- Inondations, glissement de terrain, sécheresse, dégradation des sols…, le Cameroun fait face à de nombreuses crises climatiques ces dernières années.
- Ces phénomènes naturels et/ou humains aux conséquences parfois désastreuses, arrivent très souvent dans un contexte d’incurie gouvernementale assumée, au grand dam des communautés.
- Le suivi des actions planifiées par le ministère de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable, pour éviter ces catastrophes, est inexistant, faute de financements.
- Le Cameroun participe régulièrement aux différentes conférences des parties (COP) sur la biodiversité, le climat et la désertification, à la recherche des opportunités de financements, pour faire face à ses défis climatiques.
Le Cameroun est confronté à d’innombrables crises climatiques au cours de ces dernières années, entre des glissements de terrain dans les régions de l’Ouest et du Centre, et les inondations dans la zone de l’Extrême-Nord. Le pays peine à faire face à ses défis climatiques, dans un contexte où l’incurie gouvernementale s’est emparée de l’ensemble de l’appareil étatique. Le ministère de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable, est responsable de la gestion par anticipation de ces phénomènes, et du suivi de nombreux projets aux actions préjudiciables sur la nature, mais avoue son incapacité à pouvoir tenir ses prérogatives, faute de financements.
Dans une interview accordée conjointement à Mongabay et à la radio nationale camerounaise, le 2 décembre 2024, en marge de la COP16 sur la désertification à Riyad, le patron de ce département ministériel a laissé entendre qu’aucun projet susceptible de mettre en péril l’environnement ne faisait l’objet de suivi, sur les 1230 projets recensés par son ministère. Il évalue à environ 1,9 milliards de francs CFA (2,9 millions USD) par an, le coût global des missions de contrôle et de suivi des plans de gestion environnementale et sociale (PGES) de l’ensemble de ces projets. Pierre Hélé, en poste au ministère de l’Environnement depuis 20 ans, n’a pas aussi manqué de pointer un doigt accusateur sur ses homologues des autres départements ministériels, responsables, selon lui, de l’immobilisme et de l’incurie qui plombent le développement du pays à tous les niveaux.
Mongabay : Vous avez récemment pris part à la COP climat à Baku, et vous êtes également présents à Riyad pour la COP sur la désertification. Quelles attentes formulez-vous au sortir de ces importants rendez-vous pour la préservation de l’environnement ?
Pierre Hélé : Les attentes sont nombreuses. Nous passons d’une COP à l’autre. À Abidjan (lors de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement en septembre 2024), nous avons rappelé le triple fléau planétaire : changement climatique, lutte contre la désertification et les pollutions. Nous sommes interpelés par l’un des fléaux, à savoir la désertification et la dégradation des terres. Il y a la partie septentrionale du pays, qui est durement frappée par ce phénomène, y compris dans les zones forestières et côtières. Cette rencontre est appropriée pour répondre aux urgences de la dégradation des écosystèmes forestiers et des savanes. Nous passons d’une COP à l’autre, il y a de belles propositions qui sont faites, il y a de beaux discours qui sont prononcés. Les attentes sont nombreuses. Au sortir des deux dernières COP (biodiversité et climat), nous, pays africains, avons dit qu’au lieu de pleurnicher permanemment, il est question qu’on change de paradigme. Désormais, il n’y a pas d’activités sans intérêts. Les activités sont gagnant-gagnant. Nous constatons que les discours sont nombreux, les promesses sont nombreuses, mais il n’y a guère d’argent. Les fléaux continuent de monter, faute de financements. Il faut mettre l’accent sur le bilatéral, c’est-à-dire d’un pays à l’autre, au lieu de se fier aux grandes conventions. Au lieu d’attendre, il faut qu’on s’engage réellement pour que les dangers que nous courrons à travers ce qui se passe, soit éradiqués. Nous avons un travail très important.
Mongabay : Quels types d’actions envisagez-vous au Cameroun pour lutter contre l’ensemble de ces fléaux que vous n’avez de cesse d’énumérer ?
Pierre Hélé : À mon niveau, dans le cadre de cette convention de 12 millions d’hectares de terres dégradées au Cameroun, je vais essayer de voir avec l’Arabie Saoudite, quel organisme peut nous aider afin que nous puissions éradiquer ce fléau de désertification et de sécheresse. Et là, ça va s’étendre aux zones forestières. J’en ai parlé avec notre ambassadeur ici (Riyad), et il a trouvé que la proposition est appropriée, et qu’il avait, dans ce sens, pris contact avec le ministère des Relations extérieures. Quand je vais rentrer, je vais toucher la haute hiérarchie, afin que nous puissions, en bilatéral, essayer de toucher les pays qui peuvent nous aider dans le cadre de la convention à laquelle nous sommes partie.
Mongabay : Comment comptez-vous engager le secteur privé dans la gestion durable des terres au Cameroun, en particulier dans le secteur minier où des compagnies minières sont responsables de la dégradation des terres sans jamais les restaurer ?
Pierre Hélé : C’est une question de volonté. Il ne s’agit pas d’une question de loi ou de texte. On connait les solutions pour passer à l’action. L’inaction nous cause beaucoup de préjudices. Nous avons dit à la COP sur le changement climatique à Baku, que le Cameroun entend transformer les contraintes climatiques en opportunités de développement. S’il y a des mines d’or dans les forêts, nous allons couper pour nous enrichir, pour nous développer. Si quelqu’un gagne un marché, il doit réaliser une Étude d’impact environnementale et sociale (EIES), qui permet de dégager les effets négatifs et positifs. On prend des dispositions pour bonifier ce qui est positif, et on élimine ce qui est négatif. Nous sommes responsables de cette situation, qu’il s’agisse des élites locales, les autorités locales, tout le monde. Il suffit qu’on vienne vous donner un petit quelque chose (pot-de-vin), et vous accepter que les gens viennent faire des gaffes. La solution dépend de nous. Cette volonté ferme d’aller au-delà de ce que nous pouvons faire.
Je disais en blaguant, avec des frères Camerounais ici (Riyad), quand nous voyons que ce pays est développé (Arabie Saoudite), pourquoi sommes-nous si en retard ? J’ai répondu en disant que la faute nous revient, à nous les ministres. Le chef de l’État nous fait confiance, mais nous ne faisons pas le travail qu’il faut faire. Il est temps qu’on revoit notre façon de faire. J’étais au Kenya, et j’ai demandé, pourquoi ils sont si développés ? Il y a des méthodes qui consistent à construire, explorer et transférer, qui permettent aux gens de construire de grandes choses. Nous sommes en retard, très en retard. Il faut que les actions suivent. J’ai mon petit point de vue, et quand l’occasion se présentera, je ferai comprendre ce point de vue. Le président nous a fait confiance, mais qu’est-ce que nous faisons ? Si nous gérons bien le peu d’argent qu’on nous donne, la question ne se poserait pas. Pourquoi les autres sont si avancés et que nous sommes derrière. Si on aime son pays, on doit se poser cette question.
Mongabay : Concrètement, comment comptez-vous amener le secteur privé à investir dans la restauration des terres dégradées ?
Pierre Hélé : L’intervention du secteur privé dépend des intérêts qu’il peut tirer de son activité. Ce ne sont pas des actes gratuits. Le secteur privé est là pour faire du profit sur son activité. Avant d’engager un projet, il fait une étude de rentabilité, qui n’est pas pour faire plaisir aux populations, mais pour renflouer ses caisses. Au lieu d’interpeller le secteur privé, dont le rôle n’est pas de chercher le bien-être des populations, à la différence de l’État, nous devons faire des choses au-delà de ce que nous faisons déjà pour pouvoir changer les choses.
Mongabay : Monsieur le ministre, l’on a constaté que des EIES sont menées pour des projets et que des Plans de gestion environnementale et sociale (PGES) sont aussi établis et dans lesquels les entreprises s’engagent au respect d’un certain nombre d’obligations vis-à-vis de l’environnement et des communautés. Mais ces engagements ne sont pas toujours respectés, et on voit ces compagnies continuer à opérer, sur la base d’une Attestation de respect des obligations environnementales (AROE), délivrée et renouvelée chaque année par votre ministère. Comment expliquez-vous cela ?
Pierre Hélé : Votre question est très pertinente, mais permettez-moi de prendre un exemple qui ne cadre peut-être pas avec cette question. Dernièrement, nous avons vécu des inondations dans l’Extrême-Nord du pays, et avant ça, nous avons eu des problèmes de glissement de terrain à Mbankolo (quartier de Yaoundé) et à Bafoussam (catastrophe de Gouache). Nous, au ministère de l’Environnement, on avait prédit ces catastrophes, on a alerté, mais des dispositions n’ont pas été prises. Quand nous avons été interpelés par le premier ministre, de nous prononcer sur les inondations de l’Extrême-Nord, j’ai dit que le coût de l’inaction est très élevé. On n’agit pas à temps. Si on faisait les actions comme prévu, on ne serait pas à ce niveau. Nous faisons des EIES et le PGES (Plan de gestion environnementale et sociale), dont le Préfet est président du comité de gestion au niveau local. Ce dernier est chargé de voir si le maitre d’œuvre met en place les règles édictées par l’environnement, mais nous n’avons pas l’argent pour le suivi du PGES. Je l’ai relevé, et le premier ministre est désormais au courant. Si on veut éviter ce type de catastrophes à l’avenir, il faudrait que le ministère des Finances nous donne l’argent nécessaire pour cela. Le coût d’une mission de suivi s’élève à 760 000 francs CFA (1205 USD), et nous avons 1230 projets à suivre. Si chaque projet faisait l’objet de deux contrôles par an, ça allait éviter ce que nous vivons. On fait des EIES, puis on laisse tomber. Il nous faut de l’argent pour suivre nos PGES ; que nous ayons le courage de mettre en application les avertissements donnés par l’Observatoire national sur les changements climatiques (ONACC), des prévisions qui sont faites, pour ne pas être surpris. Tout est connu comme problème, mais la solution, c’est une question d’argent et de décision.
Image de bannière : Ministre de l’Environnement, de la protection de la nature et du développement durable du Cameroun. Image par MEPNDD.
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