- Une étude indique que dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, les producteurs agricoles perçoivent une part élevée du prix final de leur production, parfois jusqu’à 70 %, en raison de chaînes alimentaires peu industrialisées.
- Toutefois, Mongabay nuance cette conclusion des chercheurs en précisant que les niveaux élevés de rémunération ne concernent que des cas spécifiques de circuits courts, comme la vente directe entre producteur et consommateur. En Afrique subsaharienne, la majorité des produits alimentaires sont écoulés par des circuits longs, avec plusieurs intermédiaires, ce qui réduit significativement la part revenant au producteur.
- L’étude indique également, que dans les pays à faible revenu, une hausse des coûts agricoles, par exemple une taxe carbone, se répercute directement sur les consommateurs, faute d’industries post-agricoles capables d’amortir ces coûts.
- Les experts pensent que les politiques climatiques pourraient entrainer l’exclusion des petits producteurs si des mesures d’accompagnement ne sont pas prévues.
Dans plusieurs pays en développement, les agriculteurs perçoivent une part très élevée du prix final des produits agricoles souvent supérieure à 70 % dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
C’est l’une des conclusions d’une modélisation internationale réalisée par le Potsdam Institute for Climate Impact Research (PIK) en Allemagne, en collaboration avec des chercheurs de l’université Humboldt à Berlin et de la China Academy for Rural Development de l’université de Zhejiang en Chine.
Publiée en janvier 2025, dans la revue Nature, l’étude souligne que cette situation s’explique par la faible industrialisation des chaînes alimentaires locales, où les étapes de transformation, de distribution ou de restauration sont encore peu développées.
En conséquence, les prix à la consommation dans ces régions sont étroitement liés aux coûts agricoles.
L’affirmation selon laquelle les agriculteurs d’Afrique subsaharienne perçoivent une part très élevée du prix final de leur production, pouvant atteindre 70 % ne se vérifie que dans les cas de commercialisation à cycle court, lorsque le producteur vend directement au consommateur. En tout cas, c’est le constat fait par Mongabay.
En Afrique subsaharienne, de nombreux produits alimentaires se commercialisent en cycle long, avec un ou plusieurs intermédiaires entre le producteur et le consommateur. Dans certains cas, un intermédiaire achète directement chez le producteur pour revendre au consommateur. Dans d’autres cas, un collecteur achète chez le producteur, revend au détaillant qui, à son tour, vend au consommateur.
Il existe également des chaînes de commercialisation plus longue, ce que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) appelle des « commerçants-camionneurs-collecteurs ». Dans ces cas, bien que les produits agricoles ne soient pas industrialisés, les bénéfices sont dilués à travers les maillons de la chaîne, ce qui réduit la part du producteur.

Le rapport Food Systems in Africa: Rethinking the Role of Markets, publié en 2021 par la Banque mondiale et l’Agence française de développement (AFD), indique d’ailleurs que les intermédiaires de la chaîne de distribution peuvent également modifier la composition de l’offre de produits alimentaires sur le marché et ont « un effet décisif sur les revenus des producteurs ».
Il convient de noter que cette étude est le résultat d’une modélisation statistique fondée sur le croisement des prix à la consommation et des prix agricoles issus des bases de données de la FAO, et non sur le résultat d’une enquête directe auprès des producteurs.
Les pays en développement plus durement affectés
L’étude souligne qu’à cause de la faible industrialisation de la chaine de valeur alimentaire dans les pays en développement, toute variation dans les coûts de production, notamment liée aux politiques climatiques comme les taxes carbones dans le secteur agricole, se répercute directement sur les consommateurs, car la part des étapes post-agricoles est faible ; donc la capacité d’amortir les hausses est limitée.
Jules Ouedraogo Nomdo, agroéconomiste basé au Burkina Faso, pense que la mise en œuvre des politiques climatiques dans les pays en développement va nécessiter des investissements dans les équipements durables, avec le risque d’exclusion des producteurs s’ils ne sont pas accompagnés. « Il faut des subventions ciblées pour encourager les pratiques durables sans pénaliser les petits producteurs. Il faut, par exemple, faciliter l’accès à la technologie verte telle que des semences résilientes et l’irrigation économe. Il faut aussi un accompagnement technique, des formations et plus de flexibilité dans la mise en œuvre de ces politiques ».

Par contre, dans les pays à revenus élevés, indique l’étude, les systèmes alimentaires ont déjà atteint un haut niveau de complexité. Les consommateurs y dépensent la plus grande part de leur budget alimentaire, non pas à la rémunération des producteurs agricoles, mais aux coûts associés à la transformation, au transport, au marketing ou à la restauration.
Aux États-Unis, par exemple, la part agricole dans le prix des produits alimentaires, le farm share, est tombée à environ 13 %. Dans ce contexte, les politiques climatiques ciblant les émissions agricoles, telles que les taxes carbones, ont un impact relativement limité sur les prix à la consommation, car le poids des coûts supplémentaires est dilué dans des chaînes de valeur plus longues et plus sophistiquées.
« Cela met en évidence les enjeux d’équité et de bien-être qu’il faudra prendre en compte pour une mise en œuvre équitable des prix mondiaux du carbone, étant donné que les consommateurs des pays à revenu élevé seront relativement moins affectés que ceux des pays à faible revenu, où une part plus importante des dépenses des ménages est consacrée à l’alimentation et où les prix à la consommation sont plus directement liés aux prix agricoles », dit l’étude.

Kelvin Muli est spécialiste de la justice climatique et dirige l’African Network for Climate Action (ANFCA), une organisation non gouvernementale kenyane ayant pour mission d’autonomiser et d’unir les dirigeants à travers l’Afrique en leur fournissant les compétences, les ressources et les réseaux nécessaires pour mener une action climatique transformatrice. « Le risque de double victimisation est réel. L’Afrique subsaharienne, y compris le Kenya et l’Afrique de l’Est, est confrontée à la double menace des impacts du changement climatique et des charges d’atténuation inéquitables. Les taxes sur le carbone et les politiques similaires, si elles sont appliquées sans garanties axées sur la justice, pourraient exacerber l’insécurité alimentaire, affaiblir les moyens de subsistance et déstabiliser les sociétés », dit Muli, à Mongabay au téléphone.
« Au Kenya, par exemple, une hausse des prix du diesel due à une taxe sur le carbone pourrait augmenter les coûts de transport de 15 à 20 %, ce qui ferait grimper les prix des denrées alimentaires dans les bidonvilles urbains comme Kibera, où 60 % des revenus sont consacrés à l’alimentation. Cette dynamique illustre clairement pourquoi la justice climatique doit inclure la justice économique, en particulier lors de l’élaboration de stratégies d’atténuation mondiales », ajoute Muli.
L’étude propose que les politiques climatiques soient pensées en tenant compte de la complexité croissante des chaînes alimentaires, et non uniquement des coûts agricoles. « Cela met en évidence les considérations d’équité et de bien-être qui seront nécessaires pour une mise en œuvre équitable des prix mondiaux des émissions », disent les auteurs de l’étude.
Image de bannière : Des produits agricoles sur un marché au Cameroun. Image de Colince Menel/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Citation :
Chen, D., Bodirsky, B., Wang, X. et al. (2025). Future food prices will become less sensitive to agricultural market prices and mitigation costs. Nature, Nature Food, volume 6, 85–96. https://doi.org/10.1038/s43016-024-01099-3
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