque verte ». Il l’a protégé grâce à une haie faite d’acacias, de jujubiers et de moringas. Mais il a fallu du temps et de la persévérance. « J’ai mis plus de cinq ans pour constituer cette ceinture », dit-il. « Au début, j’arrosais chaque matin et chaque soir grâce à un forage solaire. C’était comme élever un enfant. Mais aujourd’hui, je dors tranquille ».
Les résultats sont tangibles : l’an dernier, Zakaria a rempli dix sacs de mil supplémentaires, un surplus inespéré dans cette région où chaque grain compte. Ses enfants trouvent désormais de l’ombre sous les arbustes, et sa famille récolte aussi des feuilles de moringa, riches en nutriments, pour agrémenter la sauce.
Exploitation des terres et surexploitation des pâturages
En Afrique tropicale, l’agriculture traditionnelle reposait autrefois sur la culture itinérante, avec de courtes périodes de culture et de longues jachères. Ce système, peu productif par hectare, mais en équilibre avec l’écosystème, garantissait la restauration naturelle de la fertilité des sols.
Depuis un demi-siècle, la pression due à l’augmentation de la population, l’extension des terres cultivées et l’augmentation du cheptel ont profondément bouleversé cet équilibre. Les jachères se sont raccourcies, les périodes de culture se sont prolongées et les sols se sont progressivement appauvris.

La généralisation des cultures de rente et l’introduction de la traction animale ont accentué l’exploitation des terres, tandis que la multiplication du bétail a entraîné une surexploitation des pâturages. Cette situation a provoqué la dégradation physique et chimique des sols, la baisse continue de leur fertilité, la raréfaction des espèces végétales et animales utiles, ainsi que la disparition du couvert végétal. Résultat : l’environnement se fragilise et la pauvreté des populations s’aggrave.
Pour répondre à ces défis, les chercheurs et acteurs du développement soulignent l’importance d’améliorer la gestion des sols et de la végétation. L’agroforesterie, en particulier l’intégration d’arbres et d’arbustes dans les systèmes agricoles, offre une solution durable.
Les haies vives défensives constituent un exemple concret : elles protègent les terres contre l’érosion, restaurent leur fertilité, fournissent du bois et du fourrage et sécurisent l’usage des espaces cultivés. Elles apparaissent ainsi comme un outil essentiel pour concilier agriculture, élevage et préservation de l’environnement, dans les zones soudano-sahéliennes.
Un outil de paix dans une région fragile
Dans le Guéra, la haie vive n’est pas seulement une réponse agricole. Elle est aussi un outil de paix. « Quand une vache détruit un champ, cela peut suffire à déclencher une bagarre, parfois même des affrontements sanglants », explique Alexis Noubarangué, chef secteur de l’Agence nationale de développement rural (ANADER). « Une haie vive réduit considérablement ce risque, car elle trace une frontière claire et respectée ».
Autrefois, les agriculteurs utilisaient des « haies mortes », faites de branches coupées, à renouveler chaque année. Mais cette pratique contribuait à la déforestation et à la désertification. Aujourd’hui, la haie vive constitue une clôture durable, qui protège sans détruire.

À Oyo, village situé à 7 kilomètres de Mongo, Jonas Deguesse, jeune cultivateur, témoigne : « Ce n’est pas seulement une barrière. C’est du bois de chauffe, des fruits et de l’ombre. Ma femme cueille les feuilles de moringa pour la sauce. Quand tu en manges, tu sens que ton corps reprend des forces ».
À Bitkine, plus au sud, Amina Abakar, mère de six enfants, se souvient de ses larmes devant des tomates piétinées par les chèvres. Aujourd’hui, son potager est protégé par des ziziphus épineux. « Grâce à ma haie, je peux vendre mes légumes au marché de Mongo. Avec l’argent, j’achète les cahiers de mes enfants », dit-elle en souriant. Puis, elle conclut : « Ma haie, c’est ma sécurité ».
Un maillon de la Grande Muraille Verte
Le Tchad n’est pas un cas isolé. Dans tout le Sahel, la haie vive connaît un regain d’intérêt, preuve que les communautés sahéliennes réinventent leurs pratiques pour survivre dans un environnement hostile.
Le défi reste immense : le coût des plants, le manque de formation technique et l’entretien régulier freinent la généralisation. Beaucoup de paysans ignorent encore ses avantages. « Les freins sont d’ordre technique, économique et socio-culturel. Certains paysans n’ont pas accès aux plants, et beaucoup ignorent quelles espèces sont les mieux adaptées », souligne Alexandre Homi, délégué provincial de l’Environnement du Guéra.
Pourtant, la haie vive constitue un maillon de la Grande Muraille Verte, ce projet panafricain visant à créer une barrière végétale du Sénégal à Djibouti.
Dans ce cadre, chaque haie plantée, qu’elle soit à Amkhalbate ou ailleurs dans le Sahel, s’ajoute à une mosaïque de solutions locales contre la désertification et pour la résilience climatique.
Image de bannière : Zakaria, sexagénaire, explique avoir hérité de la technique de la haie vive de son père et de son grand-père. Image de Rimteta Ngarndinon pour Mongabay.
Citation :
Diatta, M., Faye, E., Grouzis, M. & Perez, P. (2001). Importance de la haie vive isohypse sur la gestion de l’eau, du sol et le rendement des cultures dans un bassin versant de Thyssé-Kaymor, Sénégal. Sécheresse, 12 (1), p. 15-24. ISSN 1147-7806.
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