- Une étude publiée dans la revue Nature révèle, que les chasseurs sont les personnes les mieux informées des zones forestières tropicales et peuvent activement contribuer au suivi de l’état des populations animales dans les zones chassées.
- Pour promouvoir une chasse durable, les scientifiques recommandent la mise sur pied d’associations communautaires de chasse et la création des plans de gestion participative de surveillance de la faune.
- Au Gabon, le programme Sustainable Wildlife Management (SWM) accompagne des communautés rurales volontaires dans la mise en place d'une chasse durable sur leurs territoires traditionnels, et les aide à obtenir les droits officiels nécessaires auprès du gouvernement.
Dans son rapport Planète vivante 2024, publié en octobre dernier, l’ONG internationale World Wildlife Fund (WWF) alerte sur le déclin accéléré des populations d’espèces sauvages dans le monde. Elle estime que 73 % de ces espèces ont disparu au cours des 50 dernières années, entre 1970 et 2020, et que cette perte, qui était alors évaluée à 69 % en 2022, a augmenté de 4 % sur les deux dernières années. WWF explique que cette perte catastrophique des espèces sauvages est liée, entre autres, à la dégradation de leur habitat, à des fins de satisfaction des systèmes alimentaires des êtres humains; à la surexploitation, à la prévalence des espèces envahissantes (pour les espèces aquatiques) et aux maladies zoonotiques. La chasse de subsistance pratiquée, par les communautés pour des besoins en protéines animales, est ainsi considérée comme un des facteurs de ce déclin.
Une étude, publiée en juillet 2024, dans la revue scientifique Nature, illustre l’ampleur de la pression, que les communautés de chausseurs exercent sur la faune dans leurs territoires. Elle a été menée au Gabon —un pays du bassin du Congo, dont 85 % du territoire est couvert par de vastes forêts tropicales humides—, dans la zone d’approvisionnement en viande de brousse de Lastoursville, à l’est du pays.
Pendant 42 mois, les chercheurs ont collecté les données auprès de 314 chasseurs issus de 10 communautés de chasseurs de la localité, lesquels ont effectué un total de 12 970 voyages de chasse dans la zone, pendant les 3 ans et 6 mois dédiés à ce projet. En outre, ils ont eu recours à 374 pièges photographiques et 17 500 caméras-jours pour évaluer la composition et l’abondance relative des espèces forestières terrestres et semi-terrestres.
Les enquêtes sur les prélèvements, menées par les chercheurs, ont révélé différentes stratégies de chasse utilisées par les communautés de chasseurs ayant participé à l’étude. Bien que les méthodes de chasse varient d’un chasseur à l’autre, les fusils de chasse de calibre 12 représentaient environ 78 % de tous les animaux prélevés. Le piégeage était responsable d’environ 19 % des animaux tués, tandis qu’une plus petite fraction des animaux était attrapée à la main. Dans l’ensemble, les animaux les plus chassés étaient les ongulés, avec le céphalophe bleu (25 % de la ponction), le céphalophe de Peters (Cephalophus callipygus ; 13 %), le céphalophe bai (C. dorsalis ; 9 %), et le porc de rivière rouge (4 %), représentant ensemble jusqu’à 65 % de la faune totale prélevée. Parmi les rongeurs, le porc-épic à queue en brousse représentait 20 % de tous les animaux tués et 7 % de la faune totale. Les transactions en espèces concernaient environ 70 % de tous les animaux chassés.
Des chasseurs, acteurs clés de la conservation faunique
Les communautés de chasseurs peuvent pourtant être engagées dans une gestion durable de la faune dans leurs territoires et contribuer à une meilleure préservation des écosystèmes, conformément à l’objectif 30×30 du Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal, qui vise à protéger 30 % de la planète à l’horizon 2030.
Davy Fonteyn, Chercheur associé au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de France et auteur principal de l’étude, explique à Mongabay que « les chasseurs peuvent contribuer activement au suivi de l’état des populations animales chassées, en utilisant des indicateurs simples dérivés de l’analyse de leurs registres de prélèvements. En régulant l’accès aux territoires de chasse et le taux de prélèvement des espèces animales les plus sensibles, tout en proposant des outils adaptés pour la gouvernance de cette ressource, les chasseurs peuvent devenir des acteurs clés dans la gestion durable de la faune et la préservation des forêts ».
Pour mieux assurer le suivi des populations animales, et opérer des prélèvements rationnels non préjudiciables à la faune, Stéphane Axel Dibotty-di Moutsing, également chercheur au CIRAD, recommande aux chasseurs de se mettre ensemble autour d’une association communautaire de chasse avec des membres chasseurs et non chasseurs bien identifiés, dotée d’un plan de gestion de la chasse communautaire. « Sur la base d’un diagnostic participatif initial, ce plan de gestion établit des quotas de chasse pour les espèces autorisées à la chasse [et] pour celles qui méritent un suivi. Le plan de gestion est progressivement révisé grâce aux données issues des activités participatives de surveillance de la faune (suivi des prélèvements de chasse et suivi de population animales). Les chasseurs y jouent un rôle primordial dans la collecte ces données », dit-il.
Au Gabon, le programme Sustainable Wildlife Management (SWM), financé par l’Union européenne et co-financé par le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) et l’Agence française de développement (AFD), œuvre pour la promotion d’une gestion durable de la chasse villageoise et du commerce local de la viande de brousse, tout en proposant des sources de protéines alternatives aux communautés de chasseurs. Répondant à une demande d’informations de Mongabay par courriel, le Programme SWM au Gabon explique : « Les cadres législatifs du 20e siècle, souvent obsolètes, criminalisent la chasse villageoise plutôt que de l’encadrer, alors même qu’elle contribue à la sécurité alimentaire et économique de nombreuses communautés rurales (…). En l’absence de reconnaissance formelle, les structures traditionnelles de gestion ont été affaiblies, privant les communautés de leurs droits sur leurs ressources et favorisant l’individualisme et le secret parmi les chasseurs. Ce système informel, combiné à la faiblesse des services publics et à la corruption, conduit à une exploitation non contrôlée de la faune ». Le programme suggère de replacer les communautés au cœur de la conservation, en leur redonnant les droits sur la faune, en échange d’un engagement pour une exploitation durable, afin qu’ils soient reconnus comme les principaux acteurs de la préservation de leurs forêts.
Un Groupe de travail multi-acteurs sur la chasse et la commercialisation de la faune sauvage a d’ailleurs été créé à cet effet, dans lequel on retrouve des chasseurs, des restaurateurs, des gestionnaires des forêts communautaires, des autorités traditionnelles, et l’administration gabonaise. Il est placé sous l’égide de la Direction générale de la faune et des aires protégées du ministère des Eaux et forêts gabonais.
Dans une interview réalisée en juin 2024 dans le cadre du programme SWM, Lucien Massoukou, Directeur général de faune et des aires protégées, évoque les actions initiées dans le cadre de ce groupe de travail, en vue de reconnaitre la chasse communautaire comme solution à la préservation de la biodiversité au Gabon. « La faune obéissait à une réglementation qui avait été produite sans tenir compte des pratiques traditionnelles des communautés. Cette situation a fait en sorte que l’application de la loi n’a pas été facile ». « Par exemple, la chasse était fermée pendant six mois dans le pays sans mettre en place des mesures alternatives. Pour une communauté qui vit toute l’année de la consommation de la viande, lui demander pendant six mois de ne pas chasser, c’est difficile ».
Le groupe de travail essaye donc de trouver des solutions aux imperfections recensées dans la loi faunique gabonaise, afin d’intégrer de nouveaux modèles adaptés au contexte local dans ladite loi. Certaines dispositions de cette loi ont été révisées, tout comme le décret sur la classification des espèces animales, pour donner l’accès aux chasseurs à une catégorie d’espèces partiellement protégées à l’instar du varan (Varanus niloticus), du python de seba (Python sebae), ou du guib hanarché (Tragelaphus scriptus).
Image de bannière : Céphalophe bleu fumé (Philantomba monticola bicolor). Image de Mahomed Desai via Wikimedia.
Citation : Fonteyn, D., Fayolle, A., Fa, J.E. et al. (2024). Hunting indicators for community-led wildlife management in tropical Africa. npj biodivers 3, 15 . https://doi.org/10.1038/s44185-024-00048-4.
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