- Les peuples autochtones du monde, représentés par leurs organisations, prennent part aux travaux de la 16e Conférence des parties de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification à Riyad.
- Ils font connaitre aux parties prenantes, à travers un partage d’expériences, leurs techniques de restauration des terres dégradées, basées sur leurs connaissances traditionnelles et ancestrales.
- Ils espèrent surtout obtenir des financements conséquents pour des projets de restauration des terres axés sur ces connaissances.
Les peuples autochtones Batwa de la République démocratique du Congo (RDC) sont représentés à la 16e Conférence des parties (COP) de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD), qui se tient du 2 au 13 décembre 2024, à Riyad, en Arabie saoudite, par la Ligue nationale des associations autochtones pygmées (LYNAPYCO) de la RDC. Dans un entretien accordé à Mongabay, Fidèle Mbilizi, membre de l’ethnie Batwa et directeur du pool Est de cette association dans son pays, s’est exprimé sur la problématique de l’accès des peuples Batwa à la terre ; sur les mesures gouvernementales adoptées pour résoudre cette problématique ; et surtout au sujet de quelques techniques de restauration des terres dégradées mises en œuvre par ces peuples forestiers.
Mongabay : Vous représentez les peuples autochtones Batwa de la RDC, à travers votre association, dans les débats de la COP16 à Riyad sur la problématique de la dégradation des terres précisément. Il est un secret de polichinelle que l’accès à la terre n’est pas toujours garanti pour les peuples autochtones. Comment faites-vous face à cette problématique dans votre pays ?
Fidèle Mbilizi : Depuis des millénaires, nous sommes les premiers conservateurs des forêts. La conservation, c’est nous. La forêt, c’est notre mère nourricière. La terre, c’est notre sang. Ce qui nous fait vivre, c’est la terre, et malgré le fait qu’il y ait un problème d’accès à la terre pour les Batwa, c’est notre sang. Comme vous le savez, la plupart des Batwa n’ont pas de terres. Ceux qui en ont, leurs terres ne sont pas sécurisées. Du coup, notre organisation a mis sur pied deux grands programmes. Le premier porte sur le suivi du processus de réforme foncière et de l’aménagement du territoire en cours, en RDC. Notre organisation représente notre communauté au niveau des deux commissions, à savoir la Commission nationale sur la réforme foncière et la Commission nationale sur l’aménagement du territoire. On est en train de faire un plaidoyer dans ce processus pour la prise en compte des droits des autochtones dans ces politiques. Nous avons déjà eu quelques avancées, avec des articles ou des clauses qui sont dans les deux documents.
La question de la dégradation des terres prend de l’ampleur chez nous, compte tenu de l’expropriation par les communautés dominantes et par l’État congolais, pour cause d’utilité publique. Ces terres sont attribuées aux entreprises minières, et celles-ci représentent une menace pour nos terres. Nous avons un autre programme, qu’on appelle les 4R+S (la restauration des pays forestiers et des terres dégradées ; la régénération des paysages ; la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; la revitalisation), financé par Resources rights initiative (RRI). La revitalisation, en particulier, signifie que lorsque les terres sont restaurées, cela va soutenir l’économie locale, les moyens de subsistance des peuples autochtones et des communautés locales. Le « S » signifie sécurisation. C’est le plus grand défi dans la restauration. Lorsqu’on restaure les terres, si on n’arrive pas à les sécuriser, c’est peine perdue. Les menaces subsisteront, et les entreprises peuvent toujours venir les arracher ; l’État peut toujours les récupérer pour des questions d’exploitation de minerais. Raison pour laquelle, nous avons mis en place ce vaste programme pour restaurer et sécuriser. De 2023 à 2024, nous avons pu sécuriser 118 000 hectares à l’ouest de la RDC. À l’est, comme c’est une zone où il y a beaucoup de problèmes fonciers, nous avons fait une étude d’identification et de localisation des trois typologies de terres des peuples autochtones : les terres conflictuelles, les terres mixtes et les terres propres aux peuples autochtones.
Mongabay : Vous menez un plaidoyer auprès du gouvernement de la RDC pour la sécurisation de vos terres. Vous avez déjà réussi à sécuriser 118 000 hectares. Quelle superficie envisagez-vous de sécuriser dans les jours à venir ?
Fidèle Mbilizi : Nous voulons sécuriser, pour l’année 2025, plus de 100 000 hectares de terres. Si on y parvient, ça fera au moins 200 000 hectares, et c’est une avancée significative, et notre communauté se sentira elle-même sécurisée ; car leurs terres seront sécurisées. Nous irons également très loin, pas seulement à la sécurisation, mais aussi au niveau de la législation. C’est pour ça que nous faisons un plaidoyer au niveau du gouvernement pour la prise en compte des droits des peuples autochtones dans les politiques publiques. Nous attendons les amendements de la nouvelle loi foncière, qui viendra abroger l’ancienne loi de 1973. Nous voulons que l’ensemble des réformes, qui sont en cours en RDC, tiennent compte de certaines questions des peuples autochtones dans les sphères de décisions. Nous avons également une loi qui a été promulguée le 15 juillet 2022, portant protection et promotion des peuples autochtones pygmées. Le fait de reconnaitre un peuple autochtone pygmée est une avancée significative.
Mongabay : Est-ce que vous notez tout de même déjà des améliorations dans la prise en considération de vos droits avec l’avènement de cette loi ?
Fidèle Mbilizi : Les changements vont se faire au fur et à mesure. On travaille d’abord pour vulgariser cette loi pour que les autochtones et les autorités se l’approprient. Il faut aussi des mesures d’accompagnement. Il faut qu’au niveau de chaque ministère sectoriel, soient prises des mesures qui vont accompagner la mise en application de cette loi. Nous travaillons sur ce plaidoyer. Par exemple, cette loi a prévu la création d’un Fonds de développement des peuples autochtones. Ce fonds doit être approvisionné, mais il faut un décret du premier ministre pour sa création et son fonctionnement.
Mongabay : Quels moyens utilisent les communautés autochtones Batwa de RDC pour restaurer leurs terres dégradées ?
Fidèle Mbilizi : Nous avons restauré les terres par des arbres à chenilles (Mutiwawouzima, en langue Batwa), qui sont des arbres qui accueillent les chenilles. La chenille est l’aliment principal des peuples autochtones Batwa. Cet arbre est considéré comme l’arbre de la vie, parce que lorsque les chenilles viennent s’installer dessus, les Batwa partent les cueillir, les mangent et les commercialisent. Il y a aussi la foresterie communautaire qui nous permet de restaurer et de sécuriser nos terres ; nous restaurons aussi nos terres, grâce à l’agroécologie, en optant pour une diversité de cultures ; nous utilisons la technique de paillage, qui permet d’utiliser des feuilles d’arbres pour fertiliser les sols, et nous connaissons les types d’arbres qui fertilisent les sols ; nous avons aussi une plante qu’on appelle vétiver (vetiveria), que nous plantons pour stabiliser le sol sur un relief accidenté, afin de lutter contre l’érosion des sols. On utilise également l’urine (humaine) pour restaurer et soigner les plantes. Ça consiste à recueillir l’urine des habitants du village dans un bocal, ensuite on l’utilise pour imbiber le sol avant de planter et asperger la plante pendant son processus de croissance. Aujourd’hui, avec ces atouts que nous avons sur la restauration, nos méthodes traditionnelles, notre identité contribuent à la régénération de la biodiversité. Pendant la période de circoncision par exemple, les eaux, les poissons et la terre sont protégées pendant au moins un an, parce qu’on cesse de fréquenter cette rivière où on a pratiqué le rite de circoncision pendant une année, et par conséquent, ça permet à la nature de se restaurer, et à la biodiversité de se régénérer.
Image de bannière : Fidèle Mbilizi, membre de l’ethnie Batwa et directeur du pool Est de la Ligue nationale des associations autochtones pygmées (LYNAPYCO) de la RDC. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.
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