- Le programme d’extension de la culture du palmier à huile vers les autres localités du pays entamé, il y a quelques années, est une solution idoine mise en avant par le gouvernement du Burundi pour augmenter la production et sauvegarder cette culture, affectée ces quatre dernières années par les perturbations climatiques.
- Depuis 1983, les plantations de palmiers à huile sont concentrées dans la plaine de l’Imbo, à Rumonge. Mais aujourd’hui, ces terres fertiles sont submergées par les eaux, conséquence de la montée du niveau du lac Tanganyika et de ses affluents.
- Les pertes sont considérables. Pour de nombreux agriculteurs, le désespoir s’installe. Ces inondations constituent un désastre économique pour le pays, mettant en péril les moyens de subsistance de milliers de familles dépendantes du palmier à huile.
- Selon le directeur de la Plateforme nationale de gestion des catastrophes, les communautés manquent d’information sur les techniques de prévention. Il appelle à des mesures d’urgence, comme le curage des rivières traversant cette zone très productive en huile de palme et en riz.
Depuis 2019, le gouvernement a mis en œuvre plusieurs initiatives pour accroître la production d’huile de palme, et assurer la durabilité de la filière, à travers une stratégie ambitieuse d’extension des palmeraies.
Le ministère de l’Environnement, de l’agriculture et de l’élevage indique que cette stratégie repose notamment sur l’introduction de la variété « Tenera », importée du Bénin, plus productive et précoce que l’ancienne variété « Dura ».
Lors du lancement officiel de la saison culturale 2024–2025 à Karonda, au sud du pays, Emmanuel Ndorimana, assistant du ministre a indiqué que ce programme vise également à répondre aux défis des inondations qui touchent l’ancienne zone palmicole. Il entend aussi promouvoir l’agroforesterie pour intégrer davantage de biodiversité dans les systèmes agricoles du pays.
Selon lui, cette extension combinée à la reconversion des anciennes palmeraies constitue une réelle opportunité : elle améliore la rentabilité, permet une diversification des revenus des agriculteurs et renforce la durabilité environnementale des nouvelles régions occupées.
Ce programme est soutenu par l’Office de l’Huile de palme au Burundi (O.H.P), qui a élaboré un plan national d’expansion. À ce jour, 180 348 hectares sont déjà occupés par la variété Tenera dans onze nouvelles provinces, d’après cet office national, dont la mission principale est de promouvoir, encadrer et coordonner les activités de la filière.
Gaudence Nizigiyimana, Directrice générale de l’O.H.P, souligne au miro de Mongabay que l’extension s’accompagne de la création de nouvelles unités de transformation, auparavant concentrées uniquement à Rumonge, sa principale région d’origine.
Le plan inclut aussi la sensibilisation des agriculteurs des nouvelles provinces, un appui technique renforcé, ainsi qu’un approvisionnement en intrants, essentiels pour garantir de bons rendements.

Ce plan, inscrit dans la vision de faire un Burundi émergent en 2040, et développé en 2060, concerne en plus le rassemblement des producteurs au sein des coopératives pour les éduquer sur les meilleures pratiques agricoles modernes, et leur permet de bénéficier facilement d’un soutien collectif nécessaire, afin de rentabiliser ce secteur.
En effet, O.H.P espère qu’à travers les formations et les échanges d’expériences au sein des coopératives, les agriculteurs vont acquérir des compétences leur permettant de mieux gérer leurs exploitations, des pratiques de transformation de l’huile de palme et ses dérivés, selon le coordinateur des activités.
Il ajoute que la filière sera plus compétitive sur le marché régional, et les agriculteurs seront capables de négocier directement des prix des produits issus de cette culture.
Auparavant, les producteurs étaient principalement désorganisés autour de petites structures de développement agricoles mises en place par l’ancienne Société Régionale de Développement (SRD Imbo), créée dans les années 1980. Elle fixait les prix à la place des agriculteurs et achetait la production elle-même.
Pour Nizigiyimana, cette extension, soutenue par des techniques culturales innovantes, permettra, non seulement de produire davantage d’huile de palme, mais aussi de générer plus de revenus pour les populations des nouvelles régions productrices.
Le lac Tanganyika, une richesse et une menace
Poumon économique et source de vie pour des milliers de Burundais, le lac Tanganyika est aujourd’hui perçu comme une menace lente, mais constante pour les terres cultivées de la plaine de l’Imbo, sud du Burundi.
Partagé avec la République Démocratique du Congo, la Tanzanie et la Zambie, il s’étend sur 676 km de longueur, avec une profondeur maximale de 1 470 mètres, faisant de lui le deuxième lac d’eau douce le plus profond au monde, après le Baïkal en Russie.
Depuis 2021, son niveau n’a cessé de monter. Les plantations de palmiers, de riz, de maïs et d’autres cultures sont menacées dans les zones riveraines.
Selon Obède Ntineshwa, responsable de l’Office burundais pour la protection de l’environnement en province Rumonge, les rivières traversant cette région, ont perdu de leur profondeur, à cause des fortes pluies. Résultat : elles débordent et envahissent champs et habitations.
À l’approche de la ville de Rumonge, le paysage témoigne de cette transformation. Là où s’étendaient jadis des palmeraies, il ne reste que quelques pieds isolés, le reste ayant été submergé.
D’après l’O.H.P, les eaux ont conquis plus de 1 000 km. Des infrastructures publiques ont été englouties, comme la route reliant Bujumbura au sud du pays, désormais difficilement praticable. Ce qui a ralenti considérablement le trafic de la région.
Plus de 100 000 hectares de plantation sont été abandonnés. Les palmiers jaunissent ou sont emportés. Les propriétaires d’huileries et les cultivateurs tirent la sonnette d’alarme.

Donatien, Ndayitwayeko, agriculteur à Minago, témoigne à son domicile : « L’eau est restée plus de quatre ans dans nos champs. Nos palmiers s’assèchent. Je gagnais 20 millions de BIF par vente. Aujourd’hui, tout est perdu, on n’avait jamais connu cela ».
Même désarroi chez Bucumi Salvator : « Regarder. C’est vraiment triste. Tout est dans l’eau. Ces palmiers nous faisaient vivre. Un seul pied suffisait à financer la scolarité d’un enfant ».
Minani Eliezer, estime ses pertes à plus de 10 millions de BIF (environ 3400 USD). Il raconte : « Ce que nous vivons aujourd’hui est difficile. Le palmier à l’huile était notre principale source de revenus. Beaucoup de gens investissent dans cette culture. Et voilà ce qui nous arrive ». De surcroît, les propriétaires des unités d’extraction de l’huile de palme ne font pas figure d’exception.
Benoît Mujiji, propriétaire d’une huilerie, a dû réduire l’effectif de ses ouvriers à cause de la quantité des matières premières à transformer qui a diminué. « La matière première se fait rare. La production est en chute libre », dit-il à Mongabay dans la cour de son unité de transformation. Les données de l’O.H.P. sont révélatrices de la gravité des dégâts.
Jean-Claude Bigirimana, technicien agronome à l’O.H.P, rappelle qu’avant les inondations, chaque zone comptait plus de 4 000 hectares de palmiers. Aujourd’hui, moins de 200 subsistent. D’autres cultures, selon ce cadre, sont aussi affectées.
L’administration provinciale, bien que préoccupée, peine à faire face seule à la récurrence des catastrophes naturelles. Le gouverneur de Rumonge, Léonard Niyonsaba, estime que plus de 30 % des plantations sont inondées.
Pour les autorités, la relocalisation des palmeraies vers des zones moins exposées est une alternative crédible. La directrice de l’O.H.P assure, que cela permettra aux familles touchées de retrouver une stabilité économique.
Nizigiyimana s’en félicite : « Certaines provinces transforment déjà l’huile. Les personnes, dont leurs familles souffrent actuellement des conditions de vie précaires, à cause d’un accès limités aux activités génératrices de revenus liées au palmier, peuvent se déplacer vers ces régions, pour y reprendre une activité productive, et préserver leurs moyens de subsistances ».

Le palmier à huile, un moteur d’emplois à préserver
Le palmier à huile reste un pilier de l’économie rurale. Il génère des milliers d’emplois, de la culture à la transformation et à la commercialisation.
Chaque étape de la filière est valorisée. Rien n’est perdu. Sa chaine de valeur profite à beaucoup d’acteurs. Propriétaires de petites ou grandes palmeraies, huiliers, commerçants et ouvriers journaliers en tirent des revenus.
Pendant les récoltes, par exemple, vélos et camionnettes lourdement chargés, faisaient la navette entre les plantations et les unités de transformations, transportant des grappes mûres. Le secteur attirait de grands investisseurs et apportait une plus-value à l’économie nationale.
Mais les inondations ont freiné cet élan. Ces activités, qui étaient auparavant un sujet d’importante croissance, en raison de leur potentiel à améliorer les conditions de vie des communautés locales, ont diminué, affaiblissant un moteur économique essentiel.
Des solutions en perspective
Anicet Nibaruta, président de la Plateforme nationale de gestion des catastrophes, déplore le manque d’information sur les réponses à apporter face à ces phénomènes.
Nibaruta insiste sur la nécessité de former les communautés riveraines du lac, à des pratiques de résilience, surtout que la province Rumonge est confrontée aux catastrophes naturelles, chaque année.
Il propose notamment l’aménagement du territoire des zones déjà inondées en creusant des canaux de drainage autour des plantations, afin d’évacuer les eaux stagnantes, et éviter l’accumulation continue d’eaux. Cela permettrait, selon lui, de diriger l’excès d’eaux, loin des racines des palmiers.
Pour lui, seule, une approche intégrée permettra de sauver les palmeraies et de préserver les moyens de subsistance des populations rurales de la plaine de l’Imbo.
Image de bannière : Vue aérienne d’une petite partie des plantations inondées à Rumonge, situées le long du lac Tanganyika, à cause de la montée des eaux de ce même lac. Image de Séverin Niyongabo, photographe à l’O.H.P fournie par Dieudonné Ndanezerewe.
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