- Contrairement à ce que l'on croit, le lac Tchad n'est pas en train de rétrécir. De nouvelles recherches montrent qu'il est en train de gagner en volume.
- Cependant, les pluies plus intenses dans la région, ajoutées aux conséquences d'une sécheresse historique, augmentent le risque d'inondation.
- La région est également frappée par des conflits et une insécurité continus, ce qui complique l'adaptation de la population aux effets du changement climatique.
- Un projet de la Fédération luthérienne mondiale travaille en collaboration avec les communautés du bassin du Tchad sur l'agriculture et la pêche durables, la restauration des terres, la résolution des conflits et bien d'autres sujets encore.
Les communautés vivant autour du lac Tchad ont toujours vécu au rythme de l’eau. À mesure que les effets du changement climatique s’intensifient, elles doivent trouver de nouveaux moyens de s’adapter.
Le bassin du Tchad se situe dans le Sahel, à la limite sud du Sahara. Ce bassin immense couvre 2,5 millions de kilomètres carrés et traverse huit pays. Le lac Tchad, cette source d’eau surprenante sur une terre aride, se trouve à l’extrémité de ce bassin hydrographique. On estime que 3 millions de personnes vivent près du lac et 49 millions dépendent de ses ressources.
Le lac est alimenté par le Chari, le Logone et d’autres rivières, affluentes uniquement. Ce système de drainage fermé est sensible aux changements climatiques et à la quantité de pluie dans le bassin versant. Étant donné que le lac est large et peu profond, avec une profondeur moyenne de moins de 3 mètres, les changements dans les précipitations ont un effet considérable sur sa taille. Il gagne ou perd en eau en fonction des saisons et des années.
Mais les changements les plus marquants se sont produits au fil des décennies. Dans les années 1960, les eaux du lac Tchad couvraient 25 000 kilomètres carrés, ce qui le plaçait au sixième rang mondial des lacs les plus grands. Puis, dans les années 1970 et 1980, alors que la sécheresse frappait la région, le lac Tchad a commencé à se rétrécir.

Au milieu des années 1980, le lac ne couvrait plus que 2000 kilomètres carrés, soit moins d’un dixième de sa taille originelle. La diminution de l’eau a entraîné la division du lac en deux bassins, l’un au nord et l’autre au sud, séparés par une bande de sable végétalisée appelée la Grande Barrière.
Ce changement rapide et radical, ainsi que son impact sur les moyens de subsistance, ont suscité l’inquiétude. Les sécheresses des années 1960 et 1970 ont constitué l’un des premiers impacts à grande échelle du changement climatique anthropique de notre époque, et ce lac, en voie de disparition, est devenu un exemple du réchauffement climatique.
Cependant, des recherches plus récentes révèlent que le lac n’est pas en train de disparaître et que le changement climatique a un impact plus nuancé sur la région.
Le Sahel connaît une alternance de longues périodes humides et sèches. Depuis les années 1990, et plus particulièrement depuis 2010, la saison des pluies est de retour. Une étude réalisée en 2020 par la revue Scientific Reports a révélé que l’étendue du lac Tchad était restée stable au cours des vingt années précédentes et que le volume des eaux souterraines avait augmenté durant cette période. Selon les auteurs de l’étude, « au cours des deux dernières décennies, le lac Tchad ne s’est pas rétréci et récupère de manière saisonnière son étendue et son volume d’eau de surface ».
Une étude plus récente, réalisée en 2024 par Scientific Reports, met à jour ces chiffres et constate qu’en 2022, le volume total d’eau atteignait 18 800 kilomètres carrés. Certaines des études précédentes ne prenaient en compte que les eaux de surface. Celle-ci inclut la végétation submergée d’eau.
« [Le lac Tchad] est passé de 25 000 kilomètres carrés dans les années 1960 à 2500 kilomètres carrés au milieu des années 1980, suite aux grandes sécheresses qu’a connues la région, pour revenir à environ 14 000 kilomètres carrés en 2013 et 24 500 kilomètres carrés aujourd’hui en 2024 », écrit dans un e-mail Abdallah Mahamat-Nour, enseignant et chercheur à l’université de N’Djaména et co-auteur de l’étude de 2024. (Il précise que les chiffres mentionnés pour 2024 n’ont pas encore été publiés).
Cependant, malgré le volume d’eau dans l’ensemble du système du lac, le bassin nord ne s’est pas encore complètement rétabli. L’étude indique que cela pourrait être dû à la quantité de végétation qui recouvre désormais le bassin nord et la Grande Barrière. Cette végétation entraîne une évapotranspiration plus importante et peut également bloquer la circulation de l’eau entre les bassins.

Les inondations, un risque croissant
Les communautés vivant autour du lac ont développé des moyens de tirer profit de sa nature changeante. Cependant, le changement climatique a également un impact sur les précipitations, ce qui entraîne d’autres problèmes.
« Tous les deux ans depuis 2020, nous vivons des années très humides », explique Mahamat-Nour à Mongabay. « Le changement climatique et les températures élevées ont entraîné une augmentation de l’évaporation, ce qui charge l’atmosphère en humidité. Cela entraîne des pluies plus intenses et concentrées sur de courtes périodes, ce qui augmente le risque d’inondation soudaine au Sahel et en particulier dans le bassin du Tchad ».
Après les sécheresses extrêmes des années 1970 et 1980, les sols sont devenus durs et imperméables. Aujourd’hui, l’augmentation des températures et d’autres changements climatiques entraînent des précipitations plus irrégulières, ce qui augmente d’autant plus le risque d’inondation. La déforestation et l’urbanisation aggravent le problème, explique Mahamat-Nour.
Des inondations catastrophiques ont frappé le bassin du Tchad en 2022 et 2024, entraînant le déplacement de millions de personnes et l’inondation des terres agricoles. En 2022, 19 des 23 provinces situées dans la partie sud du bassin ont été inondées, touchant près de 1,5 million de personnes.
Les analyses réalisées par le World Weather Attribution concernant les inondations de 2022 ont montré que le changement climatique a multiplié par 80 la probabilité des pluies et qu’elles ont été plus intenses de 20 %.
Le modèle climatique montre que cette tendance va probablement s’accentuer, selon l’étude de 2024 publiée dans Scientific Reports. Les auteurs estiment que, selon les prévisions actuelles, le bassin du Tchad pourrait connaître des inondations de cette ampleur tous les 2 à 5 ans. « Selon les rapports et les hypothèses du GIEC, nous assisterons à une augmentation des précipitations extrêmes de 10 à 30 % d’ici à 2050. Cette intensification des précipitations augmenterait le risque de débordement des rivières Chari et Logone », écrit Mahamat-Nour.
Les auteurs de l’étude mettent également en garde contre les effets dévastateurs d’un débordement de ces rivières, qui se trouvent dans certaines des régions les plus peuplées du Tchad. Selon Mahamat-Nour, la Commission du bassin du lac Tchad, qui compte huit pays membres, doit être renforcée afin d’assurer une meilleure gestion transfrontalière. « Cette période doit être mise à profit pour développer les infrastructures et diversifier l’économie locale, afin de réduire la dépendance à l’égard du lac », ajoute Mahamat-Nour.

S’adapter à l’évolution des conditions climatiques
Depuis de nombreuses années, les communautés vivant près du lac Tchad ont développé des stratégies pour tirer profit des variations du niveau de l’eau. Elles pratiquent notamment différents types d’agriculture, se tournent vers d’autres activités telles que la pêche à certaines saisons et se déplacent vers des zones plus favorables.
Par exemple, certains plantent du riz dans les zones récemment inondées, explique Jean de Marie Orhaciyumya Kabunga, responsable de projet auprès de la Fédération luthérienne mondiale au Tchad. D’autres surveillent les niveaux d’eau et, lorsqu’ils commencent à diminuer, plantent des cultures qui se développent rapidement, comme les légumes. Ceux-ci peuvent ainsi être récoltés avant le début de la saison sèche. Pendant la saison sèche, de nombreuses personnes se tournent vers la pêche. D’autres se tournent vers le petit commerce, vendant des marchandises pour obtenir de petites sommes d’argent.
Cependant, la nature instable et imprévisible du climat fait que ces activités peuvent désormais se retourner contre eux. Les pluies étant très imprévisibles, il est difficile de savoir quand elles vont arriver et combien de temps elles vont durer, explique Kabunga. Il est donc plus difficile de savoir quoi et où planter. « Et lorsqu’ils ne s’attendent pas à ce que l’eau arrive, une inondation survient et détruit tout sur son passage », ajoute-t-il.
Selon une étude publiée en 2024 par PLOS Climate, les conflits et l’insécurité liés à l’émergence de Boko Haram et d’autres groupes armés aggravent le problème. À cela, s’ajoutent les impacts climatiques, le tout rendant les stratégies d’adaptation traditionnelles plus difficiles à mettre en œuvre.
Janani Vivekananda, co-auteur de l’étude, a declaré à Mongabay en 2025 : « Auparavant, l’agriculture locale reposait sur trois stratégies d’adaptation : l’agriculture pluviale, l’agriculture irriguée par les rivières et la culture du riz près du lac. Par le passé, ces trois méthodes ne pouvaient pas échouer simultanément. Cependant, les contraintes actuelles, causées par des précipitations irrégulières, des problèmes de sécurité et des conflits armés, restreignent ces stratégies ».
La Fédération luthérienne mondiale (FLM) travaille dans 69 villages au Tchad et au Cameroun, afin d’atténuer certains impacts du climat et des conflits dans le bassin du Tchad. Ce projet, réalisé en collaboration avec des partenaires canadiens, se concentre sur des solutions fondées sur la nature, notamment l’agriculture, la gestion de l’eau, la reforestation, la régénération naturelle assistée et la pêche durable, ainsi que sur la gestion des conflits et la réduction des risques de catastrophe. Le projet triennal vient de terminer sa première année.

L’un des objectifs du projet est de développer des pépinières et de cultiver plus d’une douzaine d’espèces d’arbres, dont le margousier, l’acacia et le moringa, en vue de leur distribution. Certains arbres seront utilisés pour l’ombre, d’autres pour l’agroforesterie ou pour aider à stabiliser les sols, la désertification étant un problème majeur dans la région. « Les populations sont très intéressées », assure Kabunga ; elles sont bien conscientes des avantages que les arbres apportent en termes d’ombre, de restauration des sols et plus encore.
Le projet étudie également les moyens d’aider les agriculteurs à s’adapter aux pluies plus imprévisibles. La saison sèche peut être très longue. Ils aident donc les communautés à se procurer des semences résistantes à la sécheresse, telles que le sorgho de décrue, le niébé et certaines variétés d’arachides. Certaines de ces semences proviennent d’instituts de recherche agricole du Tchad et du Cameroun, mais les quantités sont limitées, explique Mathieu Idjawo, coordinateur du programme de la FLM pour le Cameroun. Ils espèrent également introduire des systèmes d’irrigation à énergie solaire et construire des infrastructures telles que des puits, mais ils attendent toujours les autorisations nécessaires.
Kabunga explique que les agriculteurs creusent parfois des voies d’accès à la rivière pour irriguer leurs champs. Cette pratique est néfaste sur le plan écologique et peut provoquer des conflits entre différents groupes. L’amélioration de l’accès aux semences résistantes à la sécheresse et l’accès à l’irrigation permettront également de réduire la pression sur la pêche pendant la saison sèche.
Les auteurs de l’étude publiée en 2024 par PLOS Climate notent que « le lac pourrait être un moteur pour les moyens de subsistance durables et la stabilité dans la région, augmentant ainsi la sécurité alimentaire et réduisant la pauvreté ». Cependant, selon eux, les conflits dans la région, ainsi qu’un climat de plus en plus imprévisible, affaiblissent ce potentiel. Ils ajoutent que « toutes les activités de planification futures concernant la stabilisation, la consolidation de la paix et le développement durable dans la région doivent impérativement adopter une approche globale pour faire face aux risques de fragilité liés au climat ».
Image de bannière : Un champ inondé dans la province du Lac, au Tchad, en octobre 2024. La Fondation luthérienne mondiale (FLM) travaille avec des groupes d’agriculteurs dans le cadre de son projet triennal « Gender Transformative Climate Adaptation ». Image de Marie Renaux/FLM.
Références:
Pham-Duc, B., Sylvestre, F., Papa, F., Frappart, F., Bouchez, C., & Crétaux, J. (2020). The Lake Chad hydrology under current climate change. Scientific Reports, 10(1). doi:10.1038/s41598-020-62417-w
Sylvestre, F., Mahamat-Nour, A., Naradoum, T., Alcoba, M., Gal, L., Paris, A., … Gaya, D. (2024). Strengthening of the hydrological cycle in the Lake Chad basin under current climate change. Scientific Reports, 14(1). doi:10.1038/s41598-024-75707-4
Zachariah, M., Barnes, C., Wainwright, C., Balogun, R. A., Vondou, D. A., Adefisan, E. A., … & Otto, F. E. (2022). Climate change exacerbated heavy rainfall leading to large scale flooding in highly vulnerable communities in West Africa. World Weather Attribution https://www. worldweatherattribution.org/climate-change-exacerbated-heavy-rainfallleading-to-large-scale-flooding-in-highly-vulnerable-communities-in-west-africa/
Nagarajan C, Vivekananda J, Pham-Duc B, Sylvestre F, Pohl B, Morales Munoz H (2024) Peace in an extreme climate: How climate-related security risks affect prospects for stability in Lake Chad. PLOS Clim 3(10): e0000314. https://doi.org/10.1371/journal.pclm.0000314
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 28 février, 2025.