- Le Burundi compte 85,7 % des ménages ayant l’agriculture comme principale activité.
- Ce pays est de plus en plus menacé par la déforestation, due à la recherche de terres cultivables, ainsi qu’à la récolte du bois de chauffage et à la fabrication du charbon de bois.
- Les initiatives de reboisement significatives datent des années 1980 et 1990.
- La Professeure Bernadette Habonimana, enseignante et chercheuse à l'université du Burundi, considère l'agroforesterie comme une solution alternative incontournable pour une agriculture au service de l'équilibre écologique.
Dans une interview exclusive accordée à Mongabay, Professeure Bernadette Habonimana, spécialiste en agroforesterie et enseignante de foresterie, d’agroforesterie, d’étude d’impact environnemental, d’aménagement forestier, de sylviculture et d’analyse du cycle de vie, à l’université du Burundi, depuis octobre 2000, donne son avis sur la situation actuelle de la déforestation au Burundi. Elle propose quelques pistes pour réhabiliter l’environnement face à l’ampleur de la déforestation dans ce pays, où le bois constitue la principale source d’énergie domestique.
Mongabay : Les chercheurs estiment que 171 625 hectares du couvert forestier du Burundi pourraient disparaître dans 25 à 33 ans, à compter de 2016. À votre avis, quelles sont les principales causes de la déforestation ?
Bernadette Habonimana : L’une des principales causes de la déforestation au Burundi est l’agriculture, c’est-à-dire qu’on passe à la conversion des terres boisées ou des terres sous forêts en terres agricoles. Ce phénomène est lié à la croissance démographique. En 1990, la population du Burundi était d’environ cinq millions d’habitants. En 2008, elle était de huit millions, et, actuellement, elle dépasse les douze millions. En seulement 35 ans, la population a plus que doublé. Tous ces habitants ont besoin de nourriture. L’élevage nécessite également des fourrages, ce qui implique un besoin croissant de terres agricoles. Actuellement, 85,7 % des ménages burundais sont des ménages agricoles. Ainsi, la population burundaise vit essentiellement de l’agriculture et doit trouver des terres cultivables.
L’agriculture pratiquée au Burundi est une agriculture de subsistance, ce qui signifie qu’il est nécessaire de cultiver de vastes espaces pour obtenir une production suffisante, contrairement à l’agriculture intensive qui, pratiquée sur de petites surfaces, permet d’augmenter la productivité, grâce aux intrants agricoles.
Mongabay : Quelles solutions paraissent adaptées pour contrer ce phénomène ?
Bernadette Habonimana : La première d’entre elles est la maîtrise de la démographie, puis la reforestation, c’est-à-dire le reboisement des terres restantes disponibles. Une autre solution est l’agroforesterie, qui consiste à associer les arbres et les cultures. Ensuite, il est essentiel de gérer durablement la flore existante : nous avons des boisements, des plantations et des forêts dans les aires protégées. Il faut les gérer de manière durable et lutter contre les empiétements dans ces aires protégées.
Mongabay : Pourriez-vous citer quelques exemples d’initiatives de reforestation qui auraient fait leur preuve dans la restauration des écosystèmes au Burundi ?
Bernadette Habonimana : Je connais surtout les initiatives de reboisement à grande échelle dans les années 1980 et 1990. C’était sous la coordination du gouvernement du Burundi, avec l’aide de divers bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, l’Union européenne, etc. Je peux citer les massifs d’eucalyptus de Gakara (dans la province de Bujumbura), de Gahuni (dans la province de Rumonge), qui couvrent 2 000 hectares. C’est un projet très important. Je peux aussi mentionner le massif forestier de Pinus de Vyanda (dans la province de Bururi), d’une superficie de 5 000 hectares. Cinq mille hectares, c’est considérable ici chez nous ! Il y a aussi, à Rugazi (dans la province de Bubanza), des massifs forestiers de 3200 hectares. Ce sont vraiment des initiatives de reforestation que je qualifierais d’importantes pour notre pays.

Mongabay : Quelles sont les solutions à envisager dans notre pays pour éviter l’abattage des arbres ?
Bernadette Habonimana : On peut se poser les questions : pourquoi la population abat-elle les arbres ? Pour quels usages ? Il y a trois principaux usages. Le premier est le bois d’œuvre, c’est-à-dire le bois qui donne des planches pour la fabrication de meubles, par exemple. Le deuxième est le bois de service, qui n’a pas la même qualité que ce bois d’œuvre, mais qui peut être utilisé dans la construction par exemple. Enfin, les arbres servent de bois de chauffage et de charbon de bois. Cette dernière utilisation est la principale responsable de la consommation d’une grande quantité de bois.
Dans notre pays, en milieu rural, tout le monde cuit avec du bois. En milieu urbain, rares sont ceux qui ne cuisinent pas avec du charbon de bois. Les solutions doivent passer par là. La première solution pour la majorité des gens est de réduire la quantité utilisée, de bois ou de charbon de bois. Ainsi, des alternatives comme les foyers améliorés existent. Il est rare qu’un projet de développement n’inclue pas une composante de foyers améliorés. Cela peut aider à réduire de 30 à 50 % la quantité de bois utilisée. Ensuite, il y a les solutions alternatives au bois de chauffage ou au charbon de bois. Ailleurs, on utilise le gaz domestique. Au Burundi, on l’utilise, mais vraiment à une échelle très réduite. J’évoque cette solution en deuxième lieu, parce qu’avec le pouvoir d’achat des Burundais, n’est vraiment pas abordable. Pour que cette solution fonctionne, il devrait y avoir l’implication du gouvernement, par exemple en accordant l’exonération fiscale sur les équipements et le gaz domestique, afin que la majorité des gens puissent y avoir accès.
Mongabay : Existe-t-il des pratiques agricoles alternatives permettant à la fois de cultiver la terre et de maintenir un équilibre écologique ?
Bernadette Habonimana : L’équilibre environnemental, c’est un équilibre entre les différentes composantes de l’écosystème. Il doit y avoir une complémentarité entre la végétation, le sol et l’eau. Lorsque l’une des composantes est perturbée, cela se répercute sur les autres. Lorsqu’on coupe la végétation de manière excessive, cela entraîne de l’érosion qui manifeste le déséquilibre. L’érosion emporte les masses de terre, dans lesquelles il y a des éléments nutritifs nécessaires aux cultures. Cela va polluer l’eau.
La solution réside dans les pratiques agricoles qui permettent de maintenir cet équilibre, comme l’agroforesterie. Elle permet de lutter contre l’érosion, de fournir de la matière organique grâce aux racines mortes, aux feuilles des arbres et des arbustes qui se décomposent. Cette matière organique stabilise le sol et nourrit les plantes. L’agroforesterie serait donc une bonne solution dans notre pays pour préserver cet équilibre écologique.
Il existe aussi des pratiques agro-écologiques qui visent à optimiser l’interaction entre ces différentes composantes. Des Organisations non gouvernementales, comme ADISCO (Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines), promeuvent ces pratiques. Cependant, elles ne sont pas encore très répandues chez nous.
Mongabay : Faut-il privilégier l’agroforesterie ou la reforestation pour faire face à la rareté des terres cultivables ?
Bernadette Habonimana : Pour moi, c’est clair. La reforestation peut être pratiquée dans les espaces disponibles qui restent, mais avec la pression démographique, il n’y en a plus beaucoup. En revanche, l’agroforesterie reste une solution possible car, avec l’agriculture, quel coût de combiner les arbres et les cultures ! Pour moi, c’est même une alternative obligée. Nous n’avons pas le choix. Nous devrions promouvoir et pratiquer l’agroforesterie à grande échelle.
Mongabay : Vous avez insisté sur l’agroforesterie comme une alternative aux différents défis agricoles et écologiques. Quels sont les types d’arbres indispensables ?
Bernadette Habonimana : Toutes les espèces d’arbres ne peuvent pas être associées aux cultures. Par exemple, ici chez nous, l’eucalyptus ne peut pas être associé aux cultures. Il existe des espèces d’arbres qui cohabitent pacifiquement avec les cultures, c’est-à-dire des espèces dont les cimes et houppiers ne font pas trop concurrence aux cultures pour la lumière. Ce sont des espèces qui, au niveau des racines, ne concurrencent pas non plus les cultures. Au Burundi, quelques exemples incluent le grevillea, le maesopsis eminii (« umuhumure » en Kirundi), et le ficus natalensis (« indunga » en Kirundi) dans certaines régions. Au niveau des arbustes, on trouve le calliandra. Cependant, toutes ces espèces doivent être bien gérées, car, même si elles cohabitent avec les cultures, la concurrence ne manque pas. L’agronome en agroforesterie est là pour cela.

Mongabay : Quel rôle les peuples autochtones et les communautés locales peuvent-ils jouer dans les processus de reforestation du Burundi ?
Bernadette Habonimana : Par « peuples autochtones », vous faites référence aux « Batwa » au Burundi. Ils ne sont pas particulièrement impliqués dans les activités de reboisement. Cependant, il existe des projets qui tentent de les intégrer, notamment ceux qui œuvrent autour des aires protégées. Par exemple, autour du Parc national de la Kibira, on essaie d’inclure les Batwa dans la gestion. Étant donné qu’ils sont accusés de détruire les forêts ou d’exploiter illégalement les ressources forestières et n’ayant pas de terres, il était nécessaire de les associer à cette gestion. Il en est de même pour la réserve naturelle forestière de Bururi, où l’on a essayé d’intégrer les Batwa dans la gestion durable de cette forêt.
Pour les autres communautés, des initiatives ont été mises en place. Je me souviens qu’en 2009, une ordonnance a été adoptée pour la gestion participative des boisements. Par exemple, au niveau des massifs de Gakara ou de Vyanda, des « groupements de gestion forestière » ont été créés. Ce sont des regroupements de personnes vivant autour de la forêt, rassemblés dans le but de les impliquer dans sa gestion. En 2010, l’Office burundais pour la protection de l’environnement (OBPE) a conduit cette initiative, mais malheureusement, elle n’a pas évolué comme prévu, car les coupes illégales de bois ont continué. Donc, ces riverains n’ont pas protégé ces forêts comme l’OBPE l’espérait. En résumé, il y a eu des initiatives pour les peuples autochtones et pour les communautés vivant près des boisements des aires protégées, mais ce sont des projets sur lesquels il faut continuer à travailler. Je lance donc cet appel au gouvernement, en tant que garant de la protection de l’environnement dans le pays.
Mongabay : Quel est le rôle des institutions gouvernementales et des ONG dans la promotion des programmes de reboisement ?
Bernadette Habonimana : Le premier rôle revient au gouvernement. J’ai déjà parlé des massifs de Gakara, de Gahuni, de Vyanda et de Rugazi, et actuellement le projet « Ewe Burundi Urambaye ». Ce sont des programmes du gouvernement. C’est celui qui vient en premier. Les projets des ONG viennent pour contribuer aux efforts de reboisement entrepris par le gouvernement, et il faut la mobilisation des fonds pour soutenir ces efforts.
Mongabay : Quels ont été les impacts créés par les écoles agricoles dans des initiatives de reboisements et d’agroforesterie au Burundi ?
Bernadette Habonimana : C’est surtout fournir des cadres et des techniciens pour l’encadrement de la population dans les activités agricoles et de reboisement. Il existe, au niveau secondaire, des Instituts techniques agronomiques du Burundi (ITABU), qui forment des techniciens agronomes, forestiers, et en génie rural, lesquels sont employés par les Bureaux provinciaux de l’environnement, de l’agriculture et de l’élevage (BPEAE) pour encadrer la population.
Au niveau universitaire, au sein de la Faculté d’agronomie et de bio-ingénierie (FABI), nous formons certains de ces lauréats d’ITABU, en leur apportant des compétences et des connaissances approfondies pour l’encadrement de la population et pour en faire des chercheurs en agriculture et en foresterie. Nous proposons également des formations, au niveau master, en gestion intégrée de l’environnement.
Mongabay : Lors d’une récente conférence-débat, vous avez mentionné avoir constaté que les jeunes burundais ne s’intéressaient plus à l’environnement. Quelles en sont les conséquences ? Que faut-il faire pour changer cette situation ?
Bernadette Habonimana : En fait, ce n’est pas l’environnement dans son entièreté. Les jeunes s’intéressent à l’environnement, mais il est difficile de trouver ceux qui souhaitent poursuivre des études en foresterie, par exemple. L’engouement pour ce domaine a diminué. Je constate qu’actuellement, les jeunes ont des domaines qui les intéressent particulièrement, comme l’informatique. Je pense qu’il est nécessaire de les sensibiliser à l’importance de ces anciens domaines, comme la foresterie. On peut aussi orienter la foresterie vers des applications informatiques. Par exemple, les systèmes d’informations géographiques sont appliqués dans les sciences forestières, et les jeunes pourraient s’y intéresser.
Lorsque les jeunes ne s’intéressent pas à ces domaines, cela entraîne des conséquences, notamment la difficulté à trouver des chercheurs, des enseignants et des encadreurs dans le domaine forestier. La conséquence, in fine, sera la dégradation des forêts.
Image de bannière : Professeure Bernadette Habonimana, spécialiste en Agroforesterie et enseignante-chercheure à l’université du Burundi. Image de Dieudonné pour Mongabay.
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