- Le Cameroun peut réduire de 5 % les émissions de gaz à effet de serre générées grâce aux mouches soldat noires en 2030.
- Par exemple, pour 20 000 tonnes de déchets alimentaires, l’on a besoin de 350 kilogrammes de mouches soldats noires. Simulation faite à l’issue de la phase pilote du projet « Réduction des émissions de gaz à effet de serre par l’utilisation innovante de l’insecte « Black Soldier Fly ».
- La phase d’expérimentation a eu lieu de décembre 2022 à octobre 2023 à Simbock, dans l’arrondissement de Yaoundé 6, département du Mfoundi, région du Centre.
- Selon des experts, les BSF décomposent les déchets ménagers, réduisent ainsi la production de méthane, un gaz à effet de serre qui contribue au réchauffement climatique. Certains particuliers vulgarisent le concept pour produire du biogaz, et réduire les coûts dans la production agricole, pastorale et piscicole.
La forte mais courte pluie qui s’est abattue sur Yaoundé, le mercredi 13 novembre, n’a pas épargné sa banlieue Soa. Cet arrondissement du département de la Mefou Afamba abrite l’université de Yaoundé II, l’une des onze universités publiques que compte le Cameroun. C’est aussi, à quelques kilomètres de la cité universitaire, qu’a été érigé, en 2015, le Centre de formation professionnelle en élevage, pisciculture et agriculture (CEFPREPAS). Les formations offertes aux jeunes de tous les niveaux, durent six mois. Ce 13 novembre, la dizaine de jeunes apprenants, ayant intégré le centre, il y a quelques jours, reçoit un cours sur la production des mouches soldat noires ou Black Soldier Fly (BSF).
Romaric Kuaté, le formateur en la matière, est ingénieur en Eau et assainissement. « J’ai appris à produire les mouches soldat noires. Nous les utilisons initialement pour traiter les déchets », a-t-il indiqué.
L’ingénieur ne se retrouve pas par hasard sur le campus du CEFPREPAS. Kuaté est l’expert ayant conduit la phase pilote du projet « Réduction des émissions de gaz à effet de serre par l’utilisation innovante de l’insecte “Black Soldier Fly” » (Hermetia illucens).
Un projet du gouvernement camerounais dans le cadre des actions pour réduire de 35 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 à partir du niveau de 2010. « Je dois rappeler que dans le cadre de sa Contribution déterminée au niveau national (CDN), l’utilisation des larves de BSF pour le traitement des ordures ménagères pour réduire les émissions des gaz, notamment le méthane, a été retenue comme activité. D’où cette phase d’expérimentation, qui s’est faite sur une période de 19 mois, avec l’appui financier de la Coopération japonaise (JICA) », a expliqué Kuaté.
Le quartier Simbock a été choisi pour cette étape, parce que là-bas, laisse entendre Kuaté, une organisation de la société civile, le Centre international de la promotion de la récupération (CIPRE), travaillait déjà dans la récupération et le traitement des déchets. Cette dernière a été retenue comme partenaire du projet.
Atténuation du réchauffement et adaptation au changement climatique
Au terme de l’étape pilote du projet, les résultats ont montré, par exemple, que la décomposition de 20 000 tonnes de déchets alimentaires est possible par l’utilisation de 350 kilogrammes de mouches soldats noires.
En termes de coût, selon les estimations de l’expert, pour 0,286 kg d’œufs BSF utilisés, il faut mobiliser environ 4 millions de francs CFA (environ USD 6 400) pour la construction d’installations d’élevage de BSF et l’achat des matériels nécessaires à l’élevage de BSF. Le traitement des déchets alimentaires avec 1 kg d’œufs devrait nécessiter environ 12 millions de francs CFA.
Les mouches soldats noires interviennent dans l’atténuation du réchauffement climatique par la réduction des émissions de GES (méthane CH4) en réduisant les déchets organiques, mais également dans l’adaptation, car elles permettent la production du compost, un engrais biologique obtenu sans frais, pour l’amendement des plantes. Les larves de BSF peuvent aussi entrer dans l’alimentation de la volaille, du poisson à vil prix.
L’accès aux déchets, un défi
Le processus de production des BSF a été entamé il y a seulement deux jours dans une salle prévue pour la production des larves, ensuite, des mouches. Ici où se dégage une odeur nauséabonde, sont disposées des volières, espace où sont élevées les mouches, rappelle Kuaté. A côté, une unité de grossissement. « La volière est composée d’une cage faite avec un grillage métallique pour limiter les dégâts causés par les rongeurs, parce que les mouches soldat noires sont une source de protéines très prisée par les rongeurs et les poulets », a dit Kuaté. « A l’intérieur de l’unité de grossissement, il y a un peu comme une substance ou un composé utilisé pour attirer les mouches. Il s’agit d’avoir une forte odeur, qui va donner l’impression à la mouche qu’il y a une source de déchets, que leurs larves plus tard pourront se dégrader. La mouche adulte peut s’abreuver mais elle ne mange pas. Elle accumule tout. Son travail, c’est juste de s’accoupler et de pondre des œufs. On peut prolonger sa vie d’une à deux semaines en ajoutant peut-être de l’eau sucrée, en humidifiant la zone », a indiqué Kuaté.
« Après ce premier stade, renseigne Romaric Kuaté, les larves vont émerger, sortir du cocon et devenir mouche. Maintenant quand les conditions de température et de lumière sont réunies, elles vont commencer à s’accoupler et les femelles vont venir pondre dans des pondoirs, fabriqués, en rassemblant des lamelles de planches. Ces pondoirs sont placés au-dessus de l’attracteur parce que c’est l’odeur qui attire les mouches pour qu’elles pondent des œufs qui éclosent pour laisser directement tomber les jeunes larves dans le substrat qui a été préparé. Dans le cadre d’un élevage, on peut retirer les pondoirs peut-être tous les deux jours, quand il y a des mouches, récolter les œufs et aller incuber dans un incubateur. L’incubateur ici est fait de telle sorte que l’enceinte puisse être noir et pas très chaud », dit Kuaté.
« Quand on récolte les œufs, on prépare un substrat qui est la matière qu’elles ont dégradée, une fois qu’elles auront éclos, on les dépose au-dessus et on attend au bout de 3 à 5 jours. Les œufs éclosent et tombent directement dans le substrat, il commence à se nourrir, c’est-à-dire à dégrader. Si ce sont les déchets qu’il y a en bas, dès que les œufs tombent, ils commencent à les consommer. C’est en consommant les déchets qu’ils fixent tous les microbes, les dégrade. Ils peuvent passer d’un stade à un autre », a-t-il ajouté.
« Tout le déchet qui a été dégradé fait en sorte que la larve gagne en poids pour être utilisée comme source de protéines. On peut bloquer son évolution pour qu’elle ne devienne pas une mouche. Dans le cadre de l’élevage, on va stopper son évolution au bout de deux semaines. Donc, ainsi de suite », indique Kuaté.
Quand on veut avoir des déchets en quantité, il faudrait qu’on ait un accord avec la société en charge du ramassage des ordures, qui peut nous fournir les déchets appropriés, pas mélangés, parce qu’il faudrait qu’il y ait une unité de tri au niveau de la décharge et qu’on nous donne uniquement ce qui peut nous servir, les déchets biodégradables.
Moins de pression sur la ressource en eau et la terre
Entomologiste à l’université de Yaoundé I, Philène Corinne Aude Um Nyobe, n’a pas participé au projet. Toutefois, elle a dit que les mouches soldat noires jouent un rôle déterminant dans l’économie circulaire et l’agriculture durable. « Plus d’insectes, moins de GES. Avec les BSF, l’on peut produire des protéines à base d’insectes au lieu de le faire ’à partir d’élevages d’animaux de ferme. La méthode réduit les émissions de gaz à effet de serre de plusieurs façon; cette initiative permet, par exemple, de diminuer les transports grâce à l’économie circulaire; de revaloriser des résidus des matières organiques, dont l’enfouissement aurait généré des GES comme le méthane; de diminuer la production de céréales utilisées pour la nourriture des animaux des fermes, comme le maïs et le soja », a indiqué Um Nyobé, à Mongabay.
« Par exemple, pour produire 1 kg d’insectes, il faut seulement 1,7 kg de nourriture, alors que la même quantité de bœuf, de porc ou de volaille demandera respectivement environ 10 ; 5 et 2,5 kg de nourriture et donc une forte empreinte carbone. La production de la mouche soldat noire s’inscrit ainsi dans un modèle d’économie circulaire permettant la bioconversion des matières organiques. Comparativement aux protéines animales traditionnelles comme le poulet ou le poisson, ainsi qu’aux protéines végétales telles que le soja, sa production entraine moins d’émissions de CO2, et nécessite moins d’eau et de terres. Cette caractéristique en fait une option attractive pour une alimentation animale plus durable et respectueuse de l’environnement », a-t-elle dit.
Les Professeurs Joseph label Tamesse et Victor Joly Dzokou de l’université de Dschang partagent les avis de Um Nyobe. Ces derniers disent que ces mouches sont une solution d’avenir si les populations et les municipalités sont suffisamment impliquées. « L’agriculture pour le compostage des déchets organiques et l’élevage par l’utilisation de ces mouches comme suppléments alimentaires des animaux. La formation des différents maillons est nécessaire pour la connaissance de ces mouches et leur gestion. Ces insectes sont largement utilisées dans les expérimentations à la Faculté de sciences agronomiques de l’université de Dschang en partenariat avec certaines organisations, et même la mairie de Dschang ».
Seulement, malgré ces avantages, l’intégration de cette protéine dans les habitudes alimentaires des individus ou celle du bétail reste problématique. « Quand je pense que ce sont des déchets transformés, je reste très réticent, quant à leur utilisation. Même s’ils offrent des avantages au niveau du coût, qui est presque nul », a dit René Balla, pisciculteur hors sol à Yaoundé.
La gestion des déchets ménagers est un défi majeur pour les grandes agglomérations du Cameroun. Dans une étude parue dans European Scientific Journal, en 2021, William Hermann Arrey, Chargé de cours à l’université protestante d’Afrique Centrale, à Yaoundé, et Alain-Patrick Loumou Mondoleba, doctorant en Science politique, à l’université de Douala, écrivaient que les sous-quartiers n’étaient pas desservis par les services de ramassage des ordures. « A l’intérieur de ces derniers, les habitants créent des dépotoirs de déchets, en l’absence des bacs à ordures. D’après les estimations, la quantité d’ordures ménagères collectée quotidiennement par HYSACAM varie entre 400 et 500 tonnes ; soit une moyenne d’environ 40 % de la production seulement », ont-ils relevé.
Des populations, souvent débordées par ces immondices, se réfèrent à des méthodes parfois dangereuses pour s’en débarrasser, telles que le brûlage à l’air libre qui émet des fumées inhalées contre le gré des passants ou alors l’enfouissement dans le sol. D’autre part, le tri des ordures n’est pas encore dans les habitudes même de ceux qui les ramassent. « L’incinération des déchets, pratiquée par les populations, est porteuse d’émission des gaz à effet de serre ayant un impact direct sur la couche d’ozone. Les déchets déversés dans les caniveaux et les cours d’eau les bouchent et engendrent des inondations et des éboulements dans les quartiers situés dans les bas-fonds », ont déploré Arrey et Loumou.
Image de bannière : Mouche soldat des jardins (Exaireta spinigera), une espèce de Stratiomyidae. Como, NSW, Australie, juillet 2014. Image de John Tann via Flickr (CC BY 2.0).
Citation :
Arrey, W.H. & Loumou Mondoleba, A-P. (2021). Les Politiques publiques de gestion des déchets au Cameroun : Une analyse critique du ‘Monopole’ d’Hysacam à l’ère de la gouvernance décentralisée dans la ville de Yaoundé. European Scientific Journal, 17(15), 430. http://www.eujournal.org.
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