- Le choix judicieux des plantes pionnières et l’exploitation à bon escient des mycorhizes constituent une condition sine qua non – et non suffisante – du succès de la restauration écologique.
- Les plantes dites pionnières, appelées aussi plantes nurses, jouent un rôle important dans la restauration d’un écosystème naturel perturbé mais qui se remet en état de lui-même par un processus naturel de successions végétales.
- Par définition, la mycorhization est le résultat de l’association symbiotique entre des champignons et les racines des plantes.
- À Madagascar, un vaste programme de lutte antiérosive exploite depuis 2024 les mycorhizes, pour améliorer les sols dégradés et rendre les terrains agricoles fertiles à nouveau au profit des paysans.
ANTANANARIVO, Madagascar — Le choix judicieux des plantes pionnières et l’exploitation à bon escient des mycorhizes constituent une condition sine qua non – et non suffisante – du succès de la restauration écologique, selon des chercheurs malgaches. Le premier procédé fait l’objet d’une publication dans l’édition du journal scientifique Acta Oecologica de septembre dernier.
Les pratiques liées au second sont, depuis des années, appliquées en Amérique du Nord et en Afrique, surtout dans le cadre de l’initiative Grande Muraille Verte. Mais, c’est maintenant que les mycorhizes suscitent un intérêt grandissant en faveur de la restauration des terres dégradées, à Madagascar.
Le phénomène de la désertification, en lien avec la dégradation des sols, affecte treize des vingt-trois régions de l’île. Parallèlement, trois-quarts (77,6 %) des terres de la planète ont connu des conditions plus sèches pendant les trois décennies précédant 2020, par rapport à la période des 30 années précédentes, selon le rapport phare de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), présenté à la COP16, à Riyad, en Arabie-Saoudite, le 9 décembre 2024.
Les plantes dites pionnières, appelées aussi plantes nurses, jouent un rôle important dans la restauration d’un écosystème naturel perturbé, mais remettant en état de lui-même, par un processus naturel de successions végétales. « Ce sont elles qui s’installent les premières, au début du processus, pour aider les autres à faire de même tard », a dit à Mongabay au téléphone, Dr Rondro Harinisainana Baohanta, l’auteure principale de l’étude citée plus haut.

Engagement pour restauration écologique
Scientifique malgache travaillant au Centre national de recherches sur l’environnement (CNRE), ayant son siège à Antananarivo, elle entreprend de développer, avec ses pairs, un modèle mathématique destiné à accompagner les projets de restauration écologique. « Un diagnostic doit précéder l’exécution d’un plan de restauration forestière, afin de déterminer le niveau de dégradation de l’écosystème visé. En tenant compte des plantes nurses, le modèle permet d’établir toutes les options possibles à choisir », a-t-elle affirmé. Le résultat de l’étude publiée chez Acta Oecologica amorce la conception du modèle.
Les plantes nurses sont peu exigeantes. Elles peuvent vivre dans des conditions extrêmes pour améliorer la qualité du sol appauvri et celle du microclimat environnant. Le choix de ces plantes est déterminant, quant au résultat de l’action de restauration écologique, qui réussit ou non, selon le cas. En d’autres termes, toutes les plantes pionnières ne sont pas des plantes nurses.
D’après la récente étude évoquée plus haut, certaines plantes nurses ont une performance élevée par rapport aux autres. Mais le palmarès revient à l’espèce appelée Conyza sumatrensis pour l’écorégion sur le littoral-Est malgache. Des investigations sont en cours sur deux autres sites sur les hautes terres et dans le Sud-Est du pays. Ceci suggère qu’un inventaire complet des plantes nurses présentes sur le sol malgache s’avère nécessaire.
Selon la chercheure, l’un des intérêts majeurs des plantes nurses réside dans leur capacité à activer les propagules des champignons mycorhiziens dans le sol. Elles stimulent plus la production de propagules de champignons mychoriziens par rapport aux autres plantes. Par définition, la mycorhization est le résultat de l’association symbiotique entre des champignons et les racines des plantes.

Panoplie de fonction des mycorhizes
Les mycorhizes, avec les plants growth promoting rhiozhobacteria ou PGRP [entièrement formées de bactéries], forment les plus grands des groupes de microorganismes vitaux pour les plantes. Les mycorhizes ont le don d’absorber les éléments phosphatés dans le sol. C’est sa première caractéristique vitale.
« Le phosphore compte parmi les éléments les moins mobiles dans le sol. Pourtant, outre l’azote, il est l’élément dont les plantes ont besoin le plus pour se développer », a expliqué le professeur Heriniaina Ramanankierana, co-auteur de l’étude citée plus haut et chercheur au CNRE.
Dans la nature, le phosphore se combine avec d’autres éléments chimiques comme l’aluminium, le fer, etc. Les plantes, toutes seules, sont incapables de prendre le phosphore sous forme complexe sans les mycorhizes.
Dans un courriel, Fabio Tinti, un expert en biofertilisant et consultant indépendant, ayant collaboré, durant des années, au bureau de la FAO, à Antananarivo, a dit à Mongabay : « Le mycorhize est un véritable biofertilisant, car il est capable d’absorber les éléments nutritifs sous des formes indisponibles pour les racines des plantes ».
« La plante n’est pas capable d’absorber le phosphore dans les terrains acides, ce qui est le cas de la plupart des terrains malgaches. Mais le champignon symbiotique peut le faire tout en transférant le phosphore à la racine », a ajouté l’expert italien.
Le deuxième aspect vital des mycorhizes est leur aptitude à élargir possiblement les champs explorables pour les racines. A l’instar des tentacules ou des câbles de connexion, les hyphes fongiques – sous forme d’éléments végétatifs filamenteux – vont jusqu’aux interstices, dans le sol, qui demeurent inaccessibles aux racines, pour y puiser les éléments nutritifs.
La troisième caractéristique vitale des mycorhizes est leur pouvoir d’absorber de l’eau de sorte que les plantes puissent vivre même dans des conditions sèches. « En même temps, les mycorhizes représentent une barrière de protection des racines contre les parasites, mais aussi un biostimulateur, grâce à la production de phytohormones », a affirmé Tinti. Du reste, comme les plantes nurses, les mycorhizes supportent des conditions extrêmes.
Les mycorhizes sont aussi un compagnon de lutte contre le changement climatique. « Environ un tiers du carbone absorbé est transformé en sucre et devient la nourriture des microorganismes des racines, y compris les champignons symbiotiques. Ainsi 30 % du carbone absorbé est emmagasiné dans le sol », a expliqué Tinti.
Selon le Professeur Ramanankierana, les mycorhizes, avec les PGRP, sont un outil puissant pour lutter contre la dégradation des sols et faire réussir le reboisement, qui s’effectue d’habitude sur des terres dégradées. Mieux, il est faisable de les exploiter à grande échelle par l’inoculation des plantules en pépinières. « Il suffit d’utiliser les spores du champignon pour infecter les racines. Mais on doit souvent forcément utiliser le mycélium issu du laboratoire », a affirmé Tinti.
« Lorsque j’étais consultant de la FAO, auprès de la ferme école d’Andriamboasary, à Fianarantsoa (hautes terres australes de Madagascar, Ndlr), il y a 25 ans, nous avons essayé l’inoculation des graines d’eucalyptus, en pots, avec des résultats significatifs sur la croissance des jeunes plantes », a-t-il indiqué.
La restauration par l’utilisation des plantes nurses
Le Pr Ramanankierana affirme que la recherche sur les mycorhizes, à Madagascar, a beaucoup évolué ces dix dernières années. Par exemple, les scientifiques ont mis au point la technique de production d’engrais à base de mycorhizes pour le reboisement. Les pépinières en sont les champs d’application par excellence, en pré-germant les graines.
Pour la restauration proprement dite, le scientifique conseille l’utilisation des plantes nurses adaptées au terrain avec les mycorhizes. « Au bout d’une année, les plantes mycorhizées en pépinières génèrent des communautés mycorhiziennes, qui facilitent l’installation d’autres plantes, l’année suivante », a-t-il affirmé.
De ce fait, il n’est pas nécessaire d’inoculer les jeunes plantes. La présence de plantes inoculées rend possible l’inoculation des plantes mises en terre tout autour. « C’est ce qu’on entend par tache d’huile en termes de restauration forestière », a confié le chercheur malgache.
Au cours d’une intervention publique, le 21 mars dernier, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale des forêts, Tinti a dit avoir soufflé le bienfait des mycorhizes aux oreilles des hauts responsables gouvernementaux. « Oui, je l’ai suggéré à plusieurs reprises et à plusieurs ministres… avec beaucoup d’autres techniques alternatives, pour la mise en place du Plan de reboisement national », a-t-il souligné à Mongabay.
À cette même occasion, l’expert a insisté sur l’utilisation des champignons existant localement. Selon lui, les espèces endémiques ou autochtones sont les plus efficaces et la liste des champignons trouvés à Madagascar existe.
Des organisations de conservation, intervenant au pays, ont déjà testé la méthode de restauration associant les mycorhizes. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique s’est toujours servi des plantes inoculées, lors des campagnes de reboisement à son compte.

Inoculation microbienne
Depuis 2024, le Programme de lutte antiérosive (PLAE), cofinancé par le gouvernement malgache et la Banque allemande de développement KfW, reste le plus grand utilisateur de technologies mycorhiziennes et de rhizobium pour la restauration des paysages et forêts dégradés d’une superficie totale de 45 550 hectares, dans 31 communes réparties dans six régions de Madagascar.
Depuis 2019, le programme, qui a démarré en 1998, fait sien l’esprit de l’initiative pour la restauration des paysages forestiers africains AFR100. Les actions sur le terrain se concentrent à présent sur le reboisement villageois individuel, le reboisement des forêts communales, la restauration des lambeaux des forêts, l’agroforesterie et le pâturage amélioré en œuvrant aussi pour la sécurisation foncière et la facilitation de l’obtention des certificats fonciers individuels et des titres pour les terrains communaux.
« Nous en sommes maintenant à la phase VI (2022-2027). Nous collaborons avec plusieurs institutions, y compris le CNRE pour les 30 % de l’objectif de production de jeunes plants », a dit, à Mongabay, Aina Nomena Andriantsimba, expert en sols et assistant de la coordination nationale du PLAE.
Depuis 2024, le recours aux mycorhizes et au rhizobium, par l’inoculation microbienne, est introduit dans l’approche. « La santé et la croissance des plantes inoculées sont significatives comparativement à celles non inoculées », a affirmé le responsable.
Les souches de microbes performants de chaque région d’intervention sont isolées et multipliées en laboratoire, afin d’inoculer les plantes autochtones et exotiques utilisées dans le but de laisser les sols se régénérer d’elles-mêmes. Les arbres forestiers en particulier sont visés. « Nous en sommes actuellement au suivi des plantes inoculées en 2024 et le CNRE va entamer la nouvelle phase d’inoculation de trois millions d’arbres », a dit Andriantsimba.
Dans le cadre de la collaboration PLAE-CNRE, les scientifiques assurent l’encadrement et le recyclage des équipes techniques et pépiniéristes sur le terrain. En effet, l’application est simple, mais moyennant un coût assez élevé. « Le défi est de faire perdurer l’inoculation des plantes pour qu’elles soient accessibles aux paysans et de rendre les terrains agricoles fertiles à nouveau, pour que les paysans puissent produire », a indiqué le responsable.
Malgré tout, une autre préoccupation se présente sous les yeux des chercheurs. Les écailles de la restauration écologique, au plan biologique, ont en partie sauté. Mais les aspects sociaux, qui vont avec elle, se dressent comme une montagne à gravir. « La partie sociale de la restauration n’a jamais été maîtrisée à Madagascar », a conclu Dr Baohanta.
Image de bannière : Travaux de recherche sur les mycorhizes effectués par le Centre national de recherches sur l’environnement. Image fournie par Dr Rondro Harinisainana Baohanta.
Citations :
Baohanta R. H., Andrianandrasana M. D. et al (2025). « Arbuscular mycorrhizal fungi dynamics in secondary shrublands of Madagascar : ecological insights for nurse plant selection in forest restoration » – Acta Oecologica 129 (2025) 104117 (https://doi.org/10.1016/j.actao.2025.104117)
Ghignone S., Zampieri E., Tinti F., Torti V., Giacoma C., Mello A. (2023). « Fungal Patterns from Soil in Madagascar : an insight from Maromizaha Forest (Evergreen Humid Forest) to Outside » – Microbial Ecology 85 : 184-196. (https://doi.org/10.1007/s00248-021-01887-5)
Vizzini A., Voyron S., Tinti F., Cavagna S., De la Pierre F., Mello A. (2019) – « The first identification of the wood inhabiting fungus Pleurotus tuber regium from Madagascar whit a combined approach based on morphological and molecular analyses » – Annali di Botanica Roma 2019, 9: 95-106
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