- Une nouvelle étude révèle que l’exploitation forestière à faible intensité n’a pas d'incidence négative sur les services écosystémiques clés de la forêt tels que le stockage du carbone et la disponibilité des ressources alimentaires pour la faune.
- L’étude, portant sur des zones exploitées de manière sélective au Gabon, conclut que le taux d’abattage des arbres sur la zone étudiée n’était pas suffisamment élevé pour nuire aux services écosystémiques.
- Selon les observations recueillies, si l’exploitation forestière à faible intensité a un impact sur la composition et la diversité des plantules et des jeunes arbres, ce dernier reste toutefois faible et se dissipe en grande partie au bout d’une dizaine d'années.
- Les experts recommandent aux pays forestiers de s’efforcer de devenir des nations « à forte densité forestière et à faible déforestation » (HFLD) et de suivre l’exemple du Gabon, pour lequel le seuil minimum annuel de couverture forestière et de taux de déforestation a été défini à 50 % et 0,22 % réciproquement.
Les chercheurs d’une récente étude ont constaté que l’exploitation forestière à faible intensité d’une forêt tropicale n’avait pas d’impact négatif sur les services écosystémiques clés tels que le stockage du carbone et la disponibilité des ressources alimentaires pour la faune. Toutefois, comme ils le soulignent dans leur étude, même à petite échelle, l’exploitation forestière sélective peut altérer la diversité végétale d’une zone.
« Nous voulions étudier “un scénario idéal” d’exploitation forestière sélective, que nous pourrions ensuite utiliser comme modèle s’il contribuait à minimiser les dégradations environnementales causées par l’industrie », a expliqué à Mongabay l’auteure principale de l’étude, Megan K. Sullivan, de l’École de foresterie et d’études environnementales de l’Université de Yale.
La chercheuse et son équipe ont mené leur étude dans une concession forestière du nord-ouest du Gabon, à l’est du parc national des Monts de Cristal. Le site est géré par SEEF, une filiale locale du producteur et négociant de bois français, F. Jammes. Megan Sullivan explique que les chercheurs ont « évalué l’impact de l’exploitation sélective à très faible intensité sur les espèces ligneuses et la composition fonctionnelle à différents cycles de vie des arbres (semis, gaule et adulte) ».
Leurs résultats indiquent que les zones forestières exploitées à très faible intensité – à un taux compris entre 0,82 et 1,6 arbre par hectare (entre 0,33 et 0,65 arbre par acre) pour la concession SEEF – permettent de relier les zones protégées entre elles et peuvent donc servir de corridors écologiques pour la faune et la flore. Le concept de corridors écologiques est d’ailleurs encouragé par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, qui reconnaît que d’« autres mesures de conservation efficaces par zone » peuvent permettre d’atteindre les mêmes objectifs de conservation de la biodiversité que les aires protégées.
« Si elles sont bien gérées, les forêts exploitées de manière sélective et à faible intensité peuvent être considérées comme un juste milieu entre les aires strictement protégées et l’utilisation intensive des terres », a déclaré Megan Sullivan.
L’étude conclut que « l’exploitation sélective à très faible intensité consistant à abattre un nombre limité d’arbres ne nuit pas nécessairement aux services écosystémiques tels que le stockage du carbone, la dispersion des semences et la disponibilité des ressources alimentaires pour la faune ».
Cependant, les chercheurs mettent en garde et indiquent que ce « scénario idéal » n’est pas sans risques.
« Nous avons constaté que l’exploitation forestière entraînait certains changements chez certaines espèces ligneuses et altérait la composition fonctionnelle du sous-étage, vraisemblablement en raison des changements environnementaux qui ont des répercussions sur la régénération de la forêt. Toutefois, ces changements relevés chez les espèces et dans la composition du sous-étage ont été minimes et ne sont pas toujours apparus là où on les attendait, probablement en raison des faibles taux d’abattage d’arbres adultes », a déclaré Megan Sullivan. « Ces changements détectés au cours du stade de vie des jeunes arbres ont pu être observés jusqu’à 10 ans après les opérations d’exploitation ».
Megan Sullivan explique que, grâce à cette étude, la situation a permis de passer d’un stade où les législations et les politiques étaient ignorées par les exploitants forestiers à un stade, où les dirigeants s’efforcent de suivre des pratiques fondées sur des données probantes, afin de promouvoir la durabilité environnementale et de minimiser les dégradations écologiques.
Les scientifiques ont choisi le Gabon pour son leadership en matière de durabilité forestière. Le pays a su adopter des politiques adéquates et mettre en place des partenariats internationaux pour améliorer la protection de l’environnement. Il a même fait la une des journaux en 2019 en devenant la première nation africaine à recevoir des paiements du programme REDD+, un mécanisme de paiement qui contribue à favoriser la réduction des émissions et à valoriser les forêts sur pied.
Megan Sullivan a indiqué que, depuis la fin de l’étude, le gouvernement gabonais avait mis en place un système numérique de traçabilité du bois, le Système national de traçabilité du bois du Gabon (SNTBG), pour lutter contre la corruption dans le secteur forestier. Elle espère que les changements en matière de suivi et d’application des lois dans le secteur se poursuivront au Gabon.
Reproduire les résultats du Gabon en Afrique centrale
Guy Beloune, expert forestier et assistant technique principal en certification forestière chez Global Forest Environment Consulting (GFEC) au Gabon, a indiqué à Mongabay que les résultats de cette étude étaient encourageants. Il a ajouté que si ces recherches peuvent, dans une certaine mesure, être généralisées à l’ensemble de l’Afrique centrale, la prudence était toutefois de mise.
« Il est possible qu’en limitant cette étude à l’entreprise SEEF, certaines caractéristiques de biodiversité des forêts tropicales d’Afrique centrale aient échappé à l’analyse, ce qui pourrait se révéler problématique pour l’application des conclusions de l’étude en Afrique centrale », a déclaré Guy Beloune, soulignant que les pratiques d’exploitation forestière peuvent considérablement varier d’une entreprise à l’autre.
Toutefois, des progrès ont été réalisés en Afrique centrale en matière de législations régissant l’exploitation forestière, a-t-il fait observer.
« Les gouvernements de tous ces pays ont choisi des programmes de gestion forestière incluant des cycles de rotations de 20 à 30 ans, ce qui facilite la régénération naturelle des espèces végétales et la restauration des fonctions écosystémiques des forêts », a indiqué Guy Beloune. « Plusieurs pays ont également adopté des méthodes d’exploitation à faible impact qui mettent l’accent sur l’abattage, le débardage et la construction de routes ».
Il a expliqué que dans le cas du Cameroun, les unités d’exploitation forestière et les forêts communales sont généralement gérées de manière durable. Cependant, pour d’autres activités d’exploitation forestière, telles que l’exploitation menée à court terme et l’exploitation de terres privées ou gouvernementales, il est plus difficile de garantir la gestion durable des forêts ou de maintenir la préservation des fonctions écosystémiques. Ces méthodes d’exploitation peuvent avoir des effets négatifs sur l’écosystème des forêts, en particulier dans le cas d’une exploitation forestière illégale.
Selon Guy Beloune, les réglementations et les entreprises devraient prendre en compte les différences locales en matière de biodiversité, de géologie et de pratiques forestières. Il a ajouté que les pratiques d’exploitation forestière devraient être durables et réglementées pour protéger les forêts et leurs services écosystémiques.
Les auteurs de l’étude recommandent de poursuivre les recherches sur les besoins de régénération des différentes espèces ligneuses afin de mieux comprendre comment les gérer avec succès à long terme et de pouvoir déterminer les impacts directs de l’exploitation sélective à faible intensité sur la faune et la flore.
Toutefois, une préoccupation demeure. En effet, comme le souligne la chercheuse, l’exploitation forestière, même à faible intensité, risque d’accroître les activités de chasse pour la viande de brousse ou le braconnage.
« Une chasse excessive dans les zones forestières nouvellement ouvertes au public peut conduire au “syndrome de la forêt vide” – une forêt toujours sur pied, mais où la faune qui en dépend a disparu », explique-t-elle.
Le Gabon a mis en place des politiques visant à limiter la chasse, notamment en fermant les routes forestières après les opérations d’abattage. Ces mesures permettent de réduire les activités de chasse tout en stimulant la régénération des arbres. Megan Sullivan explique qu’une autre mesure dissuasive consiste à proposer des protéines autres que la viande de brousse dans des magasins à des prix abordables pour les familles vivant à proximité des concessions d’exploitation forestière.
Selon elle, les résultats de l’étude ne devraient pas servir de base à l’évaluation de l’ensemble des impacts de l’industrie ou de l’utilisation des sols, car il est tout simplement impossible d’inclure toutes les circonstances, tous les organismes ou tous les contextes dans une seule étude.
Elle indique que la mégafaune bénéficiant d’une haute priorité de conservation, telle que les éléphants et les gorilles, trouve généralement refuge dans les concessions certifiées FSC, certification qui atteste de la gestion durable des forêts. Elle estime, que la certification FSC propose un autre type de scénario optimal, pour l’exploitation forestière sélective, qui permet de minimiser ses effets négatifs sur l’environnement. Cependant, elle a souvent fait l’objet de critiques de la part de certaines ONG, notamment Greenpeace.
De nombreux aspects sont à prendre en compte en matière d’exploitation forestière et de durabilité, comme les considérations écologiques, mais aussi économiques, politiques et sociales. Megan Sullivan précise que, dans ce paysage complexe, il est essentiel de mettre en exergue les scénarios d’exploitation forestière les plus performants, qui ont permis à certains pays d’être reconnus comme « pays à forte densité forestière et à faible taux de déforestation » (HFLD). Ce statut, attribué aux pays qui disposent d’un couvert forestier d’au moins 50 % et dont le taux de déforestation n’excède pas 0,22 % par an, constitue une feuille de route pour l’avenir de la conservation des forêts dans la région.
« Il est fondamental de mettre en lumière ces “scénarios idéaux” et de les envisager comme la voie à suivre pour minimiser l’impact environnemental tout en développant les activités économiques », a-t-elle déclaré.
Image de bannière : Prince Bissiemou mesure le diamètre d’un arbre dans une forêt exploitée au Gabon. Image de Megan Sullivan.
Citation:
Sullivan, M. K., Vleminckx, J., Bissiemou, P. A. M., Niangadouma, R., Mayoungou, M. I., Temba, J. L., … Comita, L. S. (2024). Low-intensity logging alters species and functional composition, but does not negatively impact key ecosystem services in a Central African tropical forest. Global Ecology and Conservation, 53, e02996. doi:10.1016/j.gecco.2024.e02996
Cet article a été publié initialement ici par l’équipe de Mongabay Global le 15 juillet 2024.