- En République démocratique du Congo, un défendeur de l’environnement risque la prison à perpétuité pour des accusations graves dont il fait l’objet.
- Rodrigue Mugaruka Katembo est le chef des patrouilles au sein du Parc national de Virunga, le plus ancien de la RDC et l’un des plus importants de l’Afrique, contenant notamment des éléphants de forêt. Il est poursuivi pour des crimes que ses troupes sont supposées avoir commis, ce que le concerné nie.
- Le Parc national de Virunga est au cœur d’un conflit à cause de de l’envahissement d’une partie de l’aire protégée, que veulent occuper des habitants de la ville de Goma, dont certains sont soupçonnés de vouloir forcer au silence le concerné.
Lubumbashi, RDC – Le ranger congolais Rodrigue Mugaruka Katembo, auréolé du prix environnemental « Goldman » 2017 de l’association américaine Goldman Environmental Foundation pour son activisme dans la protection de la faune, risque la prison à perpétuité en République démocratique du Congo (RDC). La cour militaire du Nord-Kivu, à Goma, le juge pour meurtre, incendie volontaire, pillage et destruction méchante. Ce que le garde-parc rejette formellement en dénonçant une action d’intimidation.
Le 27 novembre 2024, la cour militaire a tenu une nouvelle audience dans l’affaire, qui oppose un groupe de personnes, dont les identités restent incertaines à Rodrigue Mugaruka Katembo. Des avocats engagés par l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), l’y ont représenté.
Engagé dans la conservation depuis 2003, Mugaruka est aujourd’hui, en qualité de chef des patrouilleurs, la 2e personnalité du Parc national de Virunga, une aire protégée placée sous la responsabilité de l’ICCN, le service public chargé de la gouvernance des aires protégées et qui est aussi l’organe CITES. Virunga est l’un des parcs les plus anciens, riches et plus beaux d’Afrique en termes de biodiversité. Il contient des gorilles, des hippopotames ainsi que les célèbres Okapi.
Depuis plusieurs années, la pointe sud-est du parc fait face à une pression persistante de l’extension de la ville de Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, qui connaît une démographie des plus fortes de la RDC : 2 423 hab/km2 si l’on considère l’estimation de 2 millions d’habitants.
Depuis 2020, un groupe d’habitants de Goma essaie d’étendre la ville jusqu’à la borne sud du parc de Virunga, autour de la colline de Nzulo, près du lac Kivu. Ces personnes ont même réussi à faire condamner l’Etat congolais et l’exproprier d’une partie de la zone d’environ 1100 hectares, afin de l’occuper, au cours d’un procès contre lequel même les avocats de l’Etat n’auraient opposé de contestation, s’étonne un défenseur des droits humains qui a préféré garder l’anonymat au motif que plusieurs militaires sont impliqués.
« L’ICCN s’est vu déguerpi de cet espace. C’est comme ça qu’il a saisi les instances judiciaires pour montrer que c’est un parc national. Ce n’est pas possible que les gens puissent se prévaloir de ce terrain pour gagner de l’argent », explique au téléphone Mugaruka Katembo, à Mongabay.
Face aux accusations portées contre lui, Mugaruka Katembo assure n’avoir posé aucun acte délictuel. Même réaction de la part de l’ICCN, d’après Bienvenu Buende, chargé de communication du Parc national de Virunga : « Nous ne nous reprochons rien et nous sommes confiants quant à la bonne issue de la procédure judiciaire encore », explique Buende.
Quant à Mugaruka, il estime, en outre, que les accusations de meurtre, destruction et vol des biens sur le site de Nzulo, procèdent d’une tactique qui vise à l’intimider et à empêcher les patrouilles sur la partie disputée du parc.
D’après l’accusation, les éco-gardes auraient tué une personne au cours de patrouilles dans la région de Nzulo, en plus de la destruction des matériaux de construction.
Après 2013, Mugaruka fait une nouvelle fois face à un conflit lié à son engagement pour la conservation des écosystèmes. La première année, il avait fait face à la torture et aux menaces, lorsqu’il avait contribué à faire reculer le pétrolier britannique SOCO dans son projet d’exploration de pétrole dans le parc de Virunga, grâce aux enquêtes sur la corruption et à ses dénonciations. Cet engagement lui avait valu le prix de la Fondation Goldman en 2017.
Le procès qui le vise actuellement est également le 3e qui touche Virunga depuis 2020 en termes de menace contre cette aire de conservation de la biodiversité. A la suite du recours de l’ICCN contre l’expropriation de 2020, les autorités de Kinshasa avaient confié le procès à la cour d’appel du Tanganyika, province voisine, qui avait annulé le jugement précédent, tel que l’indique l’arrêt RCA 074/4493 16 mars 2023 que Mongabay a consulté.
Une zone importante pour les écosystèmes
Nzulo donne accès au lac Kivu, point de chute du Parc national de Virunga à son extrême sud-est. Cette zone disputée sert, de ce fait, de point de passage de diverses espèces animales, explique l’avocat Olivier Ndoole qui est un défenseur de l’environnement. Cette partie « constitue un couloir qui permet à la faune sauvage d’accéder à l’eau. En plus, c’est une partie qui peut accueillir des activistes touristiques autour du lac et permettre le développement d’une économie verte. Aussi, il n’y a jamais eu des études, qui prouvent que cette partie-là n’est pas utile sur le plan écologique ou biologique. Jusqu’à ce jour, ça constitue le Parc national de Virunga », explique Ndoole.
C’est ce que confirme aussi, pour sa part, Magaruka Katembo lui-même à Mongabay : « Nzulo est un couloir écologique de taille pour la survie de grands mammifères attirés par l’écosystème aquatique, le lac Kivu, pour s’abreuver et y assurer les accouplements possibles. C’est le cas des éléphants de forêts », écrit Mugaruka.
La zone disputée dispose d’importantes quantités de sable fin, ressource au développement du secteur du bâtiment en constante expansion à Goma. Ensuite, cette zone représente une opportunité d’affaires pour les titulaires des titres fonciers, qui peuvent revendre de petits espaces aux habitants.
Selon Magaruka, « une petite parcelle de 30 m sur 40 vaut USD 60 000 dans cette partie » [dans la zone de Nzulo].
Lors de la campagne « Nzulo n’est pas à vendre » visant à sensibiliser les habitants de Goma, l’ICCN avait indiqué les limites du parc dans la zone de Nzulo en ces termes : « Les terres de Nzulo font partie de l’ICCN. Seules, les collines de Nzulo, Kitwaru, Mihonga et Kabazana sont exclues du parc. Toute vente de parcelles en dehors de 4 collines est illégale et constitue une escroquerie ».
Image de bannière : Des gorilles au Parc national des Virunga, en République démocratique du Congo. Image de Joseph King via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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