- Moins d'un quart des terres africaines présentant la plus grande diversité végétale sont actuellement protégées, soulignant un besoin important en matière de conservation.
- La nécessité de revoir les stratégies de conservation des aires protégées en Afrique, est d'intérêt pour mieux préserver la diversité fonctionnelle des plantes, en incluant la protection de la diversité végétale dans la planification des nouvelles zones protégées et des extensions.
- Une ONG et la population locale travaillent sur la restauration des mangroves, dans la localité du sud Comoé en Côte d'Ivoire, en impliquant la population locale pour éviter leur disparition.
- La protection des espèces en voie de disparition en Côte d'Ivoire, telles que la Samela et le Colalurionis, passe par des actions de conservation spécifiques.
Une récente étude, menée par Timothy Harris de l’Institut botanique de l’Académie tchèque des sciences, constate un désalignement entre les aires protégées en Afrique et la diversité fonctionnelle des plantes et souligne l’urgence d’adopter des stratégies de conservation plus efficaces pour préserver les ressources naturelles. L’étude révèle que moins d’un quart des terres africaines présentant la plus grande diversité végétale sont actuellement protégées, soulignant un besoin important en matière de conservation. Le travail de recherche indique aussi que les aires protégées ont principalement été établies sur des terres moins prioritaires que sur des zones de haute diversité végétale. Les auteurs de l’étude ont cartographié la diversité végétale à travers le continent africain, pour évaluer dans quelle mesure les aires protégées existantes d’Afrique comprennent des zones de grande diversité végétale et aussi pour comprendre comment l’expansion des aires protégées pourrait protéger davantage l’incroyable diversité végétale du continent.
Interrogé, Timothy Harris, auteur principal de l’étude, explique: « La diversité végétale est importante pour les moyens de subsistance de l’humanité, mais elle est parfois négligée lors de la planification des zones de protection de la conservation ».
En Côte d’Ivoire, le Professeur Marie Solange Tiebre, Botaniste et Directrice du Centre National de Floristique, fait le même constat que les auteurs de l’étude. « Quand on regarde la répartition des réserves naturelles, des réserves protégées en Afrique, on devrait mettre beaucoup plus l’accent sur les réserves qui sont en zone tropicale humide, où la diversité fonctionnelle des écosystèmes est beaucoup plus importante que dans les aires protégées un peu plus savanicoles, qui sont seulement bonnes pour la diversité des animaux », a-t-elle indiqué.

Elle regrette que les aires protégées ne soient pas créées dans des zones où la diversité végétale est plus importante. «Pour les 8 parcs nationaux que compte la Côte d’Ivoire actuellement, seul le parc de Taï est le plus important de tous. C’est une aire qui est classée comme patrimoine de l’UNESCO et comme réserve de la biosphère. On a des parcs un peu moins importants, comme par exemple le parc national d’Azagny, ou le parc national du Banco, mais il est vrai qu’en zone savanicole, on a le parc national de la Comoé, qui est extrêmement vaste, mais qui a une diversité floristique un peu moins importante. Au sud de la Côte d’Ivoire, où on a la diversité biologique, qui est beaucoup plus importante, il aurait été bien que les plus gros parcs soient créés dans ces zones-là, pour pouvoir protéger la biodiversité fonctionnelle».
Repenser l’approche en matière de conservation
L’expansion des zones protégées est devenue une priorité internationale en raison d’un accord appelé “Cadre mondial pour la biodiversité”, qui a été récemment adopté par les pays signataires de la Convention sur la diversité biologique. Cette réglementation comprend un objectif visant à protéger 30 % de la superficie terrestre mondiale pour la conservation de la biodiversité d’ici à 2030. Actuellement, 14,39 % de la superficie terrestre de l’Afrique se trouve sur des terres sous protection de conservation compris les aires protégées et les terres protégées par d’autres mesures de conservation efficaces.
Dans son étude, Harris souligne la nécessité d’une réévaluation des stratégies de conservation des aires protégées en Afrique pour mieux préserver la diversité fonctionnelle des plantes. Pour lui, « la diversité végétale doit être prise en compte lors de la planification des nouvelles zones protégées de restauration de l’habitat ou de l’extension des zones protégées existantes ». « Si l’expansion des zones protégées associée à l’objectif « 30 millions d’ici 30 » se réalise, il est important que la protection de la diversité végétale soit incluse », indique-t-il.
Une approche efficace pour y parvenir, selon lui, est « la procédure de désignation des zones végétales importantes ».
Une étude, qui s’appuie sur la théorie de l’écologie des communautés aux mécanismes d’invasion biologique, proposait déjà des solutions de restauration. Les chercheurs affirment que « pour les sites complètement dénudés, un objectif primordial de la restauration est alors la conception de communautés restaurées capables de résister à l’invasion par des espèces exotiques ». Ils ont montré « qu’une approche de la communauté basée sur les traits peut guider les efforts de restauration pour assembler des communautés résistantes à l’invasion ».

Florencia Adjoumani, Secrétaire générale de l’ONG Internationale Sauvons l’Environnement, abonde aussi dans le même sens. « Ici en Côte d’Ivoire, dans nos actions sur le terrain, dans la zone du sud Comoé, nous avons constaté que les mangroves sont en train de disparaître par la faute de la population, du fait de leur activité. Cela nous a interpellé et nous avons initié une activité de restauration, qui consiste à mettre d’abord sur place des pépinières de palétuviers. Une fois que les pépinières seront en maturités, nous allons les repiquer et cela permettra d’éviter l’avancée de la situation. Nous travaillons avec la population locale sur ce projet, parce que c’est la population elle-même qui est l’actrice principale de cette restauration. Ce sont les femmes du village elles-mêmes, qui vont collecter les palétuviers pour la restauration. Parce que si nous ne faisons rien, d’ici quelque temps, nous allons voir des villages disparaître », dit-elle d’un air triste.
Pour Tiebre, plusieurs espèces sont en voie de disparition en Côte d’Ivoire comme la samela qui n’existe maintenant qu’en termes de reliques dans une ou deux forêts de la Côte d’Ivoire. C’est sur des espèces comme celles-là, que portent les actions de conservation. Par exemple, nous avons inscrit la samela et le bois de vène sur la liste des espèces à ne pas commercialiser dans l’annexe 2 de la CITES (Convention on International Trade of Endangered Species), parce qu’elles sont en voie de disparition. On a pas mal de peuplement pour le bois de vène, mais on a plus les grands pieds. Donc, c’est aussi une espèce à conserver », indique Tiebre. « On a aussi des espèces qui ne sont pas des espèces de bois d’œuvre, mais qui participent à l’équilibre de nos écosystèmes. On a une espèce dont on parle très peu, « Colalurionis », qui est une espèce endémique. Et en Côte d’Ivoire, cette espèce-là, on ne la trouve que dans la région de Divo. Malheureusement, c’est une zone lumière avec de nombreuses exploitations. Donc, c’est vraiment une espèce qui est menacée dans son habitat. Parce que si jamais on la détruit de la zone de Divo, on ne pourra plus la retrouver en Côte d’Ivoire. On a pas mal d’espèces comme ça qui existent maintenant, mais avec des pieds beaucoup moins importants. Donc, les efforts de conservation doivent aller vers elles », dit Tiebre.
L’urgence de la restauration
« Les scientifiques, qui ont eu l’idée d’inclure 30 % de la surface terrestre dans des zones protégées (les professeurs Jonathan Baillie et Yaping Zhang), ont très tôt compris que cela amenerait forcément à restaurer l’habitat », dit Harris. Pour lui, « les humains ont dégradé les habitats naturels sur au moins 40 % des terres émergées de la planète et cette dégradation est plus intense dans les zones à forte diversité. La restauration de l’habitat est importante pour les systèmes de survie de la planète, qui réoxygénent notre atmosphère et protègent les bassins, de même que pour les moyens de subsistance de l’homme », a-t-il-ajouté. « Par exemple, en Guinée, la demande humaine pour des noix comestibles telles que “le petit kola”, dépasse ce que les régions forestières restantes peuvent fournir. En restaurant ces espèces rares, l’écologie de la restauration combinée au soutien des communautés aidera à l’amélioration et à la protection de la biodiversité », a-t-il-précisé.

Du côté du Centre National de Floristique, la préservation des espèces en voie de disparition passe par des programmes de reboisement pour que l’espèce ne disparaisse pas de son milieu naturel. « Au niveau de notre pépinière, on a pu planter une bonne centaine d’espèces rares endémiques et en voie de disparition, qui montent en graines et permettent donc le reboisement communautaire et la réintroduction de ces espèces dans différents écosystèmes, dans l’espoir de pouvoir les préserver pour le long terme. Et c’est ce qu’on fait, par exemple, pour le colalorionis, pour l’iroko (Milicia excelsa), pour la samela, dont on a pour l’instant quelques pieds », a dit Tiebre.
Harris pense que dans le cadre de la protection de la diversité végétale, la réflexion d’une mise en œuvre efficace des politiques promues par l’initiative “30 millions d’ici 30” est importante. Cependant, il avance qu’ « il est important de noter que l’extension des zones protégées ne devrait pas se limiter à des territoires présentant déjà une faible biodiversité ». Selon lui, « certaines régions, bien que protégées, peuvent offrir un habitat limité pour la diversité végétale, comme c’est le cas dans les zones désertiques du Sahara en Algérie. Bien que l’Algérie possède un pourcentage important de son territoire sous protection formelle, la concentration de ces zones dans des régions à faible diversité soulève des questions sur l’efficacité réelle de ces mesures ». Il ajoute « qu’il est primordial de repenser la politique de conservation en adoptant une approche plus inclusive, favorisant une utilisation durable des ressources végétales au sein des aires protégées ». « L’exclusion des populations locales de ces territoires a montré ses limites, tant sur le plan social que sur celui de la conservation », soutient Harris. Il invite à « trouver impérativement un équilibre entre la préservation de la biodiversité et le soutien des communautés humaines vivant en harmonie avec ces écosystèmes ».
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Image de bannière : La diversité végétale est importante pour les moyens de subsistance de l’humanité, mais elle est parfois négligée lors de la planification des zones de protection de la conservation
Citation :
Harris, T., Ottaviani, G., Mulligan, M.,& Brummitt, N. 2024. 30 by 30 for plant diversity: How can we protect more of nature? Plants, People, Planet, 1–5. https://doi.org/10.1002/ppp3.10512.