- Fin janvier, le Daily Mail a publié des allégations faisant état de viols et de passages à tabac de membres de la communauté baka par des gardes forestiers travaillant pour l’organisation non gouvernementale African Parks dans le parc national d'Odzala-Kokoua, en République du Congo.
- Dans un communiqué, African Parks a déclaré avoir engagé le cabinet d'avocats britannique Omnia Strategy pour enquêter sur ces allégations. Ces dernières ont été formulées dans une lettre envoyée l’année dernière à un membre du conseil d'administration par l’organisation de défense des peuples autochtones Survival International.
- African Parks a affirmé avoir pris connaissance de ces allégations par le biais de cette lettre. Cependant, en 2022, un groupe local de la société civile de la République du Congo avait déjà publié une déclaration accusant les gardes forestiers d’« actes de torture » au sein du parc.
L’organisation African Parks axée sur la conservation de la nature déclare avoir engagé le cabinet d’avocats britannique Omnia Strategy LLP pour enquêter sur des allégations de violations des droits humains qui auraient été commises au sein du parc national d’Odzala-Kokoua en République du Congo. Les allégations ont été publiées pour la première fois par le Daily Mail. le 27 janvier. Le rapport du quotidien britannique incluait le témoignage de membres de la communauté autochtone baka qui affirmaient avoir été roués de coups et violés par des gardes forestiers employés par African Parks au sein du parc alors qu’ils s’y étaient aventurés pour la chasse, la pêche et la cueillette. Odzala-Kokoua est l’un des 22 parcs que l’ONG, basée en Afrique du Sud, gère dans 12 pays africains dans le cadre d’accords de partenariat public-privé avec les gouvernements hôtes.
Omnia Strategy est une société londonienne cofondée par Cherie Blair, femme de l’ancien Premier ministre Tony Blair, et se décrit comme un « cabinet d’avocats spécialisés proposant des solutions sur mesure de calibre mondial aux litiges transfrontaliers ». African Parks indique qu’Omnia Strategy, dans son enquête, bénéficiera de l’appui de conseillers juridiques de Doughty Street Chambers, un autre cabinet britannique expert des droits humains, ainsi que d’un « anthropologue spécialiste des communautés baka ».
Dans un courriel adressé à Mongabay en réponse à ses questions, l’ONG African Parks a indiqué ne pas avoir fixé de calendrier pour la conclusion de l’enquête.
« Si nous espérons être en mesure de partager une mise à jour concernant les délais indicatifs dans les semaines à venir, l’enquête reste indépendante d’African Parks et nous nous laisserons guider par Omnia Strategy », a déclaré Carli Flemmer, directrice du marketing pour African Parks.
African Parks a repris la gestion d’Odzala-Kokoua, un parc national de 13 546 kilomètres carrés (5 230 milles carrés) situé au cœur de la forêt tropicale congolaise, dans le cadre d’un accord de concession de 25 ans signé avec le gouvernement de la République du Congo en 2010. Les forêts d’Odzala-Kokoua, l’un des derniers habitats les plus importants pour les éléphants de forêts d’Afrique, ont toujours été occupées et utilisées pour leurs ressources par les communautés baka. Dans un communiqué, African Parks a indiqué que les Baka conservaient certains droits de chasse et de cueillette dans deux des trois « zones » du parc.
Cependant, selon le Daily Mail et les déclarations de groupes locaux et internationaux de défense des droits des peuples autochtones, les Baka auraient été battus et agressés sexuellement par les gardes forestiers d’African Parks à l’intérieur du parc, y compris dans les zones dont l’accès leur est autorisé.
Ces allégations font suite à une série de scandales de violations des droits humains commises par des organisations de protection de la nature dans le bassin du Congo, notamment le Fonds mondial pour la nature (WWF). En 2020, un comité d’examen indépendant a découvert que le WWF était au courant depuis longtemps des abus commis au sein des parcs où il exerçait une activité, mais qu’aucune action n’avait été mise en œuvre pour y remédier à la suite de rapports pourtant crédibles.
L’ONG African Parks soutient depuis longtemps que de tels actes de violence sont beaucoup moins susceptibles de se produire dans les parcs gérés par ses soins. Alors que le WWF et d’autres organisations de conservation de la nature travaillent en partenariat avec des agences gouvernementales qui ont autorité sur les gardes forestiers, African Parks dispose, quant à elle, de ses propres gardes forestiers dans tous les parcs dont elle assure la gestion. L’organisation soutient que le contrôle direct qu’elle exerce sur les gardes forestiers facilite l’application des normes en matière de droits humains.
Mais le groupe de défense des droits des peuples autochtones Survival International a indiqué qu’African Parks avait connaissance de l’existence des rapports sur les violences commises par les gardes forestiers à Odzala-Kokoua depuis au moins 2013, lorsqu’elles avaient été abordées dans le cadre de réunions entre le personnel du groupe et les défenseurs des droits des peuples en République du Congo.
« Le problème n’est pas de savoir qui a recruté les gardes forestiers ni quelle formation ils ont reçue, mais c’est le mode de fonctionnement de l’organisation qui est remis en cause ; ils ont été placés [là] pour protéger des zones auxquelles d’autres individus ont besoin d’avoir accès pour trouver de la nourriture, un abri et un lieu de culte », a déclaré Fiore Longo de Survival International.
Les violences alléguées ont été formulées dans une lettre envoyée par Survival International à un membre du conseil d’administration d’African Parks en mai 2023. Dans cette lettre, le groupe affirme que les violences sont « généralisées et systématiques ».
Dans un communiqué publié le 27 janvier dernier, African Parks a déclaré avoir pris connaissance des allégations à l’encontre de ses gardes forestiers par le biais de cette lettre et avoir ordonné le début de l’enquête d’Omni Strategy juste après.
Mais près d’un an avant l’envoi de ladite lettre, le Centre d’actions pour le développement, un groupe de la société civile basé au Congo, a publié une déclaration dénonçant la lenteur d’une enquête congolaise sur des « actes de torture » commis par des gardes forestiers dans le parc national d’Odzala-Kokoua en 2019. La déclaration fait état d’actes de violence commis par des gardes forestiers d’African Parks sur des pêcheurs, accusés de braconnage au sein du parc, et fait référence à une enquête locale menée sur l’incident.
« Notre organisation a également reçu des informations crédibles selon lesquelles les écogardes, y compris ceux du parc national d’Odzala-Kokoua, se livreraient constamment à des violences envers les populations locales et autochtones », indiquait le groupe dans sa déclaration.
En 2016, l’organisation Rainforest Foundation UK avait également publié les conclusions de sa propre enquête de terrain menée sur les violations des droits humains liées à la conservation de la nature et les griefs des populations autochtones dans le bassin du Congo. Le rapport mettait l’accent sur une série d’expulsions au sein du parc d’Odzala-Kokoua et un mécontentement généralisé chez le peuple baka à l’égard des règles et des restrictions imposées par le parc. Les enquêteurs avaient indiqué avoir entendu des témoignages d’actes de « brutalité » perpétrés par les gardes forestiers.
Les deux rapports soulèvent des questions sur les déclarations d’African Parks selon lesquelles l’organisation n’aurait eu connaissance des allégations de violences commises par ses gardes qu’en 2023.
« Quiconque se rend sur place, ne serait-ce qu’une demi-journée, et je vous invite d’ailleurs vraiment à y aller, entendra parler de ce qui se passe dans le parc, parce que c’est le quotidien des communautés locales, ce n’est donc pas un secret », a fait observer Fiore Longo.
Mongabay a examiné les notes partagées par Survival International, notes qui avaient été prises au cours d’une réunion en 2014 avec un membre d’African Parks qui reconnaissait l’existence d’actes de violence infligés par des gardes forestiers aux communautés.
En réponse, African Parks a déclaré « ne pas avoir trouvé de documents permettant d’étayer ces allégations antérieures ».
Les accusations relancent le débat sur les pratiques hostiles de surveillance et de gestion des aires protégées comme le parc national d’Odzala-Kokoua. L’un des principaux arguments de vente d’African Parks est sa capacité à exercer une surveillance stricte des parcs dont elle assure la gestion. Pour les gouvernements qui cherchent à protéger la biodiversité – et à dynamiser l’écotourisme dans leur pays – c’est en partie ce qui fait de l’association caritative un partenaire si intéressant. Mais pour les défenseurs des droits des peuples autochtones, les formes de conservation de la nature qui excluent les communautés locales des terres sur lesquelles elles vivent sont les reliques d’un passé marqué par la violence et sont sujettes aux violations des droits humains.
« C’est malheureux qu’il ait fallu un scandale médiatique pour qu’une telle enquête voie le jour alors que les violences dans le parc et dans ses environs sont connues depuis un certain temps », a déploré Joe Eisen, directeur général de Rainforest Foundation UK, dans un courriel adressé à Mongabay.
Dans sa déclaration du 2 février, African Parks a indirectement reproché à Survival International et à d’autres organisations de ne pas avoir réussi à partager des informations complémentaires sur des allégations de violences spécifiques qui pourraient être utilisées aux fins de l’enquête, qualifiant ce manquement de « seconde violence infligée aux victimes ».
L’ONG a fait savoir à Mongabay que son enquête adopterait une « approche centrée sur les victimes » et respecterait la confidentialité et les préoccupations en matière de sécurité des personnes avec lesquelles elle s’entretiendrait.
« Cette approche visera avant tout à réduire le risque de causer de nouveaux préjudices aux victimes », a souligné Carli Flemmer.
John Knox, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur les questions relatives à l’environnement et aux droits humains, et membre du groupe d’experts ayant examiné la réponse du WWF à son propre scandale, a déclaré à Mongabay que pour être efficace, l’enquête du groupe devra être indépendante et menée, entre autres, par des enquêteurs spécialistes de la région.
« Laissons-les faire tout ce qu’ils jugent nécessaire pour enquêter sur ces allégations, puis s’engager à publier leur rapport d’enquête et à faire tout leur possible pour mettre leurs recommandations en application », a-t-il déclaré.
Image de bannière : Véronique Sekuka, une Baka qui a été expulsée de ce qui est aujourd’hui devenu le parc national d’Odzala-Kokoua. « Quand ces souffrances finiront-elles ? Depuis que nous avons été expulsés de la forêt, nous ne pouvons plus vivre », a-t-elle déclaré à Survival International. Image © Survival International.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2024/02/african-parks-vows-to-investigate-allegations-of-abuse-at-congolese-park/