- Le Forum des entreprises de l’Afrique centrale sur l’énergie propose de construire 6 500 kilomètres de pipelines reliant les ressources pétrolifères et gazières dans 11 pays de l’Afrique centrale.
- Le forum dit qu’en particulier le gaz doit jouer un rôle essentiel dans le développement de l’économie de la région.
- Sept pays ont déjà signé un mémorandum d’accord, et une étude de faisabilité d’une première phase est attendue avant la fin 2023.
- Les défenseurs de l’environnement disent que le projet est une erreur qui aggravera la crise climatique et ne profitera pas aux populations locales.
En Afrique centrale, plus de 60 % des personnes n’ont pas accès à l’électricité. Une proposition ambitieuse vise à changer la situation avec un réseau de pipelines, de raffineries et de centrales électriques au gaz s’étendant dans 11 pays de la région. Mais les critiques disent que le Central African Pipeline System (CAPS) est une erreur.
Nathalie Lum, la présidente du Forum des entreprises de l’Afrique centrale sur l’énergie (CABEF), une organisation qui tient une conférence annuelle des sociétés pétrolières et gazières et des ministres de l’Énergie de la région, a dit à Mongabay que le CAPS participera à faire de la région de l’Afrique centrale une « zone énergétique débarrassée de la pauvreté » d’ici à 2030.
« Un accès à une énergie fiable et abordable aide à réduire la pauvreté, à attirer les investissements et à créer des emplois, tout en apportant aussi aux gouvernements une importante source de revenus. », a-t-elle dit.
Le CABEF se décrit comme une plateforme pour le développement de la coopération entre les pays de l’Afrique centrale qui vise à utiliser le gaz naturel, un combustible fossile, pour alimenter en énergie les foyers et les entreprises ainsi que l’industrie minière.
Toutefois, selon une étude publiée en 2020 par la Société financière internationale, l’organisation du Groupe de la Banque mondiale consacrée au secteur privé, le potentiel éolien terrestre de l’Afrique est suffisant pour satisfaire 250 fois les demandes en électricité actuelles du continent. Le continent a également une énergie solaire abondante, dont l’exploitation est de plus en plus abordable. D’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’organisme des Nations unies chargé d’évaluer la science liée au changement climatique, le coût unitaire de l’électricité d’origine solaire a baissé de 85 % dans la dernière décennie, alors que le coût de l’énergie éolienne a baissé de 55 % sur la même période. Ces sources d’électricité deviennent de plus en plus abordables, alors que l’électricité d’origine fossile devient plus chère.
Cela indique que les énergies renouvelables ne sont pas seulement moins polluantes, mais aussi moins chères que les combustibles fossiles.
Trois pipelines, 11 pays
L’idée du Central African Pipeline System (CAPS) est née à la conférence du CABEF en 2021 qui s’est tenue à Brazzaville en République du Congo. Le réseau proposé s’étendrait sur 6 500 kilomètres dans 11 pays, du Tchad et de la République centrafricaine au nord à l’Angola, la République démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi au sud. L’Association des producteurs de pétrole africain (APPA) et les représentants de sept pays ont signé un mémorandum d’accord l’année suivante.
Les promoteurs du projet disent qu’une étude de faisabilité concernant une première phase couvrant le Gabon, la Guinée équatoriale, le Cameroun, le Tchad et la République centrafricaine sera terminée d’ici la fin de cette année.
Le projet n’est qu’à un stade préliminaire, mais il fait partie d’un argument déterminé sur le continent que l’Afrique doit exploiter ses réserves de pétrole et en particulier de gaz pour se développer.
Mais les défenseurs de l’environnement avertissent que l’utilisation des combustibles fossiles ne peut pas être un pas vers l’avenir.
« Nous savons que ces choses ont échoué », dit Dean Bhekumuzi Bhebhe, un membre de Don’t Gas Africa, une campagne de la société civile contre la production d’énergie à partir de combustibles fossiles. « La poursuite de tels projets est une ambition dangereuse sans vision à long terme. Ce que nous devons faire, c’est déployer l’accès à l’énergie renouvelable. »
Bhebhe a expliqué que les projets pétroliers et gaziers en cours de développement, tels que l’oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP) en Ouganda et en Tanzanie, ou le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim au large des côtes du Sénégal et de la Mauritanie, ne profiteront pas aux populations locales.
« La promesse de développement social et d’amélioration socioéconomique n’est pas crédible », selon lui. « Quand vous regardez des pays qui produisent du gaz et du pétrole, la plupart des communautés de ces populations souffrent. Parfois, un grand nombre de personnes sont déplacées à cause de ses projets et se retrouvent dans une situation économique pire qu’avant. »
En amont du sommet annuel de l’ONU sur le climat en novembre dernier en Égypte, Don’t Gas Africa a répondu aux arguments en faveur du gaz comme « carburant de transition » avec un rapport qui souligne le fait que l’exploitation du gaz naturel provoque une destruction de biodiversité, contamine les nappes phréatiques et perturbe les moyens de subsistance en faisant s’effondrer le secteur de la pêche et les rendements agricoles. Le rapport souligne également que le gaz est un combustible fossile, dont la combustion accélère le réchauffement de la planète et le changement climatique qui sont déjà à l’origine d’événements météorologiques extrêmes et de déplacements massifs de populations.
« Nous devons comprendre que nous sommes en situation d’urgence climatique et en planifiant un avenir basé sur les énergies fossiles, ils n’offrent pas un avenir durable pour l’Afrique », a dit Bhebhe. « Le continent a la capacité d’être un acteur clé de l’économie mondiale verte et pas seulement une victime de la crise climatique. Nous ne pouvons pas reconnaître une énergie fossile comme étant une source durable, même si c’est pour le bien des Africains, car nous nous trouvons dans une situation d’urgence climatique. »
Lum reconnaît que les promesses de l’extraction des combustibles fossiles n’ont souvent pas été tenues dans le passé. « Le manque d’une gouvernance forte et une mauvaise gestion ont empêché de nombreux pays de tirer profit de leurs ressources naturelles. »
Mais elle dit que le CAPS sera différent en raison du soutien d’organisations internationales comme l’association des producteurs de pétrole et la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, qui, d’après elle, « aideront à faire en sorte que les revenus du projet soient utilisés pour le bien public ».
Les énergies fossiles, un pas de plus ?
Historiquement, les Africains ont le moins contribué aux émissions de gaz à effet de serre, mais ils seront parmi les populations les plus sévèrement touchées par le réchauffement climatique. Selon la Banque africaine de développement, le taux d’accroissement de la température sur le continent africain dépassera le taux moyen global, et cette augmentation s’accompagnera d’une augmentation de la fréquence et de l’intensité des fortes pluies. Ces changements auront un impact sévère sur les moyens de subsistance de la majorité de la population, qui dépend d’une agriculture non irriguée, selon la Banque africaine de développement.
Les gouvernements du monde entier se sont engagés à réduire leurs émissions, en remplaçant les hydrocarbures par des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien.
Mais Lum a déclaré que l’Afrique centrale doit rechercher un mélange d’énergie renouvelable et de combustibles fossiles pour développer la région. Elle a déclaré que le développement est une priorité plus importante pour l’Afrique centrale que la lutte contre le réchauffement climatique, et que les gouvernements de la région défendront la poursuite de l’utilisation du pétrole et du gaz.
« Le CABEF a l’intention de lutter vigoureusement pour la survie de la région entière en formant un bloc face à l’occident, qui veut forcer les pays concernés à abandonner les combustibles fossiles pour mettre en œuvre leurs politiques de transition énergétique », a-t-elle dit à Mongabay. « Il s’agit par conséquent de sensibiliser autant que possible les États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale aux problèmes et défis à relever par tous pour que la région puisse tirer profit de ses ressources pour le développement. »
À cause de la guerre en Ukraine, les pays européens se sont tournés vers l’Afrique pour obtenir le gaz qu’ils achetaient auparavant à la Russie. Toutefois, la demande pourrait s’effondrer aussi rapidement qu’elle a augmenté, ce qui laisserait les gouvernements africains avec une production excédentaire sur les bras. Plus fondamentalement, Don’t Gas Africa précise dans son rapport, « Si la décarbonisation continue à s’intensifier en Europe et en Asie, les plus gros importateurs potentiels de gaz africain, ces actifs se retrouveront fortement dévalués et ils laisseront les gouvernements avec des dettes sur des actifs qui ne seront plus viables ».
L’analyse publiée par l’African Climate Foundation (ACF) tire les mêmes conclusions. Les exportations de gaz seront profitables à court terme, ou aussi longtemps que le monde poursuit sa trajectoire destructrice actuelle de consommation de combustibles fossiles. Mais l’ACF conclut qu’à mesure que le monde réduit son utilisation des combustibles fossiles, et que le prix des énergies renouvelables baisse, les marchés d’exportation se rétréciront et les gouvernements africains essayant de se servir du gaz naturel pour alimenter en énergie les foyers et l’industrie se retrouveront coincés dans des subventions coûteuses aux combustibles fossiles.
« Il y a tellement d’excitation face aux prix et à la demande élevés, mais l’Europe prévoit toujours de faire sa transition d’ici à 2030, et les pays africains sont seulement un bouche-trou pour la Russie en ce moment », a dit Ellen Davies, une conseillère principale en recherche chez ACF, à Mongabay.
Pour le moment, aucune grande multinationale ne semble impliquée dans le projet CAPS et aucune information n’est disponible sur le financement prévu par les promoteurs pour sa mise en œuvre. Le CAPS promet d’être un projet très coûteux, et il n’est pas certain que les gouvernements de l’Afrique centrale aient vraiment les moyens de le payer.
Image de bannière : Image promotionnelle du projet CAPS. Fournie par Nathalie Lum, présidente du CABEF.
Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2023/04/caps-new-gas-megaproject-aims-to-power-central-africa-but-at-what-cost-critics-ask/