- Moo Deng, une femelle bébé hippopotame nain a connu un succès fulgurant sur Internet. Des vidéos d’elle ont été vues par des millions de personnes.
- Mais, des défenseurs de l’environnement disent que sa popularité n’a entraîné aucun changement sur le terrain pour les hippopotames nains sauvages, qui sont moins de 2 500 à l’état sauvage.
- Le zoo ouvert de Khao Kheow, où vit Moo Deng, dit qu’il travaille en partenariat avec un groupe de conservation, pour aider les recherches sur le terrain.
2024 a été une année chaotique. Elle a été, une fois de plus, la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale, selon l’Organisation météorologique mondiale, avec plusieurs catastrophes climatiques sur la planète. C’était également la troisième année depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, elle a vu 12 mois de bombardement de Gaza par Israël et 10 millions de personnes déplacées par la guerre au Soudan. Elle a également vu des élections extrêmement importantes dans de nombreux pays, notamment en Indonésie, en France, en Inde, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Est-ce donc étonnant que des millions de personnes se soient tournés vers un hippopotame nain bagarreur pour se changer les idées ?
Moo Deng est née le 10 juillet 2024 au zoo ouvert de Khao Kheow, à Bang Phra, en Thaïlande. En septembre, les vidéos de la femelle bébé hippopotame sont devenues virale et elle est devenue célèbre pour son attitude joueuse sans retenue. Elle semble prendre plaisir à mordiller les bottes de son gardien, à poursuivre l’eau d’un tuyau d’arrosage et, bien sûr comme tous les bébés, à dormir. Et, oui, elle est même adorable dans son sommeil. Moo Deng est devenu un tel phénomène que les fréquentations du zoo ont doublé et le zoo ouvert de Khao Kheow a dit qu’il prévoyait de protéger son adorable image par le droit d’auteur. Le phénomène était international : elle est apparue dans un sketch satirique du Saturday Night Live aux États-Unis et elle a même sa propre chanson en thaï. L’histoire de Moo Deng n’a pas été sans quelques controverses, mais dans cette année chaotique, elle a surtout été un plaisir sain pour des internautes désenchantés par le monde.
Mais cette histoire a une autre facette. Après tout, Moo Deng est un hippopotame nain (Choeropsis liberiensis), une espèce en danger avec moins de 2 500 individus survivant dans le monde (en d’autres termes, il y a 3,5 millions de personnes dans le monde pour chaque hippopotame nain restant). L’espèce est actuellement en déclin et en danger très réel de disparaître complètement. Seuls quelques groupes de conservation travaillent directement auprès de l’hippopotame nain. Cela soulève la question : le phénomène Moo Deng a-t-il aidé les hippopotames nains sauvages ? A-t-il permis de sensibiliser aux problèmes de l’espèce ? Ou, encore plus important, a-t-il augmenté le financement en faveur des hippopotames nains sauvages ?
« Pas encore », a dit Elie Bogui, un coordonnateur du projet Hippo Taï en Côte d’Ivoire. Le projet, un partenariat du centre suisse de recherches scientifiques et de l’Institute for Breeding Rare and Endangered African Mammals (Institut pour l’élevage des mammifères africains rares en voie de disparition), comprend des activités de recherche et de suivi des hippopotames nains dans le Parc national de Taï, dans ce pays d’Afrique occidentale en collaboration avec les communautés locales.
« Les hippopotames nains ne sont pas très populaires », dit Neus Estela, une technicienne spécialiste à Fauna & Flora au Liberia. Fauna & Flora travaille en lien avec les hippopotames nains dans six parcs ou aires protégées proposées au Liberia et en Guinée, en aidant le gouvernement à gérer les écosystèmes et à surveiller les populations d’hippopotames nains et d’autres espèces. Étant donné que le Liberia a la plus grande population d’hippopotames nains du monde, le travail de Fauna & Flora concerne plus d’hippopotames nains que tout autre groupe.
Pourtant, Estela dit qu’en raison de leur manque de popularité à l’échelle mondiale, les hippopotames nains reçoivent peu de financements ciblés, contrairement aux éléphants, auxchimpanzés et aux pangolins dans la région, mais à la place, « bénéficient plus d’efforts de conservation généraux ».
Bogui et Estela disent la même chose : ils n’ont vu, pour le moment, ni soutien matériel ni financements liés au phénomène Moo Deng, ce qui met en lumière le fait qu’en notre époque de mèmes, la célébrité d’un animal en particulier, ne signifie pas nécessairement plus d’aide pour son espèce.
Toutefois, le zoo ouvert de Khao Kheow dit qu’il est en train d’élaborer un plan pour aider les hippopotames nains sauvages. Wanlaya Tipkantha, la responsable de l’institut de la santé, de la recherche et de la conservation des animaux du zoo, dit que l’équipe travaille actuellement avec IBREAM pour développer un partenariat pour « promouvoir et soutenir » le projet Hippo Taï sur le terrain. Ils espèrent aider le groupe à acheter des colliers GPS qui permettraient de suivre les déplacements des hippopotames nains pour la première fois.
Tipkantha dit qu’ils partageront les « détails » une fois qu’un accord aura été trouvé.
« Les animaux des zoos et des aquariums peuvent agir comme ambassadeur de leurs congénères en liberté », dit le PDG de la World Association of Zoos and Aquariums (WAZA), Martín Zordan, et il ajoute, « avec les animaux des zoos, nous avons la possibilité de sensibiliser aux difficultés de l’espèce dans la nature, tout en offrant aux visiteurs une chance de créer des liens avec les hippopotames ».


La situation critique des hippopotames nains
L’hippopotame nain est la seule autre espèce survivante de la famille des Hippopotamidae en dehors du bien plus connu hippopotame commun (Hippopotamus amphibius). Contrairement à son gros et inratable parent, l’hippopotame nain vit reclus dans les profondeurs de la forêt tropicale.
Une autre population d’hippopotame nain, constituant potentiellement une sous-espèce distincte, l’hippopotame nain d’Heslop (C. liberiensis heslopi), vivait dans le delta du Niger, mais n’a pas été observée depuis les années 1940 et beaucoup le pensent éteint. Notre planète abritait de nombreuses espèces de petits hippopotames dans les îles méditerranéennes, comme la Sicile et la Crête, avant que les humains les chassent jusqu’à l’extinction.
Même si l’UICN estime que moins de 2 500 hippopotames nains restent à l’état sauvage, Estela indique que ce nombre pourrait être faux.
« Ces statistiques sont très simples », dit-elle. « Nous ne savons pas vraiment ».
Sur l’aire d’habitat des hippopotames nains, la déforestation est la plus grande préoccupation. Selon l’UICN, les forêts restantes sont souvent fragmentées, ce qui isole les hippopotames et entraîne moins d’échanges de gènes.
« Aujourd’hui, il ne reste presque plus, s’il en reste, de forêts intactes sûres pour les animaux sauvages dans la région », peut-on lire dans le statut de la liste rouge de l’UICN. Les forêts tombent devant l’agriculture et l’exploitation minière.
Dans le Parc national de Taï, Bogui dit que la plus grande menace est l’orpaillage illégal à l’intérieur du parc, qui détruit les forêts et pollue les cours d’eau.
Estela dit qu’ils ont également « confirmé des taux élevés de mercure » dus à l’orpaillage dans les cours d’eau du Parc national de Sapo, le seul parc national au Liberia à ce jour.
Le braconnage est un autre problème, mais Estela explique qu’il est principalement opportuniste, car les hippopotames nains sont difficiles à chasser étant donné leur mode de vie nocturne et leur faible densité. Toutefois, les pièges restent préoccupants.
Étant donné le peu de gens travaillant sur cette espèce, Gabriella Flacke, une vétérinaire avec le groupe spécialiste des hippopotames de la Commission pour la sauvegarde des espèces de l’UICN, dit qu’une « menace majeure » pour l’espèce est le manque de « ressources financières et logistiques (main-d’œuvre, infrastructures, matériel), pour fournir une protection appropriée aux zones restantes d’habitats protégés… de l’aire d’occupation des hippopotames nains ».
Elle ajoute que « les populations humaines locales en plein essor représentent une autre menace, dans le sens où cet essor entraîne une perte d’habitat ».

Sensibiliser
Zordan, le PDG de WAZA, dit que le groupe n’a pas analysé l’impact du phénomène Moo Deng, mais « nous savons que des moments, comme ceux-ci, où des gens s’intéressent à des animaux en particulier, peuvent avoir un important effet sur la sensibilisation ».
Mais ce phénomène a-t-il vraiment sensibilisé le public, ou les gens regardent-ils seulement des vidéos d’animaux adorables sans rien apprendre ? De manière anecdotique, la soudaine popularité de Moo Deng semble avoir quelque peu sensibilisé le public, si ce n’est qu’à l’existence de l’espèce en premier lieu.
« Il semble qu’avoir fait connaître l’existence des hippopotames nains à plus de gens (la plupart des gens ne savent pas ou ne savaient pas qu’il existe deux types d’hippopotames) est la seule chose que cela a fait », dit Flacke.
Estela est d’accord, et elle ne pense pas que la plupart des gens savent où les hippopotames nains vivent, même s’ils ont apprécié les vidéos de Moo Deng. Mais Fauna & Flora dit que leur site a vu une légère hausse de visiteurs sur la page des hippopotames nains.
Même Tipkantha dit que le zoo n’a pas vu de sensibilisation accrue « pour le moment ». Mais le zoo prévoit « de surveiller la sensibilisation du public » après l’annonce de son partenariat avec le projet Hippo Taï.
Flacke dit qu’à cause de Moo Deng, plusieurs médias l’ont contactée pour des interviews au cours desquelles elle a essayé de « souligner la situation critique de l’espèce ». Mais, elle dit, « je ne pense pas que les citoyens moyens soient plus concernés ou plus impliqués dans les efforts de conservation à cause de Moo Deng ».

Les zoos devraient-ils avoir des responsabilités en matière de conservation des espèces sauvages ?
Tout cela pose la question suivante : quel degré de responsabilité les zoos devraient-ils avoir dans la conservation des espèces sauvages ? C’est un débat qui dure depuis des décennies, mais de plus en plus, les zoos donnent de l’argent aux projets de conservation d’espèces sauvages. Cela dit, Moo Deng est un phénomène particulier. La plupart des animaux de zoo ne sont pas suivis aussi rapidement et intensément et n’apportent pas un tel succès soudain et un tel coup de projecteur à leur zoo.
« Nous attendons de nos zoos membres qu’ils fassent des contributions importantes à la conservation d’espèces sauvages et d’aires sauvages comme cela est indiqué dans notre stratégie de conservation », dit Zordan, le PDG de WAZA.
WAZA est une organisation mondiale qui établit des normes pour les zoos et les aquariums membres, notamment en matière de bien-être animal et de conservation, à la fois en captivité et en soutenant des projets de conservation dans la nature. Le zoo ouvert de Khao Kheow est un membre de WAZA.
Zordan dit que les membres ont récemment accepté une nouvelle résolution en accord avec la Convention sur la diversité biologique visant à « contribuer activement et de façon accrue à arrêter les extinctions, inverser les déclins, restaurer les populations et assurer l’avenir des espèces menacées, ainsi qu’à rendre compte de ces actions».
Il y a un peu plus de neuf mois que Moo Deng est née, et personne n’attend de miracle du jour au lendemain. Mais si la popularité sensationnelle et mondiale de Moo Deng peut aider ses congénères à l’état sauvage, ce serait une grande victoire pour une espèce négligée depuis longtemps. La question est : cela arrivera-t-il ?
Image de bannière : En septembre 2024, les vidéos de la femelle bébé hippopotame sont devenues virales et elle est devenue célèbre pour son attitude joueuse sans retenue. Image fournie par le projet Hippo Taï.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 3 février, 2025.