- Dans le Sud de Madagascar, l’aridité accentuée par le changement climatique aggrave une famine chronique qui existe depuis les années 90.
- La désertification entraîne des réactions en chaîne et des tempêtes de sable aggravant l’insécurité alimentaire d’un peuple affamé pendant plus de deux décennies.
- La Grande Ile est devenue depuis peu, le premier pays au monde à faire face à une famine liée directement au changement climatique.
- Au moins 1,14 millions d’habitants sont directement menacés par cette famine selon les ONG et les agences onusiennes.
Dans les régions du Sud de Madagascar, la famine dénommée “kere” dans l’appellation locale, est devenue monnaie courante. Le phénomène est d’autant plus aggravé par une intense désertification, liée au changement climatique comme l’on peut le constater au Sud de la Grande Ile. Pour essayer d’y remédier, beaucoup de projets voient chaque année le jour dans le Sud, mais ne donnent pas suffisamment de résultats escomptés.
Mais en dehors de la désertification, d’autres facteurs font que beaucoup de ces projets ont du mal à survivre ou échouent tout simplement et par conséquent, le grand Sud est surnommé, le “cimetière à projets”.
Le Sud de Madagascar est une région naturellement sèche et à climat aride. Les activités comme l’agriculture dépendent des fleuves comme le Mandrare, qui traverse la région Anosy et l’Onilahy qui traverse l’Atsimo Andrefana. Il existe cependant un certain déséquilibre entre les zones à proximité de ces fleuves et celles plus éloignées. Ce qui s’accroît d’années en années à mesure qu’il pleut beaucoup moins, à cause du dérèglement climatique.
Alain Ramanana, Directeur de l’Observatoire de la Décentralisation et du Développement Local (ODDL) rapporte lors de ces descentes dans le grand Sud que, “les communautés nous disaient que s’il pleuvait ne serait-ce que deux fois par an, elles auraient suffisamment à manger en cultivant”. Les régions les plus touchées par la sécheresse sont des zones comme l’Amboasary Sud, l’Ambovombe, l’Ampanihy… celles qui sont les plus éloignées des vallées fluviales.
De plus, la plupart des projets hydrographiques se concentrent sur des installations de puits ou de forages, “mais ces systèmes suffisent juste à boire et à nourrir le bétail, mais pas assez pour une agriculture pérenne”, explique Haingo Randrianasolo, assistante de direction pour Bel Avenir, une ONG membre du réseau Eau de Coco.
Par ailleurs, estime Haingo Randrianasolo, la plupart des projets se basent dans les chefs-lieux de villages. Ce qui donne lieu à des commerces assez fructueuses pour qu’ils survivent sans ou avec peu d’agriculture. Les zones les plus enclavées sont ainsi celles qui souffrent le plus.
L’absence de l’eau … bonjour le désert
Le problème de manque d’eau engendre des réactions en chaîne qui aggravent la situation alimentaire dans le Sud. Moins il y a d’eau et de pluie, moins il y a de végétations, plus il y a des surfaces désertes. Et pendant l’été austral, les “tsioka atsimo” ou alizés soufflent au Sud de l’île et créent avec la désertification, d’importantes tempêtes de sable et des “tiomenas”.
Ces tempêtes peuvent durer huit heures, s’étendre jusqu’à 200 km et englober plusieurs districts à la fois. La santé publique et le bétail en font les frais. C’est aussi un problème pour l’agriculture car ces intempéries diminuent les surfaces cultivables. Ce qui engendre encore plus de famine. Et malgré l’existence de potentiels de développement, l’insécurité alimentaire dans le Sud de Madagascar a existé depuis les années 90. “Je suis convaincu que la grande solution aux problèmes de kere dans le Sud est l’eau” déclare Ramanana.
Des dépendances décennales
Les ONGs, le Gouvernement Malgache et les Nations Unies ont fait l’année passée des appels d’aides d’une valeur de plus de $ 75 millions pour pouvoir stabiliser la situation. Ces partenaires voulaient distribuer un peu de cash aux populations, traiter de l’eau à boire et faire d’autres travaux relatifs à la résilience de la population en détresse.
Attirés par les appels à l’aide, beaucoup d’autres projets et d’ONG ont vu le jour dans le grand Sud. Mais beaucoup ont également échoué. D’abord, en vue des urgences sanitaires et alimentaires, certains distribuent des vivres pendant un moment. Ces derniers sont suivis par d’autres qui se basent à peu près sur le même système. Ensuite, d’autres ont essayé d’y développer des projets à long terme et générateurs de revenus pour la population locale “(…) mais il s’agit surtout de solutionner un problème anthropologique “ explique Randrianasolo.
“C’est devenu ancré dans les mentalités de toujours attendre quelque chose de la part de tel ou tel ONG pour vivre. Et on n’a plus la motivation pour se débrouiller soi-même“ ajoute Randrianasolo. Les solutions rapides et à court terme sont devenues des habitudes. D’où les phénomènes de dépendances. Les communautés ont perdu la patience d’une vision à long terme.
La sensibilisation est primordiale
“Au cours de mes missions, j’ai vu des villages qui avaient assez d’eau pour planter, mais ils ne le faisaient pas et cherchent à acheter ailleurs”, ajoute Randrianasolo. À cause de cela, les projets qui promeuvent les activités génératrices de revenus échouent au bout de quelques temps.
La polygamie est un autre facteur culturel qui empêche le développement dans cette région du Sud à haut risque, ce qui explique en partie la forte croissance démographique de cette même région, malgré les difficultés alimentaires. De plus, il existe des communautés où il est “fady” (tabou) de transformer des aliments comme la patate douce qui est une bonne source de nourriture. Les coutumes ont telle ampleur que l’on préfère plutôt utiliser ses économies pour l’achat d’un zébu qu’on sacrifiera plus tard, plutôt que l’utiliser pour se nourrir correctement.
“Sensibiliser les parents à changer leur mentalité de dépendance et à éduquer leurs enfants est notre défi au quotidien”, clame Randrianasolo.
À cause de l’attente et de l’habitude de résultats immédiats, le Sud de Madagascar est devenu dépendant des projets. “Une importante éducation civique est nécessaire pour faire avancer les choses, mais même moi je ne vois pas encore comment solutionner cet aspect”, se désole Ramanana.
D’un autre côté, les bailleurs de fonds ne voyant pas de résultats satisfaisants perdent patience et clôturent leurs projets à de nombreuses reprises. D’où la réputation de “cimetière à projets”.
Le malheur de la Grande Ile
La Grande Ile est devenue depuis peu, le premier pays au monde à faire face à une famine liée directement au changement climatique. Au moins 1,14 millions d’habitants sont directement menacés par cette famine selon les ONG et les agences onusiennes dont 14.000 personnes du secteur d’Ambosary Sud qui ont épuisé leurs stocks d’aliments et de ressources financières alternatives.
La COVID-19 n’a pas arrangé les choses non plus pour cette population en crise alimentaire aiguë. Entre 2019 et 2020, il y a eu une diminution de récoltes et de ressources alimentaires suite aux restrictions, interdictions de voyage et la suspension de l’activité touristique liées notamment à ce fléau. Les habitants en situation de famine se sont par ailleurs retournés vers les feuilles de cactus qu’ils consomment en attendant soit la mort soit l’arrivée des âmes charitables pour leur apporter à manger.
Le Gouvernement et ses bailleurs ne semblent pas être en reste. Un projet d’adduction d’eau pour réduire l’impact désertique a été lancé sur une distance de 165km parce que selon les ONG, le grand problème du Sud de Madagascar est le manque d’eau pour l’agriculture pour avoir de la nourriture.
D’après le Fond Mondial pour la Nature (WWF), entre Novembre 2020 et février 2021, les précipitations obtenues sont évaluées à moins de 50% alors que c’était une période à la fois pluvieuse et agricole. Ainsi donc, 69% des communes des régions Anosy et Androy sont menacées par une sécheresse aiguë.
Exode rurale
Certains des habitants des régions touchées du sud de la Grande Île ont dû quitter leurs villages pour se réfugier en ville. C’est le cas de Gabo, tireur de cyclopousse dans la ville de Tuléar, située dans le Sud-Ouest de la Grande Ile à la recherche de travail.
Originaire d’Androy, l’une des régions sévèrement touchées par la famine, Gabo dit avoir vendu chèvres et volailles pour acheter de l’eau sans moindre chance d’en trouver et a décidé de quitter les lieux pour se réfugier dans la ville de Tuléar à environ 400 km de son village.
Gabo ou les autres habitants des zones menacées qui ont dû fuir racontent un grand calvaire sur leurs routes vers les villes notamment, le transport dans des conditions difficilement imaginables pour y parvenir. Des voyages, qui, selon son témoignage duraient jusqu’à 20h. Originaire d’une région sans ni structures de soins ni médecins, l’homme de 47 ans a assisté impuissant au décès des enfants dans les mains de leurs parents, une situation qui semble l’avoir traumatisé.
“C’était une histoire triste où il fallait prier. Nous avons prié tous les Dieux pour un miracle”, raconte-t-il. Au moins 4.000 tireurs de cyclopousses ont dû s’installer en ville où ils accumulent des petits emplois pour trouver de l’argent à envoyer aux familles restées aux villages.
Image de bannière: La rivière de Menarandra, qui traverse l’Anosy et l’Atsimo Andrefana, est pratiquement asséchée en hiver. Image courtoisie de Bel Avenir.
Note de l’éditeur 9/13/21: Cette histoire a été mise à jour pour inclure des informations supplémentaires sur la sécheresse affectant le Sud de Madagascar, ainsi qu’une interview de Gabo, un homme fuyant la famine. On a aussi ajouté des photos.