- La dégradation des terres en Afrique a un impact sur la vie des populations rurales, qui dépendent fortement des ressources naturelles pour assurer leurs moyens de subsistance.
- Enrayer la dégradation des terres tout en améliorant les moyens de subsistance peut s’avérer délicat, et toutes les initiatives ne sont pas couronnées de succès.
- Une récente étude de Sustainability Science a passé en revue 17 initiatives dans 13 pays africains afin d’identifier les facteurs de réussite ou d’échec.
- L’étude révèle que l’utilisation des relations sociales, la mise en place de mesures adéquates pour répondre aux comportements hostiles au risque et le maintien d’une dynamique sur le long terme semblent être les facteurs clés du succès d’une initiative.
Gestion de coopératives d’huile d’argan au Maroc. Reverdissement du Niger. Revitalisation d’un parc national à Madagascar. Protection de la faune et de la flore dans les zones de conservation communautaire en Namibie. Plantations d’anacardiers au Burkina Faso. Gestion des plages au Kenya. Agroforesterie au Ghana.
Ce ne sont que quelques-unes des nombreuses initiatives qui ont tenté d’enrayer la dégradation des sols en Afrique tout en améliorant les conditions de vie des populations. Certaines ont réussi, alors que d’autres ont échoué et, comme le montre une récente étude, les projections sont extrêmement difficiles.
Selon un rapport de 2021 de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), près de la moitié du continent africain est touchée par la désertification et deux tiers des terres cultivables sont dégradés ; pourtant, 60 % des Africains dépendent de leurs terres et de leurs forêts pour assurer leurs moyens de subsistance.
« Je travaille sur de nombreux projets pour lesquels je me déplace et vais au-devant des communautés. Je collabore avec les habitants pour apporter un changement et réfléchir avec eux à ce que nous pourrions mettre en place pour y parvenir », explique Camille Jahel, chercheuse au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). « À un moment donné, nous avons voulu comprendre si c’était vraiment réalisable, s’il était possible de faire changer les choses de manière durable. »
À vrai dire, ces questions n’ont rien de réellement nouveau. Mais, selon Camille Jahel, si de nombreux travaux théoriques sont disponibles en la matière, peu d’études ont véritablement porté sur les projets menés sur le terrain en Afrique et ont examiné de manière complète les dynamiques locales, les forces du marché et les contraintes écologiques, souvent dans des pays pauvres marqués par une longue histoire coloniale.
« Le contexte local est sans aucun doute fondamental, mais si nous voulons tirer des enseignements pour l’avenir, nous devons apprendre à généraliser, d’une manière ou d’une autre », déclare Eric Lambin, professeur de géographie à l’Université de Stanford, aux États-Unis.
Afin de comprendre pourquoi certaines initiatives fonctionnent et d’autres échouent, Camille Jahel et Eric Lambin ont passé les précédents travaux de recherche au peigne fin pour tenter de trouver des études axées à la fois sur la durabilité environnementale et les moyens de subsistance. Ils ont retenu 17 initiatives dans 13 pays, allant de la gestion des plages au Kenya à la Grande Muraille verte au Sénégal. Ils ont évalué chaque projet en s’intéressant à différents critères, à partir d’articles publiés et d’échanges avec des chercheurs. Ils ont ensuite examiné les données de manière détaillée pour tenter d’identifier les facteurs qui avaient pu influencer les résultats obtenus.
« Nous étions curieux des conclusions de l’étude et nous n’avions aucune idée de ce que nous allions découvrir », se souvient Camille Jahel.
Un changement positif est possible
Selon l’étude, publiée récemment par Camille Jahel et Eric Lambin dans Sustainability Science, 7 des 17 initiatives auraient eu des effets positifs aux niveaux écologique, économique et social, ce qui indique que ces trois domaines pourraient être liés les uns aux autres.
Certaines initiatives, mises en œuvre à l’échelle nationale ou appliquées à une vaste région, ont noté des améliorations dans certaines zones, mais pas dans d’autres, et certains projets n’ont mené à aucun changement positif.
D’une manière générale, ce sont les améliorations des conditions écologiques qui ont été les plus marquantes ; les impacts économiques en matière de revenus ou de rendements des cultures sont souvent restés relativement modestes.
Les auteurs de l’étude ont défini une longue liste de facteurs pouvant être regroupés sous trois thèmes : communication, motivation et capacité. Cette liste comprend des éléments comme l’identification des causes de la dégradation de l’environnement, la communication avec les décideurs politiques, l’alignement sur les structures institutionnelles, les subventions et bien d’autres encore.
Comme escompté, aucun facteur ne détermine à lui seul le succès ou l’échec d’une initiative.
« Il est essentiel d’adopter une approche systémique, où les différentes pièces s’imbriquent les unes dans les autres », souligne Eric Lambin.
Selon Camille Jahel, l’étude de cas du Niger s’est particulièrement démarquée de toutes celles qui ont fait leurs preuves. Contrairement à ses attentes, il s’agit de l’une des rares approches « ascendantes » – ce qui met en évidence l’importance de la communication et des relations sociales bien établies.
Au début des années 1980, le sud du Niger était en majeure partie une plaine aride et balayée par les vents. Les fermes avaient remplacé les forêts, les arbres étaient abattus pour le bois de chauffage et les sécheresses avaient desséché la terre. Dans le district de Maradi, les membres du projet de développement intégré de Maradi (MIDP) ont élaboré une approche de reboisement, la « régénération naturelle assistée par les agriculteurs ». Au lieu de planter des espèces exotiques, ils ont encouragé les agriculteurs à protéger les buissons et les jeunes plants dans leurs champs pour permettre aux arbres de se régénérer naturellement.
L’adoption du projet a pris du temps. Mais lors des sécheresses de 1984 et de 1988, le MIDP a commencé à offrir de la nourriture aux agriculteurs en échange de la protection des jeunes plants, dans le cadre du programme « nourriture contre travail ». Mais après les premières pluies, la plupart des agriculteurs ont repris leurs anciennes méthodes. Toutefois, près d’un quart d’entre eux ont continué à participer au programme et, peu à peu, à mesure que leurs arbres ont poussé, ils ont commencé à récolter les fruits de leur travail : des sols plus sains, des récoltes plus abondantes, ainsi que du paillis et du bois de chauffage à portée de main.
La nouvelle s’est vite répandue et, grâce aux ateliers et aux formations proposés, les agriculteurs ont été de plus en plus nombreux à se tourner vers la culture de semis dans leurs fermes. Ils ont également commencé à collaborer entre eux et avec les éleveurs pour limiter le pâturage et déployer les opérations de régénération dans l’ensemble du paysage. Pour ce faire, ils se sont appuyés sur les institutions existantes tout en impliquant de nouveaux participants dans le processus décisionnel. Ils ont également bénéficié du soutien des organisations non gouvernementales (ONG) et de l’évolution de la législation relative au droit de propriété sur les arbres.
« Lorsque vous analysez leur expérience, vous vous rendez compte que beaucoup de travail a été fait pour faciliter la communication… ils ont dû s’organiser et conclure des accords avec les éleveurs », explique Camille Jahel. Jusqu’à présent, la régénération naturelle assistée par les agriculteurs a permis de reboiser au moins 6 millions d’hectares (15 millions d’acres) au Niger, soit environ 5 % de la superficie totale du pays. « Il s’agit donc d’une mobilisation de grande ampleur, qui a débuté par de nombreux types d’initiatives menées par les agriculteurs et les ONG locales, et qui a donné des résultats impressionnants.
L’importance du contexte
Pour d’autres initiatives, comme on a pu le constater dans les zones de conservation communautaire en Namibie, le contexte local a fait une réelle différence.
En Namibie, les zones de conservation communautaire communales offrent une structure formelle et reconnue par la loi qui permet aux communautés de gérer la faune et la flore sauvages sur leurs terres et d’en tirer profit. Les premières zones de conservation communautaire ont été créées en 1998. En 2022, on en dénombrait 86 sur un cinquième de la Namibie, 78 % d’entre elles générant des revenus pour leurs membres.
Maximilian Meyer, aujourd’hui chercheur postdoctorant à Agroscope en Suisse, a axé ses recherches sur les zones de conservation communautaire de la région du Zambèze en Namibie pour son doctorat. Il a constaté que, dans l’ensemble, les zones de conservation communautaire de la région permettaient de concilier la protection environnementale et le développement socioéconomique.
Il a également noté que les populations d’éléphants étaient stables ou en augmentation, et les aires boisées à l’intérieur de ces zones de conservation en meilleure santé que dans les zones environnantes. En outre, les aires boisées les plus intactes ont été identifiées près de lodges touristiques.
La plupart des avantages économiques directs reposent sur des accords de partage de bénéfices avec les sociétés de tourisme qui exploitent généralement des lodges sur une partie des terres de la zone de conservation communautaire. Les communautés profitent également d’une partie de la viande des animaux abattus par les chasseurs de trophées. Les recherches de Maximilian Meyer ont également permis de souligner que les habitants des zones de conservation communautaire jouissaient d’un « revenu environnemental » plus élevé, avec un meilleur accès au bois de chauffage, à la nourriture sauvage, au chaume et à bien d’autres avantages, en particulier à proximité des lodges.
D’autres travaux, que Camille Jahel et Eric Lambin ont examinés dans le cadre de leur étude, ont révélé que les zones de conservation communautaire situées loin des routes principales n’attiraient pas les touristes et ne généraient donc pas autant de revenus. En outre, dans les régions plus humides, l’agriculture s’avère plus rentable que le tourisme, ce qui encourage moins à protéger les espèces sauvages susceptibles d’endommager les cultures.
« En fait, cela dépend vraiment du contexte », résume Camille Jahel. « Vous pouvez très bien avoir une bonne idée, mais ensuite il vous faut trouver un lieu où cette idée peut vraiment fonctionner. »
Maximilian Meyer souligne que les zones de conservation communautaire présentent des avantages en matière de justice sociale, car elles permettent de restituer des terres qui ont été confisquées pendant le colonialisme, un résultat qui n’est pas mesurable.
« C’est un moyen de récupérer des terres, et c’est extrêmement important », explique le chercheur.
Tout changement comporte des risques
Nombre d’agriculteurs considèrent le changement comme risqué, surtout si leurs revenus avoisinent le seuil de pauvreté.
« Lorsque nous voulons mettre en place quelque chose de nouveau, il nous faut trouver un moyen de motiver les gens à l’accepter », explique Camille Jahel. « Les mesures d’incitation sont donc définitivement les plus importantes. »
Souvent, ces mesures d’incitation sont financières, comme cela a été le cas pour une initiative de plantation d’anacardiers dans le sud du Burkina Faso.
Dans les années 1970 et 1980, le gouvernement du Burkina Faso a planté des anacardiers pour lutter contre la désertification croissante de la région et créer des sources de revenus pour les communautés, mais l’initiative a été peu suivie.
Les choses ont toutefois changé au milieu des années 1990. Avec l’explosion des prix de la noix de cajou, les acheteurs indiens se sont tournés vers Afrique de l’Ouest. Dans des pays comme la Côte d’Ivoire, qui employaient des migrants burkinabés, la culture de la noix de cajou a pris un réel essor. Certains de ces migrants sont rentrés au Burkina Faso et ont créé des plantations d’anacardiers dans le sud du pays, où les niveaux de précipitations étaient suffisants.
L’intérêt pour la nouvelle culture a ensuite pris de l’ampleur, et les plantations se sont développées, en suivant le modèle des concessions nouvellement établies et des plantations gouvernementales, indique Sarah Audouin, aujourd’hui scientifique au Cirad, qui a étudié la dynamique des plantations d’anacardiers au Burkina Faso dans le cadre de sa thèse de doctorat. Le lieu d’implantation des concessions et le rythme auquel la culture s’est développée ont été largement influencés par les relations entre les agriculteurs, les infrastructures et le soutien opportun des ONG et du gouvernement.
Mais tout le monde n’en a pas profité de manière égale, fait observer Sarah Audouin. Certains éleveurs ont perdu l’accès aux terres où ils faisaient paître leur bétail, et les migrants qui n’avaient pas de droits fonciers n’ont pas non plus bénéficié de tous les avantages des arbres qu’ils ont plantés.
« Il y a des gagnants et des perdants, surtout lorsqu’il s’agit d’utiliser des ressources naturelles [limitées] », souligne la chercheuse.
Toutefois, si la noix de cajou a été initialement introduite pour mettre un terme à la dégradation des terres, certains craignent que sa culture dans certaines parties de l’Afrique de l’Ouest n’accélère désormais la déforestation, le remplacement des cultures vivrières et la perte de la biodiversité.
Tout changement prend du temps
L’étude a également mis en évidence la nécessité de maintenir la dynamique et de concilier les besoins à court terme des communautés avec des objectifs à plus long terme comme la restauration des écosystèmes. Certaines initiatives se sont heurtées à un retrait du soutien financier des donateurs trop précoce ou à des mesures d’incitation mises en œuvre à court terme uniquement. L’initiative a donc échoué avant que les objectifs à long terme aient pu être atteints.
Selon Camille Jahel, il arrive aussi que les projets s’enlisent parce que les objectifs ont été ciblés de manière trop étroite.
« Certains projets sont axés sur la technologie, par exemple, sans analyse des conflits entre les personnes… ils se concentrent donc sur un seul domaine en négligeant les autres, et c’est ce qui mène parfois à l’échec », indique-t-elle.
Eric Lambin indique qu’il est essentiel d’adopter une approche systémique, d’adapter sa stratégie à mesure que les événements apparaissent ou que le projet entre dans une nouvelle phase.
« On fait souvent trois pas en avant et deux pas en arrière », dit-il. « On se retrouve face à une crise, puis à un changement de régime, ensuite à une sécheresse, et enfin à un conflit. Il faut donc toujours apprendre à gérer ces changements et ces événements et savoir jongler avec toutes ces variables. C’est presque décourageant parfois. On en vient même à se dire qu’on n’y arrivera jamais. Mais 40 % des cas que nous avons étudiés y sont parvenus.
Citations :
Jahel, C., & Lambin, E. F. (2024). Reversing degradation of social-ecological systems: Explaining the outcomes of interventions in Africa. Sustainability Science, 1-30. doi:10.1007/s11625-024-01568-5
Image de bannière : Photo de deux guépards. Image de Mark Dumont via Wikimedia (CC 2.0).
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