- L’écosystème marin du Togo est confronté à des défis majeurs, tels que la pêche illégale, la pollution, l’érosion côtière et un développement côtier incontrôlé. Ces activités menacent les habitats marins et la survie de nombreuses espèces, notamment les tortues marines.
- Le Togo abrite cinq des six espèces de tortues marines connues dans le monde, le dauphin à bosse de l’Atlantique classé en danger critique, ainsi que certaines espèces de poissons marins, telles que les requins-baleines et les thons, qui subissent une intense exploitation intense.
- En janvier 2024, le pays a lancé un processus pour créer des aires marines protégées (AMP), afin de préserver la biodiversité marine et de gérer durablement les ressources halieutiques, à l'instar d'autres pays d'Afrique de l'Ouest comme le Sénégal et le Ghana.
- Le Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto, chercheur et expert en écologie marine, s’investit dans la conservation des tortues marines depuis plus de 25 ans. Il souligne l’importance de s’adapter aux évolutions récentes dans la gestion des écosystèmes marins, pour préserver les espèces et leurs habitats.
Au Togo, l’écosystème marin est aujourd’hui confronté à de multiples menaces, parmi lesquelles figurent la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, la pollution, l’érosion côtière, ainsi qu’une occupation anarchique du littoral. Ces pressions grandissantes compromettent les habitats marins et la survie de nombreuses espèces emblématiques, notamment les espèces de tortues marines et de poissons.
Selon le premier rapport sur l’état de l’environnement marin au Togo, publié en 2022, par le ministère de l’Environnement et des ressources forestières, cinq des six espèces de tortues marines recensées dans le monde fréquentent les côtes togolaises. Il s’agit de la tortue verte, la tortue olivâtre, la tortue caouanne, la tortue luth et la tortue imbriquée. Or, en raison de leur cycle de vie complexe et de leur grande sensibilité aux activités humaines, l’état de conservation de ces reptiles se détériore rapidement. Toutes sont aujourd’hui classées comme menacées d’extinction, selon la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
La situation est la même pour les autres groupes fauniques. Le dauphin à bosse de l’Atlantique, une espèce endémique des eaux côtières ouest-africaines, est en danger critique. Plusieurs familles de poissons marins, telles que les requins-baleines (Rhinobatidés, Rhincodontidés) ou les thons (Scombridés), font également face à une forte exploitation.
Pour tenter d’endiguer cette dégradation, le ministère de l’Environnement et des ressources forestières a entamé, en janvier 2024, un processus de création d’aires marines protégées (AMP). Inspirée des expériences menées avec succès au Sénégal, en Guinée-Bissau, en Mauritanie ou encore en Sierra Leone, cette initiative vise à « contribuer à l’effort de préservation de la biodiversité à l’échelle mondiale ».
Dans ce cadre, Mongabay s’est entretenu avec le Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto. Enseignant-chercheur à l’université de Lomé (Togo). Zoologiste spécialiste en systématique, biologie évolutive, écologie et biologie de la conservation, il s’est illustré par ses nombreuses contributions scientifiques sur la faune terrestre et marine de la sous-région depuis 25 ans. Dans cet entretien, l’expert se confie sur les enjeux des aires marines protégées, leur rôle dans la conservation des espèces menacées, ainsi que les perspectives qu’elles offrent pour l’avenir des zones côtières togolaises.

Mongabay : Depuis janvier 2024, le Togo a amorcé un processus de création d’aires marines protégées. Qu’est-ce qu’une aire marine protégée et quels sont ses objectifs ?
Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : Une aire marine protégée est un espace délimité en mer, où les activités, notamment de pêche, sont organisées et parfois contrôlées. La création d’une aire marine protégée dépend des objectifs poursuivis. Elle peut être créée dans un but de conservation des écosystèmes ou d’une meilleure utilisation des ressources marines.
Mongabay : Pour quelles raisons la création d’aires marines protégées est une urgence au Togo ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : C’est vrai que nous ne sommes pas dans un pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Ghana, où le secteur de la pêche a un poids dans l’économie nationale. Aussi, ces pays pratiquent la pêche maritime artisanale et la pêche industrielle.
Au Togo, la pêche maritime artisanale, c’est à peine 4 % du Produit intérieur brut. En termes d’emplois, c’est à peu près 20 à 25 000 emplois directs ou indirects dans le secteur. On arrive à tourner autour de 19 à 20 000 tonnes de poisson par an. Il y a les efforts de l’aquaculture qui tournent autour de 5 000 tonnes par an. Et le Togo doit importer à peu près 35 à 40 000 tonnes de poisson pour compenser. Nous ne sommes vraiment pas un pays producteur de poisson, mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas créer ou délimiter une zone de pêche à travers les aires marines protégées. Aussi, les écosystèmes marins et côtiers font face à de nombreuses pressions, avec notamment le développement des activités humaines dans les zones côtières et la pêche non réglementée. La mise en place des aires marines protégées vient soutenir les efforts de conservation.
Mongabay : Vous êtes zoologiste, et chercheur en écologie et biologie de la conservation. Vous avez mené des travaux sur les tortues marines au Togo. Les résultats de vos études ont montré que les tortues marines sont menacées. Quel est l’état des lieux actuel de la population des tortues marines et quels facteurs affectent leur survie ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : Les tortues marines font face à une situation de plus en plus dangereuse. Cet état des lieux n’est pas seulement celui du Togo, mais de toute l’Afrique.
Les tortues marines sont des reptiles, ce qui veut dire qu’elles ont besoin d’un espace, particulièrement la plage, pour pondre leurs œufs. Avec les activités humaines dans ces zones, les femelles n’arrivent plus à pondre. Même si malgré tout, elles pondent, les œufs se font ramasser, parce que les gens les repèrent facilement.
Un autre facteur qui affecte la survie des tortues marines est la perte de la végétation au niveau de la côte. Au moment où je commençais le suivi des tortues marines dans les années 2000, il y avait de la végétation au bord de la mer. Aujourd’hui, tout est occupé, et n’y a plus d’espaces naturels, ce qui fait qu’il y a une pression considérable sur les tortues marines. Elles n’ont plus d’habitats de ponte.
L’augmentation du nombre de pêcheurs et l’utilisation de plus en plus du chalut-bœuf traditionnel pour la pêche constituent également un facteur qui menace la survie de ces espèces. Quand on parle de chalut, c’est quand il y a un filet qui relie deux bateaux. Avec cette formule, les pêcheurs capturent tous les animaux situés dans l’espace entre les deux bateaux, peu importe leur âge et leur taille.
Mongabay : Comment les aires marines protégées peuvent-elles contribuer à la préservation des espèces, en particulier des tortues marines ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : Avec les aires marines protégées, on va délimiter des espaces appelés aires d’importance écologique et biologique, connues également sous le nom de EBSA. Ce sont en quelque sorte des herbiers sous-marins. Ces zones sont à la fois importantes, non seulement pour les tortues, mais aussi pour les poissons, les mammifères marins et autres. Ce n’est pas seulement pour les tortues, mais c’est tout un ensemble qu’on veut protéger. On ne peut pas, dans un pays, laisser tout l’espace marin soit pour des activités de trafic maritime ou des activités portuaires sans prévoir une zone pour la conservation de la nature.
Aujourd’hui, on note, par exemple, un problème fondamental dans la région ouest-africaine : il n’y a plus d’espace pour la période de repos des poissons. Avec les EBSA, il faut identifier les zones dans lesquelles ces espèces peuvent se reproduire facilement et renouveler le stock halieutique. Si on ne peut pas définir la période de pêche, il faut au moins définir les zones de repos pour les poissons. De toute façon, soit on définit les périodes sur lesquelles on va laisser les poissons se renouveler, soit on définit les zones dans lesquelles les poissons peuvent se renouveler. Et là, par exemple, si on a cet espace, on sait qu’il y a une zone spécifique dans laquelle il y a une concentration de poissons. Elle va permettre à ce que les poissons puissent se reposer là-bas et se reproduire. Au même moment, on peut faire la pêche dans les autres espaces.
La création des aires marines protégées représente une solution, aussi bien pour les tortues, que pour les autres espèces menacées.

Mongabay : Quelle est place est accordée aux communautés locales togolaises dans la gestion des aires marines protégées ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : Les pêcheurs sont les acteurs par excellence de la gestion des aires marines protégées, parce qu’ils connaissent mieux le milieu marin. Ils n’ont pas de GPS, mais ils savent là où il faut aller pour faire la pêche.
Avec leur niveau de connaissance de l’espace marin, si on met vraiment des moyens à leur disposition, on peut arriver à identifier et cartographier des zones de pêche. Ensuite, il faut confier la gestion des aires marines protégées à ces pêcheurs.
Au Sénégal, par exemple, les pêcheurs ou mieux les paysans sont fortement impliqués dans la gestion des aires marines protégées. Ce n’est pas la police ou la gendarmerie qui fait la surveillance, mais les pêcheurs eux-mêmes, parce qu’ils en tirent un intérêt.
Mongabay : Pourriez-vous nous citer des exemples d’aires marines protégées qui incarnent une réussite sur le continent africain ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : En Afrique de l’Ouest, il y a le Sénégal qui a fait une belle avancée en matière d’aires marines protégées. Les zones que les sénégalais déclarent comme aires marines protégées, ce sont des zones où, à la plage, il n’y a rien comme arbres, l’essentiel c’est au niveau de la mer. Il y a des accords qui sont signés avec les pêcheurs pour déterminer les zones de pêche au niveau de la mer. La surveillance de ces espaces est ensuite confiée à ces acteurs. En Afrique centrale, il y a le Gabon qui se distingue avec le parc de Mayumba (Premier parc marin du Gabon, situé au sud-ouest du pays, le parc de Mayumba abrite sur 60 km les plus importantes plages de nidification des tortues luth au monde. Avec son étendue de 15 km en mer, il protège également des habitats marins pour les dauphins, les requins et les baleines à bosse, Ndlr). Outre ces pays, il y a aussi le Kenya, les Seychelles ou encore la Tanzanie qu’on peut citer.
Mongabay : Quels indicateurs permettent d’évaluer la réussite d’une aire marine protégée ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : La création d’une aire marine protégée passe par la définition des indicateurs. Il faut par exemple des indicateurs en termes de protection de la biodiversité, d’impacts socio-économiques, de gouvernance et d’obligation vis-à-vis des différentes conventions que le Togo a signées.
Mongabay : Quels défis le Togo pourrait rencontrer dans la mise en place et la gestion de ces aires marines ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : L’un des défis majeurs réside dans la difficulté de faire comprendre aux décideurs l’importance des aires marines protégées. La notion d’aire protégée de façon générale soulève déjà des inquiétudes. Cela va être encore plus compliqué quand on parlera d’aires marines protégées. Il y a des conflits dans la gestion des zones protégées, ce qui entraîne une certaine réticence, lorsqu’on parle d’aires marines protégées.
Mongabay : En tant que chercheur engagé dans la protection des espèces marines, comment votre parcours personnel et professionnel a influencé votre vision de la conservation marine au Togo ?
Professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto : Cela fait 25 ans que je travaille sur le suivi des tortues marines. La conservation marine est un domaine très dynamique. On ne peut pas rester dans les idées qu’on s’est formulées il y a 20 ans.
Image de bannière : La tortue verte (Chelonia mydas) à la plage d’Agbodrafo sur la côte togolaise. Photo par le professeur Gabriel Hoinsoude Segniagbeto avec son aimable autorisation.
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