- Un rapport publié par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) indique que le Protocole sur les droits de propriété intellectuelle de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) privilégie l'agriculture industrielle, compromettant ainsi les systèmes semenciers paysans.
- Ce document indique également que le Protocole ne contient pas de dispositions relatives à la biosécurité, augmentant le risque de contamination génétique avec les essais d'organismes génétiquement modifiés.
- Il souligne aussi les risques de vol de brevets et de biopiraterie, mettant en danger les systèmes alimentaires et les connaissances traditionnelles des agriculteurs.
Le Protocole sur les droits de propriété intellectuelle de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) comprend des dispositions qui pourraient potentiellement promouvoir et renforcer les systèmes semenciers paysans et la souveraineté en matière de semences. Mais, au même moment, ce Protocole favorise l’agriculture industrielle, compromettant ainsi les systèmes semenciers paysans et la souveraineté en matière de semences, affaiblissant les petits exploitants agricoles, pourtant majoritaires au sein des agriculteurs.
Telles sont les conclusions du rapport, qui a été rendu public à Nairobi le 7 mars 2025, au cours d’une conférence organisée par Biodiversity and Biosafety Association (BIBA) Kenya, en partenariat avec l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), sur le thème « Reprendre le pouvoir financier pour l’agroécologie et la souveraineté alimentaire ».
« Ce problème est exacerbé par l’absence d’une annexe autonome sur les droits des agriculteurs, le système semencier paysan et la souveraineté en matière de semences. Par conséquent, les dispositions actuelles pourraient perturber le système de certification des semences et la souveraineté en matière de semences en perpétuant la domination d’entités à la recherche de profits, telles que les entreprises semencières et alimentaires, et en marginalisant les petits exploitants agricoles », indique le rapport.
Jean Paul Sikeli est le Secrétaire exécutif de la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN), une organisation ayant participé à la rédaction de ce rapport. Il explique à Mongabay qu’à l’heure actuelle, les systèmes semenciers paysans ne sont pas reconnus. « Par exemple, l’Union africaine a produit des lignes directrices pour harmoniser les cadres de régulation sur la question des semences. Ces cadres de régulations admettent la grande importance des semences paysannes au point de les qualifier de socle critique du patrimoine génétique africain. À en croire cette institution, 90% des semences utilisées en Afrique seraient d’origine africaine. Mais en même temps, les cadres de régulation, que ce soit au niveau continental, régional et national, ne leur reconnaissent pas un statut légal. On fait la promotion des semences conventionnelles, du système semencier dit conventionnel, mais on ne reconnait pas les systèmes semenciers paysans », dit Sikeli.

Le rapport déplore aussi le contrôle des entreprises sur les variétés végétales. « Bien que l’article 18 du Protocole de la Zlecaf sur les droits de propriété intellectuelle prévoie la protection des savoirs traditionnels, les réglementations africaines actuelles en matière de droits de propriété intellectuelle n’empêchent pas l’appropriation illicite des variétés paysannes et des savoirs traditionnels », indique le rapport. Il cite comme exemple le cas d’une entreprise française qui s’est d’abord vu refuser les droits de propriété intellectuelle sur le « Violet de Galmi », une variété d’oignon populaire du Niger. Cette entreprise a ensuite obtenu un certificat de protection des obtentions végétales pour le même oignon, sous un nom différent.
Le rapport indique également que le Protocole de la Zlecaf présente des faiblesses en matière de biosécurité, car « 11 États parties à la Zlecaf ont autorisé des essais d’organismes génétiquement modifiés sur le terrain et/ou la production commerciale, mais le Protocole ne contient pas de dispositions relatives à la biosécurité, ce qui accroît le risque de contamination génétique dans le cadre du système d’assurance de la qualité des aliments ».
Face à ces lacunes, les acteurs locaux expriment leurs préoccupations. « Sur le terrain, nous sommes confrontés à cette réalité et nous pensons que nos semences doivent être protégées. Il faut des dispositions pour protéger les semences indigènes », dit Claire Quenum, Présidente du Réseau africain pour le droit à l’alimentation (RAPD-Togo), à Mongabay.
Le rapport parle également de l’absence de dispositions claires en matière de divulgation des données, « ce qui ouvre la voie aux multinationales pour exploiter les connaissances traditionnelles des agriculteurs sans leur consentement ou sans partage équitable des avantages ».
Valorisation des semences paysannes
Face à ces constats, le rapport propose des solutions telles que l’ajout d’une annexe autonome sur les droits des agriculteurs et la souveraineté en matière de semences, l’instauration de règlements sur la biosécurité pour prévenir la contamination par les Organismes génétiquement modifiés (OGM), le renforcement de la protection contre la biopiraterie par des exigences de divulgation et de partage des avantages.

Le rapport propose également l’abandon de l’alignement sur la version 1991 de la convention de l’Union pour la protection des obtentions végétales pour privilégier un système de gouvernance des semences unique en son genre. Enfin, il recommande la réévaluation du rôle de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) dans l’élaboration de la politique agricole de la Zlecaf pour éviter l’empiètement des entreprises.
« Notre combat aujourd’hui, au niveau de AFSA et de la COPAGEN, c’est de faire en sorte que les systèmes semenciers paysans et les semences paysannes soient officiellement reconnus tant au niveau politique que législatif et règlementaire », dit Sikeli.
Il ajoute : « L’Union africaine reconnait que les semences paysannes constituent la base critique du patrimoine génétique africain et 90 % des semences qui sont utilisées sont d’origine paysanne. Il y a donc un paradoxe parce qu’on admet que les semences paysannes sont importantes pour la sécurité et la sureté alimentaire et institutionnelle, et en même temps, on ne les reconnait pas ».
Mongabay a demandé à l’AFSA si elle a discuté des conclusions de ce rapport avec la Zlecaf et ce qu’a dit l’organisation. « Ce n’est pas ce que la Zlecaf dit, mais c’est plutôt ce qu’elle a dit et qui nous a amenés à tirer les conclusions que nous avons dégagées, notamment comment la Zlecaf s’est positionnée sur la question des semences », dit à Mongabay, Famara Diédhiou, membre du secrétariat de l’AFSA.
« La Zlecaf a dit que pour commercialiser les semences ou pour travailler sur les semences, il faut s’aligner à l’Union pour la protection des obtentions végétales. La protection des obtentions végétales dit que, pour que les semences soient commercialisées, elles doivent être uniformes, homogènes et stables. Or, ces questions d’uniformité, d’homogénéité et de stabilité ne s’adressent pas aux semences naturelles, mais plutôt aux semences sur lesquelles la recherche a travaillé, sur ce qu’on appelle les semences hybrides », ajoute Diédhiou.
« Quand on plante les semences hybrides la première année en y mettant tous les engrais nécessaires, on a de gros rendements. Mais si on récolte et préserve ensuite ces semences pour l’année d’après, dès la troisième année, les rendements vont baisser. Ce type de semences nécessite beaucoup d’engrais et de pesticides pour être performantes. Avec les textes de la Zlecaf et de l’Union pour la protection des obtentions végétales, les semences paysannes que nous avons l’habitude d’utiliser et qui peuvent être utilisées dans les conditions agroécologiques, sont exclues du commerce au profit des semences hybrides », dit Diédhou. « Lorsqu’on sait que la production alimentaire est à 80 % détenue par les petits producteurs en Afrique, ça voudra dire qu’ils sont exclus du commerce de la ZLECAF », ajoute Diédhiou.
AFSA affirme vouloir aller au-delà de ce rapport. « Nous avons découvert qu’il y a des annexes qui doivent définir comment va être mise en œuvre la partie qu’on appelle Protocole sur les droits de propriété intellectuelle. Nous allons beaucoup travailler sur ça. Nous voulons connaitre quels sont les organes qui seront impliqués dans la production de ces annexes, afin que l’on produise des annexes qui vont dans le sens du droit des paysans sur leurs semences, du droit à les réutiliser, à les vendre », conclut Diédhiou.
Image de bannière : Nairobi le 7 mars 2025. Présentation du rapport de l’AFSA intitulé « Déballage du protocole de la Zlecaf sur les droits de propriété intellectuelle ». Image de Bob Dixon/AFSA avec son aimable autorisation.
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