- Dans une province de la République démocratique du Congo, les Twa autochtones aspirent à l'électricité et à modifier leur mode de vie.
- Mais cette denrée est inaccessible pour plusieurs dans le pays, et les populations coupent du bois dans la forêt et la savane pour le bois de chauffage et le charbon de bois.
- Des panneaux solaires alimentent quelques rares maisons et servent à recharger des téléphones ou à jouer de la musique dans les villages visités par Mongabay. Néanmoins, leur prix reste peu abordable pour la plupart.
- L'énergie solaire, à partir de panneaux solaires, aurait pu offrir une solution plus durable à l'incapacité des autorités à relier davantage de zones rurales au réseau national. Néanmoins, les services offerts jusqu'à présent demeurent inaccessibles à la grande majorité des habitants des zones rurales, en particulier parmi les autochtones Twa.
LUBUMBASHI – Lorsque la nuit tombe dans le village des Twa à Lukwangulo, seule la maison du chef de la localité est éclairée. Dans ce village au sud-est de la RDC, dans la province de Tanganyika, il n’y a que 4 individus qui ont un panneau solaire. Pièce d’environ un demi mètre carré, juchée sur le toit de la maison, ce panneau est la principale source d’électricité à Lukwangulo. Son usage se limite à recharger les batteries de 12V, des téléphones portables ou à faire jouer des postes radio.
Pour la cuisson et les autres besoins qui nécessitent une source d’énergie, les 500 ménages du village doivent chercher du bois dans la forêt.
C’est le cas dans plusieurs villages des Twa et milieux ruraux du pays : ainsi, parce qu’ils manquent de connexion au réseau électrique, ils recourent à la forêt. Pourtant, l’énergie solaire, qui pourrait offrir une alternative plus durable, rapide et importante, reste inaccessible. Plus encore parmi le peuple autochtone Twa qui tente de se sédentariser et de changer son mode de vie.
Selon Mwayuma Mufaume, une jeune mère Twa d’environ 20 ans, il est crucial d’avoir accès à l’électricité. Elle explique, par exemple, qu’elle doit changer les couches de son bébé dans l’obscurité, pendant la nuit. « Il faut aussi que les enfants étudient. C’est important. Mais comment vont-ils étudier dans le noir ? », se demande la jeune femme.
Certains voient dans les panneaux solaires une opportunité face à l’incapacité des pouvoirs publics à connecter plus de zones rurales au réseau national. Cette technologie, qui ne demande pas beaucoup d’investissements en infrastructure et qui limite la pression sur les forêts, est polyvalente et évite les controverses liées aux développements hydroélectriques. De plus, la région offre des conditions excellentes pour l’énergie solaire photovoltaïque.
Néanmoins, les experts affirment qu’elle fait également face à des difficultés.


L’accès à l’électricité, à partir des panneaux solaires dans cette région, a un coût peu accessible pour plusieurs en raison de la pauvreté, même si, globalement, les prix de l’énergie solaire photovoltaïque diminuent. Certains habitants, à l’instar de Feza Mukeina qui s’est offert un panneau solaire, sont constamment sollicités pour recharger des appareils. En échange de ce service, Feza reçoit des biens alimentaires tels que le vin, le manioc et de la viande qui sont consommés durant les baraza, les réunions en kiwsahili, langue de la région.
« Je l’ai payé seule, mon petit panneau solaire. Il nous sert à éclairer la maison », explique Feza.
C’est la même situation au village Kawama, des Twa, situé à moins de 30 km de Kalemie, dans la province de Tanganyika. Pour environ 200 ménages, 2 panneaux solaires desservent les habitants. « Nous espérons gagner plus d’argent, mais on n’y parvient pas. Que nous faut-il faire ? », se demande Shabani Bilofa, habitant de Kawama.
Sa vie, Shabani la passe entre ses randonnées dans la forêt et dans la savane, à la recherche de quoi nourrir sa famille, et le partage des fruits de ses chasses avec ses proches. Quant à son avenir, il y pense peu, même s’il aimerait travailler un jour pour gagner un salaire.
De l’électricité pour les Twa ? Ou du makala ?
L’accès à l’électricité reste largement inégalé entre les villes et les milieux ruraux en RDC. Seulement 7,4 % des Congolais ont accès à l’électricité, d’après l’Autorité de régulation du secteur de l’électricité (ARE), un service public congolais.
« Dans les zones rurales, ce chiffre chute dramatiquement à 1% », faisant de la RDC « le second pays au monde ou l’électricité est un luxe rare », selon l’Agence nationale de l’Électricité et des services énergétiques en milieux rural (ANSER).
Dans ce contexte, qui pour financer l’énergie solaire au profit des milieux ruraux et des peuples autochtones en RDC et en Afrique ?
Dans les deux localités visitées par Mongabay, l’unique source d’énergie est le bois de chauffage, fruit de ramassage dans la forêt et la savane. Certains habitants, en revanche, recourent parfois au charbon de bois, les makala en kiswahili. Ces combustibles exercent, au fur et à mesure que les villages s’agrandissent, une pression sur les forêts et constituent l’une des causes primaires de déforestation dans la province de Tanganyika. La région de Kalemie, dans cette province, a subi une perte du couvert forestier supérieure à 105 228,3 ha entre 2010 et 2022, selon une étude de l’Observatoire Satellital des Forêts d’Afrique Centrale (OSFAC).

Dans toute la province, il y a eu une perte de 22 900 ha de forêts primaires humides entre 2002 et 2023, d’après le site de surveillance des forêts-foresterie par imagerie satellitaire Global Forest Watch. Cela représente 4,8% de sa perte totale de la couverture arborée et 8.0% de diminution de forêts primaires humides.
Si, sur le plan culturel, des femmes pensent que les plats cuisinés sur le bois de chauffage ont une saveur unique très appréciée, certaines comme Feza Mukeina apprécieraient cuisiner aussi sur des plaques chauffantes ou utiliser des fours si elles avaient accès à l’électricité.
Pour l’historien Danny Kayeye, « l’électricité est un facteur de développement communautaire » ; elle change les habitudes des utilisateurs. Dans le territoire de Rutshuru, dans le Nord-Kivu, par exemple, des Twa s’équipent d’appareils électroménagers et diminuent leur recours au bois de chauffage.
Qui pour donner l’électricité aux milieux ruraux et aux Twa ?
Néanmoins, ce qui pose un réel défi avec l’électricité d’origine solaire, c’est sa capacité à offrir des services énergivores à un coût bas. Pour la cuisine, par exemple, les centrales domestiques de faible capacité, qui sont moins chères, ne peuvent pas tenir, explique Jean-Paul Katond, docteur en électricité et professeur à l’université de Lubumbashi.
« L’énergie solaire [de faible capacité, ndlr] n’est pas très intéressante pour être utilisée pour la cuisson. Il faut réfléchir à d’autres solutions pour réduire la pression sur le bois pour la production du charbon de bois », explique Katond.
Malgré leurs coûts relativement accessibles, en partant de l’accès à un panneau solaire et à une batterie rechargeable dont les coûts minimaux sont respectivement de 50 et 80 USD pour les plus bas, les paysans qui peuvent y accéder sont rares. Il faut en revanche au moins 2500 USD pour s’offrir une centrale solaire domestique de 3000W à Lubumbashi, capable d’éclairer une maison entière et de faire fonctionner un congélateur moyen et deux téléviseurs, d’après un responsable d’une start-up spécialisée dans le service interrogé par Mongabay. Un Congolais gagne en moyenne 530 USD par an.
Pour Jean-Paul Katond, la solution pour les milieux ruraux et les ménages consiste dans l’adoption de politiques incitatrices. Il s’agit d’encourager le recours aux solutions solaires par des subventions ou des diminutions des taxes sur les équipements. Katond pense aussi qu’il faut sensibiliser les communautés intéressées afin qu’elles s’approprient les projets en œuvrant ensemble.
« Qu’on ait des gens capables dans la communauté, pour des pannes mineures, par exemple, pour la maintenance de l’équipement ». Il estime qu’il y a deux types d’applications : plus légères, auxquelles les paysans peuvent être initiés en termes de maintenance, et plus lourdes qui demandent l’intervention des vrais techniciens.

Mais cette technologie demeure encore chère comparée aux autres sources d’énergies, comme l’hydroélectricité, même si le solaire donne des solutions rapides.
« Les énergies solaires, ce sont des projets à court terme. Vous pouvez couvrir le besoin assez rapidement [comparativement à l’hydroélectricité, Ndl]. Mais le coût est relativement élevé encore. Je sais qu’aujourd’hui le kilowatt-heure produit en hydro est généralement moins cher que le kilowatt-heure produit dans le solaire. Ça veut dire que les communautés généralement vont devoir payer assez cher pour avoir une disponibilité en termes d’énergie plus rapidement que dans les projets en hydroélectricité », explique Jean-Paul Katond.
Néanmoins, bien que l’hydroélectricité peut coûter moins chère à long terme que l’énergie solaire, elle est plus coûteuse ou inaccessible pour les communautés rurales par rapport au bois dans la forêt.
Virunga Energy, filiale de la Fondation Virunga, gère le parc national congolais de Virunga avec seulement 33,000 abonnés sur une population de 6,6 millions dans la province du Nord-Kivu. À Lukwangulo, la ligne de la centrale hydroélectrique de Bendera, du réseau public, passe dans les environs vers Kalemie mais ne se connecte pas au village.
L’hydroélectricité peut également susciter ses propres controverses. Les barrages hydroélectriques dans les forêts peuvent avoir un impact direct sur les écosystèmes et les communautés lorsque les forêts sont inondées pour de nouveaux barrages. La construction des barrages du projet Grand Inga en RDC, le plus grand projet hydroélectrique au monde qui pourrait générer de l’électricité pour une grande partie de l’Afrique, est également vivement critiquée en raison de sa capacité à modifier le cours du fleuve Congo et de sa incapacité à répondre aux besoins des habitants des zones rurales.
« Vous avez l’électricité! Pourquoi vous et pas nous ? »
Les initiatives solaires se multiplient depuis près d’une décennie en Afrique, avec des mini-centrales solaires au service des hôpitaux, écoles et laboratoires. Souvent, ces centrales sont offertes par des tiers, des associations internationales. Les initiatives communautaires locales semblent cependant peu développées, voire inconnues des spécialistes.
Pour Aimée Muteni, vice-présidente du Cadre de concertation de la société civile du Tanganyika, les Twa ne peuvent accéder à l’électricité sans se sédentariser, ce qui devrait faciliter leurs conditions économiques. « Je crois que l’électricité devrait venir après qu’ils se soient installés. Il faut qu’ils aient d’abord des infrastructures de base qui conviennent à leur dignité », explique Muteni.

Pour Mukalay Ngoyi, chef de bloc au village Lukwangulo, l’électricité est importante pour les Twa. « Si on vous dit que nous, les Twa, ne voulons pas utiliser l’électricité, c’est un mensonge. Vous qui venez de la ville, vous avez l’électricité, vous avez l’éclairage. Pourquoi vous et pas nous ? Nous sommes des humains comme vous et avons aussi besoin d’électricité », insiste-t-il.
Mukalay compte parmi les dignitaires de son village qui bénéficient d’un rechargement de leurs appareils chez le chef du village. Il pense que l’accès à l’électricité aura un impact réel sur la vie de sa communauté, surtout des jeunes en âge scolaire.
Par ailleurs, même si l’énergie solaire se présente aujourd’hui comme « une chance pour les zones du Sud », selon Jean-Paul Katond, son développement reste limité aux capacités de financements des projets au service des zones rurales.
Sans financements ou subventions publics, les populations autochtones les plus économiquement défavorisées de ces zones négligées, dans le cas de la RDC, resteront encore longtemps sans accès à l’électricité.
Image de bannière : Une femme qui porte un paneau solaire à Yangambi, DRC. Image de Axel Fassio/CIFOR via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Écoutez le podcast de Mongabay, Planète Afrique.
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