- Les parcs nationaux, en Afrique subsaharienne, jouent un rôle important dans la conservation de la faune et de la flore. Mais ils sont régulièrement en proie aux menaces telles que l’exploitation des ressources naturelles, les minerais par exemple, ou l’extension des villes ou des fermes.
- Moins de 30 % des aires protégées étudiées disposent d’un plan de gestion consistant, ce qui pose un problème de leur gouvernance.
- Les chercheurs indiquent que le numérique peut contribuer à la sauvegarde des aires protégées menacées par des décisions politiques visant à réduire leurs espaces.
- A travers la visibilité de ces aires, le public peut activement soutenir leur préservation.
Les Parcs nationaux (PN) qui ont plus de succès auprès des internautes, en Afrique subsaharienne, ne sont pas forcément les plus sécurisés sur le terrain. Ils peuvent même se révéler, parfois, plus vulnérables aux menaces de développement.
En revanche, leur succès auprès du public peut s’avérer un atout dans la perspective visant à renforcer leur résilience, face aux pressions économiques. C’est ce qu’indique l’étude publiée dans la revue British Ecological Society en octobre 2024.
Cette étude, qui vise à comprendre les facteurs qui rendent les PN en Afrique subsaharienne vulnérables aux initiatives de développement, s’inscrit dans le domaine relativement récent de la « Conservation Culturomics ».
Ce dernier utilise les outils numériques, les big data et les données issues des sciences sociales pour comprendre quels écosystèmes reçoivent le plus d’attention du public.
Les auteurs se sont ainsi concentrés sur les pages en anglais concernant 322 PN de l’Afrique subsaharienne, disponibles en ligne avant 2020, spécialement sur Wikipédia. Ils ont analysé la perception et l’intérêt des personnes qui recherchent des informations sur les parcs nationaux. Les vues sur Internet ont alors servi d’indicateur indirect de soutien, pour mesurer l’intérêt du public pour les PN.
En outre, les chercheurs ont postulé que les parcs bénéficiant d’une visibilité numérique élevée attireraient plus de soutien (notamment international), lequel soutien pourrait décourager les décisions politiques de réduction ou de suppression de leur statut protégé.

Vulnérabilités des parcs nationaux africains
L’étude a ainsi établi 3 phénomènes majeurs concernant les PN : des restrictions légales (Downgrading) afin d’utiliser des ressources naturelles, des pertes de superficie (Downsizing) au profit de l’agriculture ou des infrastructures, par exemple, et des suppressions totales (Degazettement) du statut d’aire protégée. Ces décisions ne sont pas toujours négatives, en contexte africain où des parcs nationaux ont été créés dans des modèles coloniaux : elles « visent souvent à restituer des terres à des communautés auparavant déplacées », explique Karoline Azevedo, l’une des auteurs de la recherche.
Il s’avère ainsi que ce sont des décisions politiques qui consacrent ces vulnérabilités lorsqu’elles accordent des terres à l’exploitation des ressources naturelles ou à l’agriculture, par exemple.
Les auteurs montrent que les parcs peu visibles en ligne ou peu soutenus par le tourisme international, risquent de ne pas attirer l’attention nécessaire pour défendre leur statut, lorsqu’une telle décision les concerne, alors que les plus visibles bénéficieraient rapidement de l’attention publique.
L’étude montre aussi que les pays, avec un PIB plus élevé tel que l’Afrique du sud, présentent souvent une plus grande pression vis-à-vis des terres, ce qui peut nuire aux PN. Il en ressort aussi que seulement moins de 30 % des PN ont des plans de gestion documentés et que les zones, en conflits armés ou faisant l’objet d’une faible gouvernance, peuvent facilement lever le statut d’aire protégée.

Des aires protégées touchées
Parmi les PN étudiés, figure le sud-africain Addo-Elephant National Park qui a subi des réductions et dégradations (downsizing et downgrading) dans les années 1990 et 2000. Le Augrabies Falls National Park, dans ce même pays, a subi 7 événements de downsizing entre 1980 et les années 2020, indique la même étude.
En Zambie, ce sont les activités minières qui ont secoué les parcs de Kafue, Luangwa Nord et Sud, ainsi que celui de Nower Zambezi.
Ces exemples rappellent également la situation de la réserve de chasse de la Basse Kando, située sur la rive gauche du fleuve Congo, dans la province du Lualaba près de la ville de Kolwezi, en République démocratique du Congo (RDC). L’Etat a accordé des concessions minières aux entreprises qui exploitent le cuivre et le cobalt, et l’aire protégée ne tient plus qu’à travers une superficie initiale de 23 %.
Expert en conservation, Antonio Longangi, qui est le responsable de la Communication au Parc national de L’Upemba dans le sud-est de la RDC, explique que certains politiques veulent accéder aux ressources naturelles se trouvant dans les aires protégées, sur le continent. Ils jouent alors sur leur influence pour se passer des efforts de conservation. Cela « politise chaque décision liée à la gestion d’une aire protégée. Il y a aussi les contraintes financières. Très peu de fonds sont versés dans la conservation par le gouvernement, créant une situation selon laquelle chaque projet de conservation doit dépendre des bailleurs externes pour simplement rester opérationnel », explique Longangi à Mongabay.
C’est ce que dit également le centrafricain de Bangui, Jean-Jacques Mathamalé, Coordonnateur de l’ONG Centre pour l’information environnementale et le développement durable (CIEDD). Il explique que l’application de certaines lois nationales et des engagements internationaux de conservation est difficile dans les pays du bassin du Congo. En même temps, il note que les gestionnaires des aires protégées ne peuvent prendre de décisions importantes. « La gouvernance n’implique pas tous les autres acteurs. Il faut à cela ajouter la [faible] connaissance des textes juridiques » par la population, explique Mathamalé.

La visibilité des aires protégées, gage de leur protection ?
La visibilité d’une aire protégée sur Internet, au terme de cette étude, apparaît comme une donnée pouvant servir sa protection en cas de menace économique. S’il est plus facile que ceux qui l’aiment apprennent rapidement la nouvelle de sa menace, les défenseurs de l’environnement ont la possibilité de compter sur la communauté « digitale ».
« Les médias sociaux, en particulier, sont devenus un outil puissant pour diffuser des informations, stimuler l’opinion publique et faciliter les interactions en ligne. Ils jouent un rôle central dans notre société en rapide évolution et sont devenus un des outils clés pour l’information, le discours et même pour façonner les économies numériques », explique Karoline Azevedo, interrogée à ce propos par Mongabay.
C’est ce qu’indique, par ailleurs, l’étude “Digital natures : New ontologies, new politics?“, d’après laquelle le numérique bouscule les frontières traditionnelles entre la société et la nature. Le numérique aurait également un potentiel politique progressiste qui redéfinit l’essence même de la nature. Les technologies numériques, algorithmes, drones, par exemple, reconfigurent activement ce qu’est la nature en influençant la manière dont les gens la perçoivent et interagissent avec elle.
Pour une réponse à la vulnérabilité des aires protégées, les auteurs de “National Parks in sub-Saharan Africa using data on digital trends and engagement”, soulignent en outre l’importance d’intégrer les initiatives de conservation communautaires et la gouvernance durable, « en particulier dans les zones sujettes aux conflits, pour renforcer la relation entre les parcs et les communautés qui en dépendent », indique Azevedo.
Pour Longangi, une approche déléguée des aires protégées semble plus prometteuse devant des appuis institutionnels limités. Pour exemple, il cite le PN de Garamba en termes de partenariat public-privé qui semble réussir, selon lui. Le parc d’Upemba « est sur la même voie à travers le programme incubateur de African Parks Network ». Elle pense qu’il « serait justifié d’offrir une exclusivité aux ONG privées qui ont accès aux fonds, à l’expertise et n’existent que pour la conservation, surtout que la question environnementale est de plus en plus internationalisée ».
Image de bannière : Éléphant d’Afrique dans le Parc national de Tarangire, en Tanzanie. Image Rhett Butler via Mongabay.
Citation :
Azevedo, K. et al., National Parks in sub-Saharan Africa using data on digital trends and engagement , People and Nature, 00, 1–14. https://doi.org/10.1002/pan3.1073025758314, 0, [En ligne], URL: https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/pan3.10730.
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