- Un rapport publié par l'Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), affirme que l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), compromet la souveraineté alimentaire en exerçant une influence directe sur les politiques agricoles africaines et en privilégiant une agriculture commerciale tournée vers l’exportation.
- AGRA affirme à Mongabay qu’elle promeut un modèle agricole centré sur les petits exploitants, élargissant leurs options et améliorant leurs rendements, afin de renforcer la sécurité alimentaire et la résilience en Afrique.
- L’AFSA recommande d’intégrer l’agroécologie dans les politiques publiques, de protéger les petits producteurs et de renforcer la participation de la société civile.
- Les experts pensent qu’il n’y a pas un modèle unique à privilégier et aucune approche agricole ne suffit à elle seule.
Un rapport d’investigation, publié le 03 septembre 2025, par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), affirme qu’au lieu d’aller vers l’atteinte de ses objectifs déclarés de réduction de la faim, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) oriente plutôt les politiques agricoles africaines vers une plus grande dépendance aux intrants industriels, au détriment de l’agroécologie et des petits exploitants agricoles.
« La motivation principale de cette investigation était la préoccupation croissante de nos membres et partenaires à travers le continent concernant l’influence grandissante de l’AGRA dans l’élaboration des politiques agricoles nationales, souvent en coulisses, avec peu de transparence ou de responsabilité », explique Million Belay, le coordonnateur général de l’AFSA, dans un courriel à Mongabay.
Il ajoute : « Un élément déclencheur spécifique a été l’évaluation indépendante de l’AGRA réalisée en 2022, commandée par ses propres bailleurs de fonds, qui a conclu que l’AGRA n’avait pas atteint ses objectifs de réduction de la faim et de la pauvreté ».
Le rapport intitulé : « Remettre en question la révolution verte. Dénoncer l’influence abusive de l’AGRA sur les politiques agricoles africaines », affirme que l’AGRA exerce une influence politique à plusieurs niveaux, sur les gouvernements et les organisations régionales et continentales agricoles et économiques avec lesquelles elle collabore, en plaçant des consultants dans les ministères et en pesant sur la rédaction de lois et des politiques agricoles.
Il cite le cas de la Zambie, où un consultant de l’AGRA aurait joué un rôle clé dans la rédaction et la promotion du « Comprehensive Agriculture Transformation Support Programme (CATSP) », un programme agricole qui vise à orienter la stratégie agricole nationale.
« Selon la Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity, ce consultant était la seule personne qui comprenait suffisamment le cadre pour présenter et expliquer le CATSP lors des réunions de validation. À l’époque, il semblait que même le personnel technique clé du ministère de l’Agriculture ne comprenait pas le cadre », dit le rapport.

Le rapport cite aussi les cas du Ghana, du Kenya et du Mali, où AGRA aurait influencé les décisions par le financement ou par les partenariats. « L’influence de l’AGRA s’étend au-delà des ministères nationaux, à des organisations régionales telles que le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), et à des plateformes continentales telles que le processus post-Malabo de l’Union africaine, où elle plaide en faveur de politiques qui mettent l’accent sur l’agriculture industrielle pilotée par les entreprises, et sur les intrants chimiques tels que les engrais et les pesticides synthétiques », indique le rapport.
Il est de coutume que les pays et les organisations fassent appel à des experts techniques pour les aider dans la mise en place de stratégies ou l’élaboration de documents.
Mongabay a demandé à AFSA comment leur enquête fait la distinction entre ce qui relève du choix souverain des États et ce qui est imposé ou guidé par l’AGRA. « Les États africains sont souverains, mais cette souveraineté peut être compromise, lorsque des acteurs financés par des fonds étrangers s’implantent dans les ministères, financent des consultants qui rédigent les politiques et financent des processus à huis clos, qui excluent les agriculteurs et la société civile », dit Belay.
« Notre enquête distingue les décisions souveraines de celles guidées par des acteurs extérieurs en suivant qui finance et rédige les politiques, documentant le caractère inclusif ou exclusif du processus de consultation, comparant les versions préliminaires des politiques avec les versions finales reflétant le langage et les priorités privilégiés par l’AGRA, et enfin en recueillant les témoignages de membres du gouvernement, de la société civile et d’agriculteurs. Ce schéma, financement externe, consultations restreintes et résultats favorables aux entreprises, suggère que l’AGRA ne se contente pas de soutenir les décisions souveraines, mais qu’elle les orchestre », ajoute-t-il.
AGRA affirme à Mongabay n’intervenir qu’à l’invitation des gouvernements, se défend de toute volonté d’imposer des politiques, et affirme apporter un appui technique qui renforce les capacités nationales sans les remplacer. Pour ce qui est de la Zambie, « le gouvernement gère depuis longtemps son programme national de subventions», dit Aggie Asiimwe Konde, directrice de la communication d’AGRA, à Mongabay.
« La contribution d’AGRA s’est limitée à des conseils techniques préliminaires et à la promotion de réformes visant à rendre le programme plus efficace, plus respectueux du climat et davantage centré sur les agriculteurs. Il est trompeur d’affirmer qu’AGRA contrôle les politiques ; les États africains demeurent les décideurs », précise-t-elle.

Marginalisation des petits agriculteurs
AFSA souligne également que l’orientation générale des politiques agricoles appuyées par l’AGRA favorise avant tout une agriculture pilotée par les entreprises. Selon le rapport, l’accent est mis sur le développement de chaînes de valeur commerciale tournées vers l’exportation, souvent au détriment des petits exploitants agricoles, qui restent marginalisés, moins soutenus et davantage dépendants d’intrants coûteux.
Le rapport cite plusieurs cas. En Zambie, « le CATSP a été élaboré dans le cadre d’un processus descendant et exclusif, marginalisant les principales parties prenantes et ignorant les approches agroécologiques alternatives ».
Au Ghana, la deuxième phase du programme Planting for Food and Jobs, lancée en 2023, « a marqué un tournant vers l’agriculture à grande échelle. Ce plan quinquennal vise à transformer le paysage agricole, en passant d’une agriculture à petite échelle à des opérations à plus grande échelle, et donne la priorité à l’agro-industrie plutôt qu’aux petits exploitants ».
Au Kenya, « les initiatives de l’AGRA ont été critiquées, parce qu’elles profitent de manière disproportionnée aux grandes opérations commerciales et aux acteurs du secteur privé. La marginalisation des petits exploitants agricoles et la priorité donnée aux intérêts des entreprises soulignent les inquiétudes concernant le rôle de l’AGRA dans l’élaboration de l’avenir agricole du Kenya ».
AGRA rejette l’accusation de marginaliser les petits exploitants et affirme que son « objectif n’est pas de remplacer les pratiques traditionnelles, mais d’élargir les options offertes aux agriculteurs et de les relier à des marchés plus équitables ». « L’utilisation d’engrais en Afrique reste limitée à 21 kg/ha, soit moins de la moitié de l’objectif fixé par l’Union africaine, tandis que seulement 45 % des agriculteurs utilisent des semences certifiées. Ce n’est pas de la dépendance, c’est un manque d’accès », explique Asiimwe Konde.
Pour réduire ce déficit d’accès, AGRA indique avoir accompagné 119 entreprises semencières locales, formé des sélectionneurs africains et mis en place un réseau de 40 000 agro-distributeurs ruraux, dont une grande partie sont des petites entreprises gérées par des femmes. « Grâce à cette proximité, la distance que les agriculteurs doivent parcourir pour obtenir semences et engrais est passée de 30 à 10 kilomètres », précise Asiimwe Konde.
Interrogé par Mongabay, Dr Samuel Nanga Nanga, chercheur à l’Institut international d’agriculture tropicale (IITA) du Cameroun, estime que le débat sur qui travaille avec qui est inutile, dès lors que chaque institution respecte son mandat et ses responsabilités.
Il précise : « Chaque organisation a son mandat et sa vision propres. C’est comme une chaîne de valeurs, où chaque acteur occupe une place spécifique et ne peut pas travailler avec tout le monde. Si une institution travaille avec certains acteurs et que cela rentre dans son mandat, je ne vois pas où est le problème ».

Promouvoir l’agroécologie
Le rapport dénonce le fait que l’AGRA « favorise l’utilisation de semences hybrides ou génétiquement modifiées et d’engrais synthétiques, renforçant ainsi la dépendance de l’Afrique à l’égard des intrants externes », tout en marginalisant l’agroécologie, la biodiversité et la santé des sols au profit de l’agriculture industrielle et des intrants chimiques.
« Nous ne pensons pas qu’il existe un modèle unique pour l’agriculture africaine. AGRA soutient une diversité d’approches : sélection conventionnelle, semences hybrides, légumineuses pour la santé des sols, irrigation, agriculture de conservation et, lorsque cela est pertinent, méthodes agroécologiques. Notre objectif est d’offrir plus de choix aux agriculteurs, et non moins », souligne Asiimwe Konde, qui précise que la plupart des variétés améliorées qu’AGRA promeut, sont développées par des instituts de recherche publics locaux.
AFSA met en garde contre une orientation qui « privilégie les modèles axés sur le profit au détriment des besoins et de la résilience des petits exploitants agricoles », et avertit que ces politiques « portent atteinte à la souveraineté alimentaire, à la durabilité de l’environnement et aux pratiques agroécologiques ».
AGRA souligne que ses efforts ont permis d’améliorer les rendements agricoles et de bénéficier à des millions de ménages. « Aucune institution ne peut mettre fin à la faim à elle seule. Mais AGRA a mobilisé 500 millions USD d’investissements et débloqué 1,5 milliard USD de budgets publics, tous destinés à aider les gouvernements et les agriculteurs à bâtir des systèmes alimentaires plus résilients », dit Asiimwe Konde.

Nanga Nanga plaide pour une analyse globale et intégrée de la sécurité alimentaire, couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur. « La sécurité alimentaire a beaucoup d’implications : la recherche, les politiques, la commercialisation et bien d’autres aspects. Si l’on analyse à partir d’un seul maillon de la chaîne, on fait des diagnostics partiels, biaisés et on aboutit à de mauvaises conclusions. Il faut vraiment une approche holistiquen, de la recherche jusqu’à la commercialisation, pour vérifier si chacun joue son rôle et en tirer des conclusions solides et bien argumentées », dit-il.
Enfin, le rapport recommande d’intégrer l’agroécologie et la souveraineté alimentaire au cœur des politiques nationales et panafricaines, de rendre les processus décisionnels transparents et inclusifs, et de protéger les intérêts des petits exploitants, face à la mainmise des entreprises.
Il appelle également à encadrer l’influence d’acteurs externes comme l’AGRA et à renforcer les partenariats régionaux, ainsi que la société civile, pour promouvoir une agriculture durable et équitable. « L’agroécologie n’est pas simplement une approche parmi d’autres, c’est le seul modèle qui offre un avenir juste, durable et résilient au changement climatique pour les systèmes alimentaires africains. Raison pour laquelle l’AFSA appelle les États à investir prioritairement dans ce modèle plutôt que de subventionner des technologies industrielles jugées néfastes pour la résilience locale », souligne Belay.
« Les agriculteurs africains font face à d’énormes défis : changements climatiques, perturbations des marchés mondiaux et pauvreté. Nous pensons que la bonne voie à suivre n’est pas un choix exclusif entre agroécologie et semences améliorées, systèmes traditionnels ou intrants modernes, mais une approche centrée sur l’agriculteur qui élargit les choix, renforce la résilience et consolide les institutions africaines. C’est la mission d’AGRA depuis 19 ans, et cela reste notre engagement pour l’avenir », indique Asiimwe Konde.
Pour sa part, Nanga Nanga a souligné que l’agroécologie a sa place pour la protection de l’environnement, mais, elle ne peut pas répondre à elle seule aux besoins alimentaires futurs. « Pour nourrir une population croissante et soutenir l’industrialisation, il faut combiner petits producteurs et grands exploitants, chacun ayant un rôle spécifique dans la chaîne de valeur », conclut-il.
Image de bannière : Des femmes de la coopérative CERNAFA créée en 2002, dans la région de Tillabéri au Niger, arrosent un champ de culture maraîchère. Image de World Bank Photo Collection via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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