- La budgétisation sensible au climat (BSC) est mise en œuvre pour la première fois au Cameroun. Pour un départ, la BSC concerne le budget d’investissement public de neuf ministères pilotes. Les questions liées aux changements climatiques sont traitées sous trois angles à savoir : l’adaptation aux changements climatiques, l’atténuation des changements climatiques et la protection de la biodiversité.
- Les dépenses d’investissement favorables à la lutte contre les changements climatiques s’élèvent à 225,3 milliards de francs CFA (environ 354 millions USD), soit 12,27 % du budget total des neuf administrations pilotes, 3,11 % du budget général de l’Etat et 12,13 % du Budget d’Investissement public.
- On relève également dans la Loi des Finances 2025, des mesures relatives à la « fiscalité verte », telles que l’abattement de 50 % sur la valeur imposable des véhicules et motocycles à moteurs électriques importés à l’état neuf, pour contribuer à la lutte contre la pollution.
Cette année, le climat occupe une place essentielle au cœur des grandes orientations et priorités du gouvernement du Cameroun. La Loi des Finances 2025, qui détermine les recettes et les dépenses de l’Etat fait la part belle à la « Budgétisation Sensible au Climat (BSC).
La BSC permet « d’évaluer l’impact climatique des dépenses de l’État et les efforts budgétaires pour atteindre les objectifs nationaux et internationaux en matière de lutte contre les changements climatiques », lit-on dans « Budget citoyen 2025 », un document édité par le ministère camerounais des Finances, qui explique, dans un langage simple et facile à comprendre pour le public, l’essentiel des grandes lignes du budget de l’État 2025.
La budgétisation verte, qui sera mise en œuvre pour la première fois, intervient dans le cadre des réformes du gouvernement depuis plusieurs années visant la prise en compte du climat dans les politiques publiques en conformité à ses engagements internationaux.
Pour un départ, la BSC concerne le budget d’investissement public de neuf ministères pilotes. Il s’agit de ceux dédiés aux travaux publics, à l’habitat et au développement urbain, à l’eau et l’énergie, aux transports, à l’agriculture et au développement durable, à l’élevage, la pêche et les industries animales, à la santé, aux forêts et à la faune ; et enfin à l’environnement.
« Les questions liées aux changements climatiques sont traitées sous trois angles à savoir : l’adaptation aux changements climatiques, l’atténuation des changements climatiques et la protection de la biodiversité. Dans le futur, les travaux relatifs à la BSC vont se poursuivre et intégrer les dépenses de fonctionnement tout en élargissant le nombre des administrations pilotes pour couvrir l’ensemble des dépenses publiques », précise le document.

Adaptation et résilience face au changement climatique
Au plan des dépenses, les investissements favorables à la lutte contre les changements climatiques s’élèvent à 225,3 milliards de francs CFA (environ 354 millions USD), soit 12,27 % du budget total des neuf administrations pilotes. Elles représentent également 3,11 % du budget général de l’Etat et 12,13 % du Budget d’Investissement Public.
« Dans le contexte actuel, il est impossible de faire abstraction des conséquences des changements climatiques. En effet, aucun secteur n’est en reste face à l’ampleur de ces conséquences. Au niveau du Cameroun, nous avons plusieurs fois déjà vécu l’effet de ces bouleversements climatiques, à l’instar des récentes inondations dans l’Extrême-Nord du pays, faisant plusieurs morts et des pertes inestimables en biens de toute nature. Penser la budgétisation sensible au climat, c’est offrir l’opportunité au pays de s’adapter, d’être résiliant face à l’effet des changements climatiques », explique Dr Frédéric Mbida, médecin de la conservation et Coordonnateur général de l’ONG Health and Conservation, basé à Yaoundé.
« Pour se situer, la budgétisation sensible au climat est une approche stratégique qui intègre les considérations liées au climat dans les priorités budgétaires de l’État. De ce fait, la problématique des changements climatiques n’est plus perçue comme un problème isolé et indépendant, mais plutôt comme faisant partie de chaque aspect du développement et des objectifs politiques », indique-t-il.
« Cette vision holistique offre plus d’options pour mener un combat préventif contre les conséquences des changements climatiques. Au Cameroun, pays très riche en biodiversité, avec une population qui vit majoritairement des bénéfices écosystémiques, il est crucial de considérer la lutte, ou plutôt l’adaptation aux changements climatiques comme élément central d’une stabilité économique et sociale, mais aussi comme un moteur de développement », a précisé Dr Mbida, à Mongabay.
L’agriculture fait partie des principaux secteurs touchés par les changements climatiques au Cameroun. « Nous vivons le changement climatique au quotidien depuis 3 à 4 ans. Parfois les saisons sèches sont plus longues qu’à l’accoutumée. Les saisons de pluie parfois se prolongent ou se raccourcissent. Tout cela a un impact sur l’agriculture et l’élevage. Tant qu’on ne peut pas bien produire la matière végétale, les animaux et les hommes ne peuvent pas bien s’alimenter », dit Mboble Dob, président de la Plateforme des organisations des producteurs agropastoraux de la région de l’Est du Cameroun.
« Les plantes prennent un coup sérieux dans leur milieu agroécologique. Les effets sont néfastes. Dans la filière maïs, 60 à 80 % de producteurs ont raté la dernière campagne (2024, Ndlr). Les pluies sont arrivées trop tard pour repartir plus tôt. La période de semis n’a pas été respectée et la pluie n’a pas pu couvrir une période capable de nourrir la plante. Le maïs va être une denrée rare et cela aura un effet sur l’éleveur de poulets, de chèvres, de porcs…et ceux qui sont nourris avec la provende. Pour les consommateurs de maïs, il n’y en aura presque pas, ou bien cela va coûter très cher », ajoute-il.
Mboble Dob fonde ses espoirs sur la BSC. « Mes attentes sont d’abord d’ordre informationnel. Il faudrait que les services météorologiques nous donnent des informations exactes, pouvant nous permettre de cultiver au moment où il faut. Ces informations sont utiles pour le monde agropastoral. De même, si dans le cadre de la budgétisation, l’Etat peut permettre d’irriguer certaines parcelles. L’irrigation peut permettre de régler un certain nombre de choses. L’État fait déjà des choses pour ce qui est des engrais, en matière de subventions. C’est déjà bon, mais il faudrait que cela soit plus important », dit-il.

Dans la région de l’Est du Cameroun, le mini-comice agropastoral, organisé traditionnellement au mois de décembre chaque année, est un rendez-vous qui permet à la fois d’apprécier le savoir-faire des producteurs locaux, mais également de prendre le pouls des activités de productions agropastorales et halieutiques.
L’édition du 19 décembre 2024, a été une occasion saisie par le délégué régional du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, Salomon Endom Assengue, pour évoquer les perturbations climatiques qui ont bouleversé la campagne agricole 2024 à l’Est du pays.
Dans les détails près, Endom Assengue énumère une diminution de la pluviométrie qui a influé négativement sur la production des cultures saisonnières telles que le maïs (18700 tonnes produites contre 50 000 attendues), le riz (63 tonnes produites contre 80 tonnes attendues), etc.
« Le changement climatique est une réalité mondiale. Dans la région de l’Est, l’année 2024 est assez révélatrice de ce phénomène. A titre d’illustration, la région a connu une diminution de la pluviométrie à savoir 28 % de hauteur de pluie, de 16 % du nombre de jours et une mauvaise répartition de celles-ci dans l’année. Nous pouvons aussi signaler une augmentation de la température moyenne. Dans un contexte où l’agriculture est dépendante à 95 % de la pluviométrie, il parait évident que ce changement climatique a des conséquences négatives sur la productivité et la production agricole. Les cultures saisonnières (maïs, arachide, soja …) et maraichères (tomate, pastèque, gombo etc.) sont les plus affectées », explique Endom Assengue.
« Les actions à mener pour atténuer l’impact négatif du dérèglement climatique, sont de deux ordres : les activités d’adaptation et celles de mitigation. Parlant des activités d’adaptation, nous pouvons citer la vulgarisation des variétés résilientes à la sécheresse, le changement des pratiques agricoles, l’utilisation des engrais qui vont booster le développement de la plante, de manière à ce qu’elles se développent rapidement, la mise en place des microsystèmes d’irrigation pour apporter de l’eau à la plante quand cela est nécessaire », dit-il.
« Quant aux activités de mitigation, elles ont pour objectif de limiter la contribution de l’agriculture au réchauffement de la terre, véritable moteur du dérèglement climatique. Il est question de passer d’une agriculture itinérante sur brulis très courante dans la région de l’Est vers une agriculture pratiquée sur les mêmes espaces chaque année. En effet, l’agriculture itinérante entraine la déforestation et le brulis qui produit les gaz à effets de serres », précise Endom Assengue.

Accroître l’attention aux vulnérabilités liées au changement climatique
Dans ce contexte, la prise en compte du climat dans les préoccupations budgétaires est saluée. « La budgétisation sensible au climat, au-delà d’une stratégie, est un devoir régalien de responsabilité environnementale et sociale. Il convient de féliciter cette intégration dans les politiques publiques du Cameroun avec des recommandations internationales en termes de lutte contre les changements climatiques (…). Toutefois, les objectifs ne peuvent être atteints que si le suivi et l’évaluation sont assidus et menés rigoureusement », a dit Mbida.
« A la suite de ces initiatives, l’on s’attend à une plus grande attention portée sur les vulnérabilités liées aux changements climatiques, un appui aux stratégies d’adaptation et de résilience des populations et de l’économie, tant on sait qu’une politique publique sensible au climat est un atout pour s’assurer un développement socio-économique durable. L’inclusion est tout aussi importante. Le soutien aux projets de préservation de l’environnement à l’échelle sous-nationale, avec une approche inclusive privilégiant l’engagement des communautés qui garantirait le succès de ces politiques », a-t-il ajouté.
Mbida estime qu’il faut également « s’appuyer sur les solutions fondées sur la nature en mettant en avant la restauration des écosystèmes dégradés, la conservation et la gestion des zones humides, des littoraux, la préservation des forêts et des milieux naturels, qui atténuerait considérablement les effets des changements climatiques ».
Outre la BSC, la loi des Finances 2025 de l’État camerounais met en place des mesures visant la mise en oeuvre de la fiscalité verte. Cette mesure prévoit l’abattement de 50 % sur la valeur imposable des véhicules et motocycles à moteurs électriques importés à l’état neuf, pour contribuer à la lutte contre la pollution.
Pour Lucien Feuzeu, ingénieur en énergies renouvelables et promoteur d’une start-up spécialisée dans la fabrication des motocycles électriques, cette mesure va contribuer à la réduction de la pollution des gaz à effets de serre, la diminution de la dépendance aux énergies fossiles, l’amélioration de l’image du Cameroun en matière d’environnement, l’accélération de la transition vers des modes de transport plus propres et la création d’emplois.
« Cela encouragerait aussi des pratiques agricoles plus durables et respectueuses de l’environnement, et on pourrait plus facilement tendre vers un idéal économique et social qui intégrerait l’environnement comme élément central. Il en est de même de la biodiversité, dont la perte serait significativement réduite », conclut Dr Mbida.
Image de bannière : Un plant de Gnetum (okok) dans le village de Minwoho, Lekié, au Cameroon via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
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