- Dans les localités de Mbonjo et de Bomono en zone littorale du pays, la Société camerounaise de palmeraies (Socapalm), filiale de la Société financière des Caoutchoucs (Socfin), s’est délestée d’environ trois hectares de palmiers au profit des communautés villageoises.
- Ces espaces à haute valeur de conservation, ne représentent que le dixième des sites sacrés identifiés par les communautés, et sur lesquels des projets de restauration et de reforestation sont envisagés.
- L’entreprise relativise le préjudice subi à la suite de ces opérations, et met plutôt en avant son engagement pour le respect des droits et traditions des communautés conformément aux exigences de la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO).
- L’organisation locale Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (SYNAPARCAM) dénonce cependant des dysfonctionnements qui subsistent dans le cadre des activités de la Socapalm au plan environnemental et social, et remet en question la certification de ses plantations par la RSPO.
MBONJO, Cameroun — Des palmiers coupés à la hussarde jonchent le sol sur un périmètre à l’entrée du village Mbonjo, à près de 50 kilomètres de Douala la capitale économique camerounaise. Cette localité compte parmi celles qui hébergent les plus de 58 000 hectares de palmeraies exploitées par la Société financière des Caoutchoucs (Socfin), une société financière luxembourgeoise qui détient également des plantations de palmiers à huile dans une dizaine de pays africains. Elle opère au Cameroun à travers sa filiale locale, Société camerounaise de palmeraies (Socapalm).
À l’intérieur de l’espace déblayé sur une superficie de près d’un hectare de terres et barricadé à l’aide de matériaux provisoires, se trouvent des tombes ancestrales.
Ces reliques identifiées sur ce site de palmiers à Mbonjo en font des zones à haute valeur de conservation cédées aux communautés villageoises, après plus de deux ans de tractations sous l’impulsion de l’organisation à but non lucratif Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (SYNAPARCAM) et des chefferies traditionnelles des localités de Mbonjo et Souza.
Les activités de Socapalm sont régulièrement sur le gril des organisations de défense de l’environnement, qui mettent en question la certification de ces plantations par le Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO), une entité multipartite qui promeut la production de l’huile de palme durable. L’organisation SYNAPARCAM l’accuse d’exploitation des sites sacrés, d’accaparement des terres, d’occupation abusive des espaces vitaux, de pollution à travers le déversement des eaux usées dans les rivières, de menaces fréquentes des agents de sécurité de Socapalm sur les communautés villageoises, de violences sexuelles dans ses plantations.
Des missions menées conjointement avec cette organisation de défense des intérêts communautaires contre les agro-industries, les chefs traditionnels et la Socapalm, ont permis d’identifier cinq sites, dont la sacralité est justifiée par la présence des tombes ancestrales, l’historicité des lieux, ou la présence de certaines plantes médicinales. Par contre, le plaidoyer des communautés soutenues par des organisations de la société civile, a contraint l’entreprise à ne céder que trois sites sur les cinq escomptés, pour une superficie totale d’environ trois hectares, alors que les communautés en espéraient 30 hectares.
« Dans les principes de la RSPO, il faut respecter les zones à haute valeur de conservation. Nos sites sont sacrés sont depuis Socapalm-État (lorsque l’entreprise était encore sous pavillon de l’État camerounais), mais c’est en 2020, qu’en tant qu’Africains et très respectueux de la tradition, on a fait savoir à la Socapalm que nous avons des sites dans leurs plantations où nous faisions nos rites et enterrions nos morts. Et qu’on n’y avait plus accès à cause de leurs services de sécurité », explique Emmanuel Elong, président du SYNAPARCAM.
Socapalm a confié à Mongabay qu’elle s’est engagée « à garantir l’accès et les droits d’usage des communautés concernées pour les sites sacrés », en précisant qu’il ne s’agit aucunement d’une opération de rétrocession de ces terres aux communautés, lesquelles sont la propriété de l’État camerounais, que Socfin exploite dans le cadre d’un bail emphytéotique.
De la restauration et la reforestation des sites sacrés
Au Cameroun, les agro-industries opérant dans la production de l’huile de palme sont en outre de gros moteurs de déforestation.
Elles rasent des milliers d’hectares de forêts pour le développement des plantations de palmiers à huile, occasionnant d’énormes pertes pour la biodiversité. C’est le cas de l’entreprise Cameroun Vert Sarl (CAMVERT), qui a détruit 60 000 hectares de forêt dans les localités de Campo et Niete au sud du pays, pour contribuer à la production nationale d’huile de palme, alors que le déficit est actuellement évalué à 150 000 tonnes. Selon le Fonds mondial pour la Nature (WWF), les agro-industries du secteur palmier à huile au Cameroun occupent près de 120 000 hectares de terres à travers le pays.
En janvier 2021, SYNAPARCAM et les chefs traditionnels ont soumis un projet de réhabilitation de ces sites sacrés à la Socapalm à l’effet d’en susciter son adhésion. Dans le document, l’organisation énumère plusieurs avantages du projet à savoir : la sécurisation des sites sacrés à travers le respect des limites matérialisées par des bornes ; les plantations et les outils de gestion durable des sites élaborés ; l’accroissement du taux de boisement des sites sacrés et des terroirs ; la réduction de la vulnérabilité des populations ; le renforcement du pouvoir des dignitaires et gestionnaires des forêts sacrées à travers à la promotion des cultures ancestrales et la reconnaissance légale des sites.
Plus spécifiquement, Emmanuel Elong révèle que parmi les sites non encore cédés, le projet prévoit d’aménager 15 hectares de forêt sur l’un des sites, « à l’image des forêts sacrées de la région de l’Ouest, où on va instituer une fête traditionnelle des communautés Mbonjo et Souza, à l’instar du Ngondo (fête traditionnelle et rituelle des peuples côtiers camerounais) ».
Dans le canton Souza-Bonassama, le chef traditionnel Daniel Sappa déplore que le site identifié dans son village ne soit pas encore libéré. « Nous voulons en faire un jardin médicinal où on va également construire certaines œuvres qui ont trait à la tradition, et faire revivre notre culture », soutient-il.
La certification des plantations contestée
Socfin a entamé depuis 2021 un processus de certification de ses plantations au Cameroun auprès de la Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO) à Dibombari, Mbongo, Mbambou, Eséka, Edéa and Kienké. Depuis lors, elle a déjà obtenu des certifications pour six de ses plantations, dont la dernière est celle de Kienké, certifiée en janvier 2023.
L’obtention de la certification RSPO pour une durée de cinq ans, donne lieu à des missions de vérification et d’évaluation des recommandations formulées à l’entreprise par l’organisme certificateur, sur le respect des obligations environnementales et sociales.
SYNAPARCAM et plusieurs organisations nationales et internationales de défense de l’environnement ont toujours critiqué les certifications de SOCFIN, non sans remettre en doute l’indépendance et la crédibilité des évaluateurs du cabinet américain SCS Global Services, mandatés par la RSPO.
En début d’année 2023, un auditeur de SCS Global services a d’ailleurs séjourné dans les plantations de Dibombari pour une mission d’évaluation. Celle-ci a abouti au renouvellement de la certification RSPO pour ces plantations, où « aucune non-conformité ou observation sur la gestion des sites HCV6 n’a été évoquée », se réjouit la Socapalm.
Au grand dam d’Emmanuel Elong : « RSPO doit aller vers les travailleurs de Socapalm, pour savoir s’ils sont bien traités, bien entretenus, et savoir si ce que nous avons dénoncé est amélioré par la société. Au lieu de cela, Socapalm est allée sélectionner des planteurs acquis à sa cause, les a regroupés quelque part, et a orienté l’auditeur de la RSPO vers eux », dénonce l’activiste de 53 ans, qui en appelle à l’annulation des certifications obtenues par Socapalm pour ses différentes plantations.
Ces allégations sont démenties par la Socapalm, qui indique que « les étapes et le plan d’audit sont établis préalablement par les auditeurs uniquement, et les consultations sont ouvertes et publiques ».
Image mise en avant : L’activiste Emmanuel Elong au pied d’une tombe ancestrale sur le site sacré de Bayong Mbonjo. Photo de Yannick Kenné.
En savoir plus avec le podcast de Mongabay (en anglais) : Nous discutons d’un nouveau rapport d’enquête de Mongabay qui examine les impacts de la croissance de l’industrie de l’huile de palme en Amazonie.
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