- « Quels facteurs garantissent l’efficacité des interventions en faveur de la conservation des forêts en régions tropicales ? », est le titre d'une revue scientifique publiée en 2024 mettant en lumière la divergence des méthodes d’intervention en faveur de la conservation de forêts tropicales et les différents défis de la mise en place de ces moyens.
- Cauê Carrilho et Colas Chervier ont étudié les facteurs pouvant influencer l’efficacité des interventions de conservation des forêts, afin de générer des idées pour les améliorer.
- Mongabay s’est entretenu avec Colas Chervier, pour savoir s’il est possible d’adapter les interventions de conservation des forêts de l’Amazonie et de l’Asie du Sud-Est au bassin du Congo.
Dans une étude du Centre pour la recherche forestière internationale publiée en 2024, des chercheurs ont examiné les facteurs qui garantissent l’efficacité des interventions en faveur de la conservation des forêts en régions tropicales. Cauê Carrilho et Colas Chervier ont cherché à comprendre quels instruments de politique publiques en matière d’utilisation des terres seraient plus efficaces à l’effet de conserver les forêts. Mongabay est allé à la rencontre du chercheur français Colas Chervier, co-auteur de l’étude pour comprendre l’influence de différents facteurs sur l’efficacité des interventions de conservation des forêts dans bassin du Congo.
MONGABAY : Vous avez publié une étude sur les facteurs qui garantissent l’efficacité des interventions en faveur de la conservation des forêts en régions tropicales. Pourquoi avoir choisi de concentrer vos recherches sur les régions tropicales ?
Colas Chervier : La principale raison est institutionnelle. On travaille pour des institutions et des projets qui s’intéressent à la déforestation tropicale, et le projet était pour le Centre pour la recherche forestière internationale (Cifor). La raison sous-jacente est que les forêts tropicales sont d’une importance reconnue d’un point de vue global pour résoudre les problèmes de changement climatique, mais aussi autour des questions de biodiversité. C’est un des écosystèmes qui a le plus de biodiversité au monde, et il stocke du carbone. Cela justifie notre démarche ayant consisté à nous intéresser à la manière la plus appropriée de la protéger.
MONGABAY : Qu’est-ce qui vous a motivé à mener cette étude?
Colas Chervier : Notre motivation première était d’apporter l’information, qui était utile aux décideurs publics. Il y a beaucoup d’études qui font de l’évaluation d’impact et des politiques qui visent à réduire la déforestation. On s’est dit qu’on allait faire une revue de cette littérature pour voir comment le contexte influence l’efficacité des politiques. On s’est donc focalisé sur la littérature scientifique avec les méthodes quantitatives pour évaluer l’impact qui se base généralement sur la comparaison d’un site où la politique est mise en œuvre et d’un site où la politique n’est pas mise en œuvre (un site de contrôle).
MONGABAY : Quels ont été les résultats de cette étude et avez-vous été surpris ?
Colas Chervier : Lors de cette étude nous avons sorti deux résultats principaux basés sur les protections strictes et moins strictes. Cela permet de comprendre où les décideurs politiques doivent mettre en œuvre ces politiques de conservation. Si on les met dans les zones à très faibles risques, les potentiels d’impacts sont plutôt faibles et si on les met dans les zones à très forts risques, les potentiels d’impacts sont aussi très faibles parce qu’il y a trop de pression. L’idéal serait de les mettre en place dans les zones entre les deux. Il est important de dire qu’il n’y a pas assez d’études d’impacts robustes basées sur des méthodologies robustes, qui analysent l’impact de ces politiques de lutte contre la déforestation. On n’a pas vraiment un panorama général de quel outil est le plus efficace et dans quelles conditions, parce qu’on manque des études qui en parlent, donc on manque d’information. Le deuxième résultat est qu’il faut mettre en œuvre plus d’évaluations de ce type pour enrichir la connaissance et arriver à des conclusions un peu plus réalisables. Ces résultats ne m’ont pas du tout surpris, car j’avais déjà une idée sur cette littérature.
MONGABAY : Selon vous, quelle est la situation de la conservation des forêts du bassin du Congo ?
Colas Chervier : De ce que j’ai compris en ayant travaillé sur ça, bien qu’à distance, je peux dire que, pour l’instant, ce sont des forêts qui sont moins sous pression que les forêts de l’Amazonie et de l’Asie du Sud-Est. On peut s’attendre à ce que la pression augmente dans le futur, et par pression, on entend les questions de production et de commodité qui entraînent de la déforestation dans l’Asie du Sud-Est. La République démocratique du Congo (RDC) est plus vaste que plusieurs autres pays du bassin du Congo, donc il est plus peuplé et la population est répartie de manière diffuse dans les forêts. Donc, la pression est sur les forêts, notamment via l’expansion de la petite agriculture familiale plus importante et plus répandue dans le territoire. Les causes de la déforestation varient selon les situations. De ce point de vue, la RDC est singulière, ce qui rend le pays intéressant, car cela mène aux questions de réduction de la pauvreté : on ne peut pas seulement restreindre l’accès aux forêts à ces populations sans leur proposer des moyens alternatifs en termes de subsistance.
MONGABAY : Votre revue soulève la question des forêts tropicales, mais vous ne mentionnez que les massifs forestiers tropicaux de l’Amazonie et de l’Asie du Sud-Est. Y a-t-il une raison pour le choix de cette zone géographique ?
Colas Chervier : Ce choix est lié à notre méthodologie de la revue de littérature, c’est-à-dire qu’on se base sur la littérature existante. Le souci, c’est qu’il y a moins de papiers d’évaluation d’impact des politiques de conservation qui sont publiés sur le bassin du Congo en général et en RDC en particulier. Raison pour laquelle ce n’est pas vraiment traité spécifiquement dans cette revue de la littérature.
MONGABAY : Quels dangers pèsent sur l’écosystème de ces forêts tropicales et comment faire pour conserver sa biodiversité ?
Colas Chervier : Les dangers sont connus, le facteur direct de déforestation, c’est souvent l’agriculture, qu’elle soit familiale ou industrielle. De manière générale, c’est quand même l’une des premières causes directes de pertes de couvert forestier.
À cela, il faut ajouter les minerais, d’autant plus qu’ils vont prendre de l’importance dans le futur avec l‘essor des voitures électriques, qui auront besoin des minerais qui se trouvent dans les forêts tropicales. Les mines vont être une cause de déforestation importante. Il y a aussi plein de causes sous-jacentes, comme les problèmes de gouvernance, les infrastructures routières, les facteurs économiques comme la vente de l’huile de palme, dont le prix pousse souvent des personnes à s’intéresser aux zones forestières et la production se passe dans les zones forestières. Pour protéger sa biodiversité, c’est avant tout une question de volonté politique. Mais, ces décideurs politiques sont sous pression, car ils doivent jongler entre plusieurs objectifs, entre autres, les objectifs de développement économique, lutter contre la pauvreté, et ces zones forestières sont souvent là où tous ces enjeux vont se concentrer.
MONGABAY : Que faire pour limiter l’exploitation de ces forêts ?
Colas Chervier : Notre revue s’est plus penchée sur comment l’efficacité des différentes solutions politiques changeait selon le contexte. D’autres revues scientifiques s’intéressent plutôt à quelles politiques sont efficaces. De mon expérience, je dirais une fois de plus que c’est une volonté politique. Un des principaux moyens pour un gouvernement de protéger une forêt, c’est de définir le statut de la terre sur laquelle est la forêt. En Indonésie par exemple, il y a cette distinction entre zones forestières et zones agricoles, et tout ça est mis dans un plan d’usage de sol à l’échelle nationale. Quand on regarde de plus près, on voit que la déforestation est très faible dans les zones forestières, même s’il n’y a pas d’aires protégées, même s’il n’y a pas de projets ; juste le fait que cette zone soit définie comme une forêt, amène plus de protection et il y a moins de déforestation. Ça démontre la volonté politique de dire qu’on garde cette zone comme forêt et cette autre pour le développement de l’agriculture. Les aires protégées sont des systèmes qui sont assez efficaces, mais après on se demande si on a exclu d’autres usages, si c’est juste pour les communautés locales.
MONGABAY : Que montrent les quelques évaluations d’impact conduites dans le bassin du Congo ?
Colas Chervier : Les évaluations d’impact conduites dans le bassin du Congo font l’objet de deux articles. L’un traite de l’impact des concessions forestières sur la déforestation et la dégradation des forêts en RDC, et montre qu’il n’y a pas vraiment d’impact des concessions forestières sur la déforestation, comparé à une zone contrôle. L’autre traite de l’impact des mines artisanales dans l’Est de la RDC sur la déforestation. Ce qu’on montre, c’est qu’il y a un faible impact direct sur les mines, parce que la déforestation va se concentrer sur les zones où on n’extrait pas les minerais. Ce qui mène à une déforestation secondaire, qui n’est pas assez importante, mais qui est drivé par l’agriculture familiale. Cette agriculture pousse la population de cette région à aller dans ces zones non exploiter par des chercheurs de minerais pour pouvoir faire l’agriculture, afin d’obtenir à manger etc. Tout ça pour dire que les méthodes vues dans cette revue de la littérature, peuvent être adaptées au bassin du Congo.
MONGABAY : Selon vous, quelle forêt incarne un modèle de gestion forestière durable jusque-là et pourquoi ?
Colas Chervier : Les choses que je trouve assez intéressantes sont plus mises en œuvre en Amérique du Sud. Des collègues au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) travaillent sur des coopératives forestières. Le gouvernement du Guatemala donne accès aux communautés. Elles peuvent exploiter la forêt et commercialiser du bois si elles le font de manière durable. C’est aussi le cas dans le bassin Amazonien, qui donne aux communautés locales des droits et le moyen de vivre de ses forêts sans avoir à les convertir en terres agricoles. Cela résout les problèmes de justice, car on ne restreint pas la forêt à ces communautés ; ça résout aussi des problèmes de développement et de pauvreté, parce qu’on leur donne le moyen d’exploiter la forêt tout en tirant un revenu, tout en réglant le problème de conservation, car on met quand même des règles pour que la forêt ne soit pas trop dégradée. Je trouve que ce sont quand même des modèles. J’avais aussi trouvé intéressants les modèles de concession forestières en Afrique centrale lors de mon passage au Gabon pour un projet. Ce modèle de gestion ralliait le point économique, où on produisait de la richesse à partir des forêts d’un côté et de l’autre, ça permettait de conserver et d’avoir une gestion durable de ces forêts. C’est le même modèle mais qui perd ce côté bénéfique pour les communautés locales. Mettre les forêts sous cloche et interdire tout accès et toute exploitation ne sont pas non plus des solutions viables sur le long terme.
MONGABAY : Avez-vous observé un avant et un après la publication de cette revue scientifique ?
Colas Chervier : Pas encore, là c’est juste un document de travail qui a été publié. Le pouvoir de décision est beaucoup moins important quand il s’agit d’un document de travail plutôt que d’une publication scientifique avec un comité de lecture. Je ne peux pas dire qu’elle ait eu d’impact. La manière de mesurer l’impact des revues scientifiques est de voir le nombre de situations qu’on peut avoir et si l’on a beaucoup de situations, cela veut dire que de plus en plus de personnes trouvent l’importance de faire ce type d’analyse de l’hétérogénéité de l’impact. Et j’espère que beaucoup de gens feront ce type d’analyses, comme ça il y aura beaucoup plus de matériaux, peut-être que dans 5 ou 10 ans, on pourra refaire ce type de revue de la littérature et on pourra avoir des conclusions plus robustes. Et d’un point de vue plus pratique, ça peut influencer les décisions publiques. Je pense qu’il n’y a pas assez de matières pour l’instant pour qu’on ait une conclusion assez générale pour pouvoir faire des recommandations aux décideurs politiques.
Image de bannière : Communauté locale vers le village de Lokolama, dans la province équatoriale de la République Démocratique du Congo. Image de © Gosette Lubondo via Greenpeace.
Citation :
Carrilho, D. C. & Chervier, C. (2024). Quels facteurs garantissent l’efficacité des interventions en faveur de la conservation des forêts en régions tropicales ? Une revue systématique. Document de travail N° 3 3, CIFOR et World Agroforestry. file:///C:/Users/pc/Downloads/YANNE%20Conservations%20for%C3%AAts%20tropicales.pdf
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