- La République démocratique du Congo est le plus riche en ressources forestières parmi les six pays du bassin du Congo. En superficie, la RDC compte 234 millions d'hectares, dont 181 millions hectares de forêts et 84 millions d'hectares de forêts primaires.
- La déforestation en RDC est principalement causée par la production de bois de chauffe. Ce qui entraîne la destruction de l’habitat faunique, une diminution de la résilience au changement climatique et à des dommages pour les communautés locales.
- La fabrication du charbon à base de déchets organiques, dans le but de lutter contre la déforestation, peut aider à contrer ce fléau environnemental.
- Des jeunes entrepreneurs se lancent dans la fabrication du biocharbon à Kinshasa, pour lutter contre la déforestation et l’insalubrité de la ville.
En République démocratique du Congo (RDC), les arbres coupés ont pour principal objectif la production de bois de chauffe. D’après la plateforme de dialogue et fond fiduciaire “L’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale” Cette production est estimée à 82,5 millions de mètres cubes. Outre cela, il y a aussi l’agriculture sur brûlis, la coupe de bois d’œuvre (construction de bâtiment, artisanat et autres). Ce sont les causes principales de la déforestation du pays.
En raison des problèmes d’électricité, que rencontre la RDC, le charbon de bois représente l’unique source d’énergie pour une grande partie de la population congolaise. Plusieurs ménages, particulièrement à Kinshasa, utilisent les Makala (braises/charbons de bois) pour cuisiner en lieu et place de l’électricité ou du gaz.
Selon le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), la ville de Kinshasa à elle seule consomme 17 millions de tonnes de bois par an. Et la RDC est le premier producteur de bois de chauffe d’Afrique centrale. Des chiffres qui s’expliquent en partie par son poids démographique et sa forte dépendance au bois pour remplir ses besoins énergétiques.
Pour Bertin Mbuya Kilabi, environnementaliste et chercheur à l’université de Kinshasa (UNIKIN), chacun doit mettre du sien pour lutter contre la déforestation et chaque geste compte «Toute activité qui vient se substituer au charbon de bois est perçue comme une alternative contre la déforestation en RDC». Il ajoute par ailleurs que d’autres utilisent le gaz pour la cuisson, d’autres font appel à l’hydro-électricité comme une énergie propre et renouvelable, et il y a ceux qui font recours au bio charbon écologique, qui, non seulement lutte contre la déforestation, mais lutte aussi contre l’insalubrité du milieu.
Pendant ce temps, certains jeunes congolais agissent en créant du biocharbon. C’est le cas de Boniface Olenga, chercheur aux énergies nouvelles et renouvelables et initiateur d’une structure spécialisée dans la production de biocharbon dénommée Makala ya sika (“Nouveau charbon” en lingala). Contacté par Mongabay, il n’a pas hésité à faire part de ses motivations: « J’ai créé cette structure dans le souci de résoudre quelques problèmes à la fois au niveau global et local. Global, dans le sens où nous participons à une lutte qui touche l’humanité toute entière, celle du changement climatique. Et local, parce que nous apportons une solution avec les moyens de tous les jours sans participer à la déforestation de nos forêts ».
Les matières premières utilisées pour produire ces charbons sont des déchets organiques, nous confirme Boniface Olenga : « Le Bio makala est issu des déchets ménagers, résidus agricoles et industriels. Aujourd’hui, il est possible de produire le bio makala à base des bambous de Chine, etc. ».
Il nous révèle aussi qu’il existe 3 méthodes de fabrication du biocharbon : la méthode manuelle, la méthode semi-industrielle et la méthode industrielle. La fabrication manuelle prend plus de temps contrairement à d’autres méthodes : « On peut tout produire en un jour, mais on n’aura pas un charbon prêt à être utilisé, mais dans une semaine, c’est faisable parce qu’il y a des étapes à suivre jusqu’au bout, comme la collecte de la matière première, le séchage, la carbonisation, le compactage et le séchage final. Raison pour laquelle nous sommes en plein processus pour transiter en méthode semi industrielle».
Aujourd’hui, sa production dépend de la demande et de la commande : « La production n’est pas régulière, compte tenu de certaines contraintes. Actuellement, j’ai un contrat avec un partenaire qui m’a demandé de lui produire 300 kg. Mais dès qu’on passera à une unité semi industrielle, là on peut envisager une production régulière ».
Ceux qui utilisent la méthode industrielle ne partagent pas tous cette expérience. C’est le cas de Cedrick Onoya Tokombe, entrepreneur et initiateur de Makala bio, soutenu par l’USAID et bien d’autres partenaires, pour qui la production prend moins de temps, car les machines tournent à plein régime. Il déclare avec fierté qu’ils travaillent dur pour atteindre un niveau de production acceptable, car l’étude du marché leur a appris que la disponibilité du produit est importante pour fidéliser la clientèle, malgré le problème d’électricité que subit l’entreprise. Lors de la visite de Mongabay, l’usine était calme. Aucune machine en marche, faute d’électricité. Mais cela n’empêche pas les employés de travailler ; au contraire, ils en profitent pour faire tout ce qui ne demande pas l’implication d’une machine, notamment l’emballage. Avec une équipe de 4 ouvriers qui travaillent en alternance en groupe de 2, sans électricité, ils sont bercés par l’ambiance des sons des pelles en remplissant les gros sacs de bio charbons, la radio et de leurs conversations.
Laetitia Makaya, responsable de production et unique femme dans l’équipe de production, nous révèle que l’entreprise projette de trouver une solution alternative avec l’usage des panneaux solaires, afin de pallier ce problème d’énergie qui impacte le travail. Et cette nouvelle source d’énergie sera d’une grande aide, car le processus reste le même: obtenir du carbone, qui est la matière première du biocharbon, à base de déchets organiques ou de la poudre de charbon de bois tamisée; mélanger l’amidon et le carbone dans le mélangeur, puis dans une autre machine qui donne de forme aux briquettes avant d’être séché au four et placer dans de gros sacs, emballé puis peser.
Peu importe les méthodes utilisées, les motivations de cette initiative restent les mêmes. « Je sais que je lutte contre la déforestation, qui rime avec le changement climatique. Autre chose qui m’a motivé, c’est l’insalubrité de la ville de Kinshasa. En voyant tous ces déchets qui polluent la ville, j’ai pensé à en faire quelque chose d’utile. D’où le choix de cette technologie qui, non seulement, permet de faire du recyclage, mais répond aussi au besoin de l’énergie de cuisson des ménages. En tant qu’être humain, il faut travailler pour ne pas laisser la terre en sale état », déclare Tokombe.
Des déchets pour certains, une mine d’or pour les entrepreneurs du biocharbon
Décembre s’annonce, pourtant à Kinshasa, dans les rues de Mont-Ngafula, les caniveaux reçoivent les déchets ménagers de riverains, qui veulent se débarrasser de leurs poubelles, et les sachets et bouteilles en plastique bouchant ces caniveaux : de vraies poubelles à ciel ouvert dans certains marchés, où le sol est jonché de légumes pourris, des pelures de fruits ou des céréales. Des déchets pour certains… une potentielle mine d’or pour ces producteurs de biocharbon.
Pour Bertin Mbuya, le biocharbon sera une réelle solution pour lutter contre la déforestation si au fur et à mesure, la population comprend l’importance de ce charbon et commence à le remplacer dans ses habitudes de cuisson.
Pendant que les dépôts de charbon de bois du quartier Upn, Delvaux ou encore Mama Mobutu sont remplis chaque matin des commerçantes venues se ravitailler ou des femmes ménagères qui viennent s’approvisionner, plusieurs d’entre elles pourraient utiliser le biocharbon, mais ne le font pas par ignorance ou manque d’information.
Sur dix femmes interrogées au hasard au quartier Mama Mobutu, dans la commune de Mont-Ngafula, six d’entre elles n’utilisent pas le biocharbon par manque d’information sur ses vertus, deux sont informées, mais n’osent pas, car elles pensent que c’est coûteux, mais ne se sont jamais renseignées sur le prix, et les deux autres l’utilisent occasionnellement. C’est le cas de maman Agnes, une ménagère revenant du marché avec deux sacs de courses, dont l’un contient du charbon de bois: « Souvent, nous ne savons pas où en acheter, car ceux qui nous le fournissent ne le font pas tous les jours, et une fois je l’ai cherché au marché mais difficile d’en trouver, car la majorité des vendeurs ne savent pas ce que c’est. C’est plus facile de trouver du gaz, mais encore plus simple et moins coûteux d’acheter le charbon de bois (…). C’est bien de sensibiliser sur l’importance de l’utilisation de ce charbon, mais dites-nous aussi où s’en procurer ».
Le biocharbon et le défi de la reconnaissance
Un sondage similaire a été réalisé par Evelyne Mbelu, une jeune ingénieure congolaise en pétrole et gaz, avant de réaliser un essai de fabrication de biocharbon. Et le résultat est presque identique: plusieurs femmes ménagères ignorent l’existence du biocharbon.
Interrogés à ce sujet, ces jeunes entrepreneurs ont chacun donné leur prix de vente, qui est de USD 0,3, soit 1000 francs congolais le kilo pour Makala ya sika, et USD 0,4 (1160 francs congolais) le kilo et USD 0,6 (2 000 francs congolais) pour deux kilos pour Makala Bio. De même, chacun d’eux affirme sensibiliser la population le mieux que possible sur les avantages de ces bio charbons.
Bien que la situation économique du pays et le manque d’information, poussent la population à se tourner vers le charbon de bois, l’environnementaliste Mbuya pense que le bio charbon a un avenir prometteur en RDC : « Il y a un grand marché pour ceux qui pensent s’investir dans cette filière, car il n’y a plus de forêt tout autour de plusieurs villes de la RDC de manière générale. Et pour créer ce biocharbon, on n’a pas à prendre de transports, ni à détruire les forêts, on pourra assainir le milieu. En dehors de soutenir la régénération de la forêt, la population peut l’acheter pour plusieurs usages ».
Au-delà du défi de changer les habitudes de consommation du charbon, Bertin Mbuya est d’avis que l’un des plus grands défis de la production du bio charbon reste la collecte de déchets organiques.
« Face à un système de gestion de déchets désordonné comme celui de la RDC, celui qui s’investit dans la production des bio charbons à un défi dans la collecte, parce qu’il n’y a pas de système de tris de déchets. Il doit donc séparer lui-même les déchets biodégradables de ceux non biodégradables, ce qui n’est pas une mince affaire ».
Quant à l’initiateur de Makala ya Sika, Boniface Olenga, le défi est d’ordre financier et matériel :
« Le biocharbon est un produit qui n’est pas encore connu par la majorité de la population. Ceux qui l’utilisent sont des personnes imprégnées des enjeux climatiques et qui habitent généralement les quartiers un peu évolués. Ça demande donc un peu de moyens financiers pour la sensibilisation, la promotion voire la vulgarisation de ce produit ».
Malgré le challenge lié au nouveau marché, c’est-à-dire convaincre la population que ce biocharbon est meilleur que le charbon de bois, qu’il peut aussi bien cuire les plats complexes tout autant que le charbon ordinaire à base de de bois, Mbuya est convaincu qu’il a un avenir prometteur en RDC.
Pour ces deux entrepreneurs, la conquête du biocharbon dans d’autres zones rurales, dans d’autres provinces, n’est pas encore envisageable, car Kinshasa n’est pas encore totalement conquise.
Image de bannière : Les briquettes de Makala bio dans de gros sacs, attendant d’être pesées et emballées. Image de Yanne Mbiyavanga pour Mongabay.
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