- En 2023, le monde a perdu 6,37 millions d'hectares de forêts, malgré des engagements internationaux pour réduire la déforestation d'ici à 2030.
- Dans le bassin du Congo, la République Démocratique du Congo et le Cameroun sont dans la liste des 10 pays ayant connu les grandes pertes de leur couvert forestier en 2023.
- Une grande partie de la population continue de dépendre directement ou indirectement des forêts pour leurs moyens de subsistance à travers la commercialisation des produits forestiers.
- L’insuffisance des financements et la demande croissante des produits de base sont des facteurs clés de cette crise.
Selon un rapport sur la situation de forêts à travers le monde publié le 8 octobre, 6,37 millions d’hectares de forêts, l’équivalent d’environ 910 millions de terrains de football, ont été perdus en 2023, malgré des engagements internationaux pour mettre fin à la déforestation d’ici à 2030.
Les efforts pour protéger les forêts tropicales primaires, qui comptent parmi les plus vierges et les plus riches en carbone de la planète, sont en retard de 38 %. Les pays, comme l’Indonésie et la Bolivie, connaissent des hausses significatives de la déforestation, principalement dues à la demande internationale de produits agricoles et miniers.
Ce rapport annuel a été publié par « Forest Declaration Assessment », une initiative indépendante de la société civile visant à suivre les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs mondiaux en matière de forêts.
Il dresse la liste des 10 pays ayant subi les plus grandes pertes de forêts en 2023. Dans le lot, on y retrouve deux pays du bassin du Congo : la République Démocratique du Congo (RDC) et le Cameroun, avec respectivement 0,53 Mha et 0,1 Mha de superficies déforestées, ce qui représente environ 600,000 terrains de football combinés.
L’insuffisance des financements en faveur de la protection des forêts, la demande exponentielle des produits de base (huile de palme, sucre, soja, cacao etc.), ainsi que le défaut de sécurisation des droits fonciers des peuples autochtones, sont autant de facteurs ayant contribué à cette énorme perte des forêts en 2023, selon le rapport.
Les incendies de forêts, souvent allumés pour défricher des terres, aggravent aussi la situation. « Entre 2001 et 2023, plus de 138 millions d’hectares de couvert végétal ont été brûlés. Près d’un tiers de la superficie perdue à cause des incendies depuis 2001, a été brûlée au cours des quatre dernières années. Au cours de cette période, près de 13 milliards de tonnes d’équivalent de dioxyde de carbone ont été rejetées dans l’atmosphère, à cause des incendies de forêt. La modification des régimes d’incendie est une catastrophe causée par l’homme, et non un phénomène naturel », souligne le rapport.
Quels qu’en soient les mobiles, d’après les estimations officielles, au moins 70 % des familles urbaines et rurales en Afrique sub-saharienne utilisent le bois pour cuire leurs aliments et se chauffer. D’où, le « besoin pressant de construire un agenda commun entre la lutte contre la déforestation et la sécurité alimentaire », selon Faustin Vuningoma, coordinateur du Rwanda Climate Change and Développement Network (RCCDN), une plateforme de la société civile sur le changement climatique au Rwanda.
Dans ce pays comme dans la plupart des Etats en Afrique centrale, les experts observent que malgré des politiques, une législation et des stratégies qui favorisent une gestion forestière, une grande partie de la population continue de dépendre directement ou indirectement des forêts pour leurs moyens de subsistance à travers la commercialisation des produits forestiers. Le pays mise donc désormais sur l’agroforesterie, avec la gestion des espèces d’arbres exotiques et indigènes sur différentes zones agroécologiques du pays.
Pour inverser la courbe et poursuivre la réalisation des objectifs « zéro déforestation » à l’horizon 2030, le rapport recommande de mobiliser plus de financements pour protéger les forêts, notamment celle du bassin du Congo ; de réduire la demande des produits de base liés à la déforestation et surtout de renforcer les droits fonciers reconnus aux communautés autochtones.
Besoin urgent de financement pour les forêts dans le bassin du Congo
Le bassin du Congo abrite la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, ainsi que des forêts de haute intégrité et d’immenses tourbières. La protection de ces forêts est cruciale pour atteindre les objectifs mondiaux en matière de climat, de biodiversité et de conservation de la nature. « Bien que la région ait historiquement peu contribué à la déforestation mondiale (<7 % du total de 2010 à 2020), les taux de déforestation et de dégradation augmentent. La déforestation est principalement due au défrichement agricole à petite échelle, suivi de l’exploitation forestière sélective, des incendies, de l’extraction minière artisanale et du développement d’infrastructures », indique le rapport.
Le rapport précise également que les pays du bassin du Congo se sont engagés à la conservation des forêts, mais font face à des obstacles économiques, démographiques, de gouvernance et d’endettement. « La République Démocratique du Congo, qui abrite 60 % des forêts du bassin du Congo, est essentielle à la conservation, mais elle est confrontée à des défis importants, notamment une population majoritairement rurale qui dépend des forêts pour sa subsistance et une détérioration de la situation sécuritaire », dit le rapport.
Ce dernier indique que la solution à ces défis passe par un financement forestier bien ciblé pour stimuler le développement durable qui reste actuellement largement insuffisant. « Le financement public international est crucial, mais reste difficile d’accès en raison de la dette extérieure et d’un espace fiscal limité ».
Le rapport ajoute que pour augmenter les flux de financement public, il faut réformer les banques de développement multilatérales, réviser les cadres de gestion de la dette et alléger ou restructurer la dette. Il précise qu’il faut aussi favoriser les investissements privés favorables aux forêts, notamment par le biais de financements mixtes, qui combinent finances publiques et investissements privés pour réduire les risques, mettre sur pied des mécanismes, qui valorisent les forêts pour attirer des fonds privés, mais respecter les droits des peuples autochtones et assurer un partage équitable des bénéfices. Ces flux peuvent compléter les financements structurels d’origine publique et mixte.
Selon Ghislain Fomou, expert forestier camerounais, le financement est important, mais il faudrait clairement déterminer à quoi va servir ce financement, privilégier les financements qui adressent les causes directes de la déforestation en encourageant les pratiques agricoles qui concourent à la préservation ou à la régénération des forêts.
« Dans le bassin du Congo par exemple, on a besoin de renforcer le contrôle de la gestion des forêts et cela nécessite beaucoup de financements. Il y a des réglementations dans les pays qui répriment la déforestation. Mais elles ne sont souvent pas efficacement mises en œuvre. Il faut donc les renforcer », a-t-il dit à Mongabay.
Charlotte Streck, co-fondatrice de Climate Focus, un groupe de réflexion basée aux Pays-Bas ayant coordonné cette étude et soutenant les acteurs des secteurs public et privé des pays en développement dans la conception des stratégies pour tirer profit des marchés du carbone, estime que plusieurs facteurs sont à l’origine de la dégradation des forêts notamment dans le bassin du Congo.
Selon elle, l’agriculture à petite échelle et la production de charbon de bois font partie des principaux facteurs de dégradation des écosystèmes dans cette partie du continent, où l’utilisation du bois de chauffe, pour la cuisine principalement, est une question de survie.
« Le manque de capacité peut représenter un défi pour la plupart des pays du bassin du Congo de commercialiser les crédits carbones comme clé du combat contre la déforestation », a-t-elle dit à Mongabay.
« Tous les dirigeants doivent s’unir et donner la priorité à la protection et à la restauration des forêts. Le monde ne peut pas continuer à exploiter et à détruire les forêts et les autres écosystèmes naturels, comme si de rien n’était. Sans une adoption généralisée et transformatrice de modèles économiques alternatifs, le monde n’atteindra pas ses objectifs ambitieux en matière de développement durable, de climat et de nature », conclut le rapport.
Image de bannière : Une image satellite de la déforestation dans le bassin du Congo. Image par Mongabay.
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