- Le Lac de Guiers est une cuvette sahélienne, c'est-à-dire un bassin large et peu profond, situé dans la basse vallée du fleuve Sénégal, s'étendant entre les régions de Saint-Louis et de Louga au nord du pays.
- Il fournit plus de 50 % du volume d'eau potable consommée dans la région de Dakar.
- Depuis 2018, ce lac est menacé par la prolifération des unités agro-industrielles, dix-sept au total, recensés par l'Office des lacs et cours d'eau du Sénégal.
- La forte pression exercée sur le lac, résultant des prélèvements d'eau et à l’installation des agro-industriels aux alentours, soulève des interrogations concernant sa capacité à continuer de fournir de l'eau potable à Dakar et aux autres villes du pays, face à la présence croissante de l'agrobusiness.
Le Lac de Guiers est une cuvette sahélienne, située au nord du Sénégal, dans la basse vallée du fleuve Sénégal, qui s’étend entre les régions de Saint-Louis et de Louga. L’instauration des barrages de Diama et Manantali a modifié en profondeur le régime hydrologique du fleuve Sénégal. Grâce à cet apport fluvial continu, le lac est devenu la plus grande réserve d’eau douce du Sénégal, malgré son emplacement dans une zone sahélienne réputée très aride. Il fournit plus de 50 % d’eau potable dans la région de Dakar. Son potentiel hydrique joue un rôle stratégique dans la politique d’agriculture irriguée du pays, et contribue à l’autosuffisance alimentaire. En effet, 69 % des volumes consacrés au secteur agricole proviennent de l’agrobusiness.
Cependant, depuis 2018, l’Office des lacs et cours d’eau (OLAC) du Sénégal a recensé dix-sept unités agro-industrielles dans le bassin du lac. Cette forte pression exercée sur le lac soulève des interrogations parmi les hydrologues au sujet de sa capacité à continuer de fournir de l’eau potable à Dakar et aux autres villes du pays, face à la présence croissante de l’agrobusiness dans son voisinage, au moment où l’État du Sénégal parle de souveraineté alimentaire avec un accès à l’eau potable pour tous.
Dans une interview accordée à Mongabay, Anastasie Mendy, hydrologue et enseignante-chercheuse à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, souligne l’importance du Lac du Guiers pour le pays.

Mongabay : Quelles sont les particularités et le potentiel du Lac de Guiers ?
Anastasie Mendy : Le Lac de Guiers est une dépression naturelle peu profonde, qui constitue la plus importante réserve d’eau douce de surface du Sénégal. Son bilan hydrologique ne cesse de se complexifier depuis l’aménagement des barrages de Diama, créé́ en 1986, et de Manantali en 1988, sur le fleuve Sénégal, lequel alimente le lac en permanence, et a considérablement augmenté sa capacité́ de stockage. Et, cette dépression sahélienne se trouve dans un bassin, où il y a un affluent du fleuve Sénégal, qui est le Ferlo. Depuis des décennies, le lac est alimenté par le fleuve Sénégal. Et avant les grands aménagements, le Lac de Guiers était alimenté par le fleuve Sénégal, de sorte que pendant la période de crue, le surplus d’eau se déversait dans le lac via le canal de la Tatoué. Aujourd’hui, le lac est entièrement alimenté par le fleuve Sénégal et en permanence, c’est-à-dire 12 mois sur 12, 92 % de l’eau du lac provient du fleuve sénégalais. La pluie contribue pour 5 %, et les rejets des eaux agricoles pour 3,3 %. Le reste de l’année, il y avait le niveau du lac qui était très bas, et parfois même avec un assèchement au niveau de certains secteurs. Mais aujourd’hui, c’est un lac où le potentiel en eau est quand même considérable du fait des barrages. Donc là, ce sont les effets des barrages sur le fleuve Sénégal. Toujours dans le cadre de la présentation de ce lac, le taux d’évaporation est très élevé. L’essentiel de l’eau est perdu par évaporation, parce que c’est une zone où la saturation de l’air est très faible, donc les prélèvements sur le lac sont énormes.
Mongabay : L’eau disponible dans le lac est-elle douce et potable ?
Anastasie Mendy : Cela nécessite des analyses. Un effet de prélèvement d’eau que je devais soumettre au niveau des laboratoires. Mais si on regarde ce que dit la littérature, effectivement, nous avons de plus en plus des doutes. Là, aujourd’hui, il y a l’effet de dilution. Mais auparavant, quand le fleuve était alimenté de manière intermittente, une partie de l’année, on avait l’intrusion saline, c’est-à-dire que l’eau de mer qui pénétrait dans le lac, venait plus ou moins créer cette salinisation. Mais aujourd’hui, avec l’effet de dilution, puisqu’on a mis un barrage anti-sel qui sert à repousser le biseau salé, maintenant, s’il y a le sel, il faut peut-être chercher la salinisation, il faut chercher l’origine à l’interne. C’est à l’interne par le biais des techniques agricoles qu’il faut interroger. Mais dans tous les cas, maintenant, le véritable problème, c’est est-ce que l’eau est polluée ou pas. Et c’est pollué parce qu’on a vu que parmi les apports d’eau dans le système, il y a des eaux usées agricoles. Donc là, on soupçonne, et effectivement, c’est ce qui va être démontré plus tard, que nous avons un problème de pollution, mais pas seulement lié à la salinisation. Peut-être qu’elle est là, mais très faible du fait de la dilution. Mais c’est beaucoup plus aujourd’hui les régimes d’eau usée qui constituent la véritable inquiétude.
Mongabay : Beaucoup d’unités d’agrobusiness sont installées autour du Lac de Guiers. Les prélèvements d’eau de ces industriels n’affectent-ils pas la quantité et la qualité de l’eau ?
Anastasie Mendy : Pas forcément. Le lac est alimenté en permanence par le fleuve Sénégal, et son niveau est presque équivalent à celui du fleuve. Lorsqu’il y a prélèvement d’eau dans le lac, celui-ci est généralement compensé par l’apport du fleuve. En revanche, le vrai problème réside dans le fait qu’une diminution des prélèvements pourrait entraîner une augmentation de l’évaporation, surtout depuis l’installation des agro-industries. Bien que la proportion d’évaporation par rapport au volume total ait diminué en pourcentage, le volume absolu d’eau évaporée a augmenté. Les agrobusiness pratiquent une agriculture intensive spécifique (canne à sucre, tomate, oignon…), qui s’appuie sur des systèmes d’irrigation en raie, pivot, aspersion et goutte à goutte… Les périmètres exploités sont assez entendus et ils sont équipés de stations de pompage, de canaux, de drains, de réservoirs, tandis que l’irrigation gravitaire domine dans les exploitations familiales et les périmètres agricoles tenus par les petits producteurs.
Du point de vue hydrologique, on parle souvent de ce qu’on appelle « l’eau virtuelle », c’est-à-dire la quantité d’eau nécessaire à la fabrication d’un produit. Je soutiens que l’essentiel de la production locale devrait être consommée par la population locale. En revanche, lorsque cette production est exportée, surtout dans une zone sahélienne en pénurie d’eau, on transporte également la ressource en eau. Dans un pays confronté à un déficit hydrique, il est généralement déconseillé d’exporter des productions agricoles, comme le font par exemple Israël ou le Maroc, qui sont aussi en situation de vulnérabilité en eau. Beaucoup ont tendance à oublier cet aspect de l’eau virtuelle. Au Sénégal, la situation est déjà critique : selon les statistiques, nous sommes en 2025 et la vulnérabilité en eau commence lorsque la disponibilité par habitant passe en dessous de 250 000 m³ par an. Et cela, malgré une augmentation de la population, la ressource en eau restant globalement stable.

Mongabay : Quels sont les défis à relever pour ne pas perturber l’alimentation du Lac de Guiers ?
Anastasie Mendy : Tant que le fleuve continue d’alimenter le lac, il n’y a pas de problème immédiat. Cependant, le fleuve Sénégal coule dans un bassin transfrontalier, partagé entre plusieurs pays, et est géré via l’OMVS (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal), une véritable démarche d’hydro-diplomatie. La majorité d’eau originaire du haut bassin, notamment de la portion malienne et guinéenne, alimente le fleuve. Toute dégradation dans cette région, comme la déforestation ou l’exploitation minière, peut compromettre la qualité et la quantité d’eau. Si le haut bassin connaît des perturbations, cela aura des répercussions forcément sur l’approvisionnement du lac. Il faut surveiller cette partie. Toutefois, le Sénégal dispose d’un quota qu’il doit respecter en matière de prélèvements, tant en quantité. Une gestion intégrée et participative du fleuve est donc essentielle. Il faut renforcer la vigilance dans le haut bassin, préserver le couvert végétal, et éviter toute dégradation qui pourrait compromettre tant la qualité que la disponibilité de l’eau dans ce système.
Image de bannière : Anastasie Mendy, hydrologue, enseignante-chercheure à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Photo de Ndiémé Faye pour Mongabay.
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