- La vie sur Terre comme la civilisation humaine sont soutenues par des systèmes biogéochimiques vitaux, qui sont en équilibre délicat. Toutefois, notre espèce, principalement en raison de la croissance rapide de sa population et de sa consommation explosive, déstabilise ces processus terrestres, mettant en danger la stabilité de « l’espace de fonctionnement sûr pour l’humanité ».
- Les scientifiques mentionnent neuf limites planétaires au-delà desquelles nous ne pouvons pas pousser les systèmes terrestres sans mettre nos sociétés en danger : le changement climatique, la perte de biodiversité, l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la pollution atmosphérique par les aérosols, l’utilisation d’eau douce, les flux biogéochimiques d’azote et de phosphore, le changement d’utilisation des sols, et le rejet de nouveaux produits chimiques.
- L’humanité vit déjà en dehors de l’espace de fonctionnement sûr pour au moins quatre des neuf limites : le changement climatique, la biodiversité, le changement d’utilisation des sols, et les flux biogéochimiques (déséquilibre de l’azote et du phosphore). Le meilleur moyen d’empêcher le dépassement, selon les chercheurs, est de réorganiser nos systèmes alimentaires et énergétiques.
- En 2021, trois sommets offrent des chances d’éviter le dépassement des limites planétaires : la réunion de la Convention sur la diversité biologique à Kunming en Chine ; le sommet sur le climat de l’ONU (COP26) à Glasgow au Royaume-Uni ; et le Sommet sur les systèmes alimentaires à Rome. Des accords avec des objectifs mesurables, réalisables, vérifiables, opportuns et contraignants sont essentiels, selon les militants.
Des sociétés humaines avancées sont apparues pendant une période sans précédent de stabilité sur Terre. Pendant les 12 000 ans avant la Révolution industrielle, la température de surface de notre planète a varié de moins de 1 °Celsius (1,8 °Fahrenheit) au-dessus ou en dessous de la moyenne pendant toute cette période. De ce fait, la vie (humaine ou sauvage) a prospéré.
Mais sur les deux derniers siècles, l’humanité a considérablement augmenté les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, nous poussant en dehors de la zone climatique « sûre » ; en dehors des conditions pour lesquelles la civilisation a été conçue.
Malheureusement pour nous, le changement climatique ne représente qu’une seule des neuf limites planétaires critiques, que les actions imprudentes de notre espèce risquent de déstabiliser et de dépasser dangereusement.
Un espace de fonctionnement sûr pour l’humanité
Au milieu des années 2000, Johan Rockström, le directeur et fondateur du Stockholm Resilience Centre en Suède, a rassemblé une équipe internationale et interdisciplinaire de scientifiques pour les unir dans la poursuite d’un seul objectif : définir les limites pour un « espace de fonctionnement sûr pour l’humanité » sur Terre. Ils se sont demandé : quelles sont les limites de fonctionnement sûres de notre planète, et quels changements pouvons-nous entraîner avant que nous ne déclenchions des dégâts environnementaux rapides et catastrophiques ?
En 2009, le centre a publié le cadre des limites planétaires, qui décrivait neuf processus essentiels, influencés par l’humanité, qui menacent la stabilité du système terrestre entier. Ces processus sont : le changement climatique, l’intégrité de la biosphère (fonctionnelle et génétique), l’acidification des océans, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la pollution atmosphérique par des aérosols, les flux biogéochimiques (azote et phosphore), l’utilisation de l’eau douce, les changements d’utilisation des sols, et le rejet de nouveaux produits chimiques (notamment les métaux lourds, les matériaux radioactifs, les plastiques, et autres).
Ensemble, la stabilité de ces neuf processus est essentielle pour maintenir l’atmosphère, les océans et les écosystèmes de la Terre dans l’équilibre délicat qui a permis aux civilisations humaines de prospérer. Toutefois, ce sont aussi les processus que les activités humaines ont le plus profondément touché.
Les chercheurs ont ensuite estimé une limite d’une ampleur que les activités humaines pouvaient exploiter et altérer pour chacun de ces processus avant que le système global ne dépasse un point critique, un seuil au-delà duquel nous risquons de dégrader la Terre jusqu’à un état qui n’a jamais existé au cours de l’entière existence de l’humanité, apportant des changements extrêmes qui pourraient faire s’écrouler la civilisation et mettre l’humanité en danger.
« Les systèmes, que ce soient les océans et les calottes glaciaires, le système climatique et les écosystèmes, peuvent avoir plusieurs états stables séparés par un point critique », a expliqué Rockström, maintenant directeur de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique. Si ces systèmes stables sont poussés trop loin, a-t-il dit, ils perdent leur résilience et ils peuvent passer brutalement et de façon irréversible à un nouvel état auto-renforcé, un état qui pourrait ne pas soutenir l’humanité.
Le rapport original des limites planétaires de 2009, et sa mise à jour en 2015 ont révélé un triste tableau. Ainsi les chercheurs ont constaté que l’humanité existe déjà en dehors de l’espace de fonctionnement sûr pour au moins quatre des neuf limites planétaires : le changement climatique, la biodiversité, le changement d’utilisation des sols, et les flux biogéochimiques (les cycles de l’azote et du phosphore de la Terre qui sont durement affectés par les agro-industries et l’industrie).
Toutefois, les spécialistes préviennent, ces limites sont des estimations : ce que nous ne savons pas, c’est combien de temps nous pouvons continuer à pousser ces limites planétaires clés avant que les pressions combinées entraînent des changements et des dommages irréversibles. Pensez à l’humanité avançant les yeux bandés vers neuf falaises, et vous prenez conscience de la gravité et de l’urgence de notre situation.
L’aube de l’Anthropocène
La dynamique de grands systèmes biogéochimiques complexes et interconnectés comme ceux qui fonctionnent sur la planète Terre peuvent être envisagés en termes de voies ou de trajectoires, avançant entre différents états stables. La trajectoire de la Terre peut être modifiée par des points critiques, qui nous font passer d’un état stable à un autre (un peu comme une voiture changeant de vitesse). Plusieurs processus de rétroaction complexes peuvent soit renforcer l’état stable actuel, soit l’affaiblir, et envoyer la planète dans une spirale vers un état complètement nouveau, comme une boule de bowling avec trop d’effet qui fonce vers la gouttière.
Le changement climatique, la limite la mieux connue des neuf limites sur lesquelles nous empiétons, offre un bon exemple du fonctionnement de ce processus d’équilibre.
Aujourd’hui, « Nous risquons de déclencher des éléments critiques du système de la Terre risquant de la faire basculer vers une “Terre-serre” (Hothouse Earth) à partir de laquelle il serait très difficile de retrouver le climat préindustriel », a expliqué Steven Lade, un chercheur du Stockholm Resilience Centre spécialisé dans la modélisation des systèmes socio-écologiques.
Toutefois, « avec une décarbonisation rapide, il serait possible d’atteindre une “Terre stabilisée” », a-t-il ajouté, en maintenant notre climat dans la fenêtre sûre de conditions auxquelles l’humanité s’est adaptée au cours des 12 000 dernières années.
La période de stabilité du climat terrestre pendant laquelle nos sociétés ont prospéré est appelée l’Holocène. Ayant commencé il y a quelque 12 000 ans, elle a marqué la fin de plus de 100 000 ans d’une alternance de périodes glaciaires et interglaciaires qui ont vu la température de la planète fluctuer d’une amplitude allant jusqu’à 6 °C (10,8 °F).
Les humains modernes ont existé pendant environ 200 000 ans, mais c’est « seulement dans les 10 000 dernières années que nous avons pu développer la civilisation comme nous la connaissons », a expliqué Rockström. « L’origine même de la civilisation moderne, à savoir la domestication des animaux et des plantes et l’établissement de l’agriculture, a eu lieu pendant l’Holocène.
Écoutez Claire Asher discuter des limites planétaires et des solutions aux défis dans le podcast de Mongabay, ici (en anglais) :
Pourtant ces mêmes caractéristiques de notre succès extraordinaire (l’agriculture, la sédentarité, la fabrication industrielle) modifient aujourd’hui fondamentalement de nombreux processus des systèmes terrestres responsables du maintien de conditions stables sur Terre.
En fait, nos transgressions des neuf limites planétaires ont été tellement importantes que les géologues pensent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l’histoire de la Terre. Le début de l’Anthropocène, une période influencée par les humains qui selon les scientifiques a commencé quelque part entre il y a 10 000 et 70 ans a été marqué par une augmentation rapide des émissions de gaz à effet de serre déclenchée par les humains, un changement d’utilisation des sols à grande échelle, une perte extrême de biodiversité, et une pollution et une consommation énormes, provoqués par un progrès technologique rapide et une population d’Homo sapiens en plein essor.
L’aube de l’Anthropocène, une nouvelle ère, doit servir d’avertissement, explique Rockström, que « nous commençons à atteindre le plafond de la capacité d’adaptation biophysique du système terrestre en entier ».
Sur une voie vers le dépassement en matière de climat et de biodiversité
Six ans après la dernière mise à jour (une autre est prévue cette année) du Stockholm Resilience Centre, Rockström a remarqué qu’il existe peu de preuves que nous avons changé de cap pour éviter les points critiques imminents. « En fait, nous sommes encore plus loin dans la transgression pour ce qui est du climat, de la biodiversité, de l’utilisation des sols et de l’azote et du phosphore. Nous n’avons donc pas renversé les tendances [2015]. »
Parmi les quatre limites que nous avons déjà dépassées selon les chercheurs, le changement climatique et l’intégrité de la biosphère sont considérés comme des limites planétaires « centrale », car l’une ou l’autre à elle seule pourrait changer le cours de la trajectoire de la Terre et mettre l’humanité en danger.
« Il y a suffisamment de données scientifiques aujourd’hui pour dire qu’à lui seul [le changement climatique d’origine humaine] peut faire dévier la planète de l’état de l’Holocène », a dit Rockström. Parallèlement, si nous continuons notre extinction de masse, en perdant de plus en plus d’espèces, du phytoplancton aux grands prédateurs, il arrivera un point où la planète [le système planétaire] entière s’effondrera. »
Il existe des preuves solides que nous sommes déjà au milieu d’une extinction de masse mondiale. Une évaluation de 2019 de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a estimé que 25 % des plantes et animaux évalués (totalisant 1 million d’espèces dans le monde) sont menacés d’extinction. Une étude distincte a trouvé que plus de 500 espèces de vertébrés sont au bord de l’extinction, chacune ayant moins d’un millier d’individus à l’état sauvage.
Surtout, les chercheurs disent que nous ignorons la quantité et la qualité de la perte de biodiversité qui peuvent être tolérées par les écosystèmes avant de déclencher des changements irréversibles.
« L’IPBES a clairement fait savoir que nous avons des taux d’extinction très élevés en ce moment et qu’ils augmentent de plus en plus », a dit Rebecca Shaw, scientifique en chef et directrice générale déléguée du WWF. Cependant, les données ne portant pas sur les extinctions, mais sur les déclins totaux de population permettent en fait de mieux évaluer la santé de la biosphère, a-t-elle dit, faisant remarquer que « Lorsque les espèces sont en voie d’extinction, il n’y a vraiment plus grand-chose à faire. »
« Nous devrions vraiment regarder les déclins de population [abondance] dans le monde, et imbriquer ça aux mesures d’intégrité des écosystèmes, et imbriquer ça avec [des mesures de] la façon dont les écosystèmes fonctionnent pour fournir des services aux humains », a expliqué Shaw.
Selon le Rapport Planète Vivante 2020 du WWF et de la Société zoologique de Londres (ZSL), les tailles de population de mammifères, d’oiseaux, d’amphibiens, de reptiles et de poissons ont baissé de 68 % en moyenne entre 1970 et 2016, un signal d’alarme fort.
Signes avant-coureurs
Les scientifiques détectent aujourd’hui les premiers voyants d’alerte clignotant sur le panneau de bord des systèmes terrestres, nous disant que l’humanité pousse déjà au-delà de l’espace de fonctionnement sûr de notre monde pour plusieurs limites planétaires et approche de points critiques.
« Nous avons tellement changé la planète qu’il est très probable qu’il y aura des répercussions importantes, et nous avons vu ces répercussions dans les cinq dernières années », a dit Shaw.
Un exemple : la fonte des calottes de glace du Groenland et de l’Antarctique occidental s’est accélérée depuis le début des années 1990, ce qui semble indiquer que ces colossales accumulations de glace ont peut-être atteint un nouvel état de recul soutenu et croissant, après de nombreux siècles de stabilité. À l’intérieur de ces désormais vulnérables calottes glaciaires est contenue suffisamment d’eau pour élever le niveau mondial des mers de plus de 65 mètres (213 pieds).
De même, la glace de l’océan Arctique se retire et les scientifiques prédisent que la région pourrait être en grande partie dépourvue de glace l’été dès 2035, sans aucune certitude concernant les changements extrêmes que cela pourrait entraîner.
D’autres signes avant-coureurs que nous approchons un point critique du changement climatique incluent les sécheresses, vagues de chaleur, tempêtes, et cyclones tropicaux de plus en plus fréquents et intenses.
« Le nombre de catastrophes naturelles liées au changement climatique augmente à un rythme alarmant, avec des répercussions économiques et sanitaires importantes, en particulier pour les plus vulnérables », a dit Ana María Loboguerrero Rodríguez, Responsable de la recherche sur les politiques mondiales pour le programme de recherche du CGIAR sur le Changement climatique, l’Agriculture et la Sécurité alimentaire (CCAFS).
Personne ne connaît la quantité de stress que la civilisation peut supporter avant qu’elle ne commence à s’effondrer.
Des boucles de rétroaction sur des boucles de rétroaction
Ces changements avant-coureurs sont des signes d’un basculement imminent des conditions stables de l’Holocène selon les scientifiques. Plus inquiétant : bon nombre de ces changements devraient créer des boucles de rétroaction positive qui accélèrent encore le changement.
Par exemple, la fonte continue de la calotte glaciaire du Groenland n’entraînera pas seulement une montée du niveau des mers, mais pourrait aussi altérer la température et la salinité de la surface des océans, déclenchant potentiellement une transition des systèmes de circulation des océans comme la circulation méridienne dans l’Atlantique, qui à son tour pourrait considérablement altérer le climat mondial, et même accélérer la perte de la calotte glaciaire de l’Antarctique oriental.
Toutefois, il est possible que ce ne soient pas que de mauvaises nouvelles : certaines boucles de rétroactions pourraient avoir un effet équilibrant sur le climat et sur les autres limites planétaires. « Laquelle de ces boucles de rétroactions gagne, et à quel moment, est une des grandes questions sur notre climat futur », a dit Lade.
Malgré tout, ces boucles de renforcement pourraient déclencher des cascades de changements plus compliquées. « Le système terrestre en entier est un système autorégulé complexe », a dit Rockström, « si vous en poussez une [limite planétaire] trop loin, elle peut tomber comme un domino et avoir un impact sur les autres. »
Par exemple, un changement d’utilisation des sols en raison de l’agriculture est la cause principale de déforestation dans le monde ; cela réduit la quantité d’eau relâchée dans l’air par les feuilles des plantes. Dans le bassin amazonien, cette transpiration est une source majeure de précipitations. Mais, il existe des signes forts que la déforestation rapide de l’Amazonie, combinée au changement climatique mondial, pourrait déclencher une sécheresse encore plus extrême, donnant lieu à un passage abrupt d’une forêt tropicale à une savane dégradée, avec des répercussions profondes pour la planète entière. Ce changement affectant tout le biome relâcherait une grande quantité de carbone ancien piégé, exacerbant le changement climatique, conduisant à plus de sécheresse et entraînant la mort de plus d’arbres, un cercle vicieux automultiplicateur.
« Il est de plus en plus à craindre qu’avec l’augmentation récente du taux de déforestation sous le gouvernement brésilien de [Jair] Bolsonaro, nous pourrions approcher un point critique pour la forêt amazonienne », a expliqué Will Steffen, professeur émérite à l’université nationale australienne de Canberra, qui faisait partie de l’équipe qui a développé le cadre original des limites planétaires. « Les trois [points critiques du système terrestre] les plus préoccupants selon moi sont la forêt amazonienne, la calotte glaciaire du Groenland, et le permafrost sibérien. »
L’exemple de la forêt amazonienne montre comment des perturbations de processus régionaux, tels que le cycle hydrique par les arbres, peuvent s’accumuler et nous pousser vers des points critiques à l’échelle de la planète.
Un autre exemple de point critique : les incendies de forêt dévastateurs touchant l’Australie et la Californie en 2019 et 2020. Ces feux résultent de multiples facteurs : l’intensification de la sécheresse due au changement climatique, la litière accumulée de feuilles, des configurations de vent inhabituelles, qui se développent progressivement. Alors, une petite intervention humaine, comme une étincelle provenant d’un transformateur électrique comme cela s’est produit en Californie, a été suffisante pour « transformer une forêt en maquis en l’espace d’une nuit à cause du changement climatique », altérant potentiellement la biodiversité, a dit Shaw. « Le changement climatique se manifeste vraiment dans ces rafales de catastrophes. »
Des interactions régionales entre des limites planétaires pourraient déjà accélérer notre trajectoire s’éloignant d’un espace de fonctionnement sûr pour la Terre. « À l’échelle de la planète, vous ne voyez pas [encore clairement] ce genre de choses ; mais à l’échelle régionale, c’est vraiment phénoménal à quel point [l’interaction entre] le changement climatique et la perte de biodiversité [par exemple] se manifeste », a fait remarquer Shaw. « Nous n’aurions jamais cru voir l’effondrement de la [biodiversité] comme nous le voyons à l’échelle régionale aussi tôt. »
À mesure que le changement régional et mondial s’intensifie, les scientifiques avertissent que c’est ce que nous ignorons sur la très grande complexité des interactions entre les processus du système terrestre (dont seule une fraction a été bien étudiée) qui les inquiète le plus.
« Il est vraiment frustrant de devoir admettre que nous ne comprenons pas encore complètement les interactions fondamentales entre les limites planétaires », a dit Rockström. Même si nous arrivons à ramener le système climatique à l’intérieur d’un espace de fonctionnement sûr, a-t-il ajouté, « nous pourrions à ce moment-là avoir déclenché tant de dépérissement des forêts, de fonte du permafrost et de fonte des glaces… que la planète aura déjà choisi un autre itinéraire », une autre trajectoire et un autre état d’équilibre qui ne sont pas propices à la civilisation humaine.
Des systèmes alimentaires essentiels pour conserver une Terre habitable
Si nous voulons détourner notre planète d’une nouvelle trajectoire dévastatrice, abandonner les combustibles fossiles pour atteindre une économie mondiale sans émissions de gaz à effet de serre est une priorité majeure. Mais, selon les spécialistes, il est encore plus urgent de changer nos systèmes alimentaires.
La production alimentaire représente près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre qui affectent le climat, elle est le plus grand moteur de perte de la biodiversité, la cause principale du changement d’utilisation des sols, une des plus grandes sources de pollution à l’azote et au phosphore, et elle génère une énorme demande d’eau douce. Étant donné que la production alimentaire génère de grosses émissions de carbone, elle contribue aussi à l’acidification des océans. Cela couvre six des neuf limites planétaires.
Ensemble, « une transformation des systèmes alimentaires et une transformation de l’énergie nous ramèneraient une bonne distance dans l’espace sûr », a dit Rockström.
« Rien de moins qu’une transformation systémique des systèmes alimentaires n’est nécessaire pour nourrir la population actuelle et future du monde de façon durable dans le contexte du changement climatique », a dit Loboguerrero du CGIAR. Procéder à ce changement radical ne réduirait pas seulement les émissions, mais améliorerait aussi la santé et la sécurité alimentaire, « offrant de multiples incitations pour des changements de comportement ».
Définir des priorités politiques ambitieuses
Les 12 prochains mois offrent d’excellentes occasions pour que la communauté mondiale se rassemble et s’accorde sur des priorités politiques pour mettre la Terre sur une trajectoire de stabilité à long terme.
Trois conférences internationales sont prévues en 2021 : la 15e conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (CBD) à Kunming en Chine, du 11 au 25 octobre ; la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP26) à Glasgow au Royaume-Uni, du 1er au 12 novembre ; et le Sommet sur les systèmes alimentaires des Nations unies à Rome du 19 au 21 juillet. Des accords et des objectifs mesurables, réalisables, vérifiables, opportuns et contraignants sont essentiels.
« C’est une année importante pour les résultats et les engagements pour les 10 prochaines années qui déterminera si nous restons ou non à l’intérieur des limites planétaires », a dit Shaw. Au WWF, a-t-elle ajouté, « nous cherchons à travailler avec d’autres intervenants à travers ces trois conférences pour obtenir des actions visant à rester dans la zone de fonctionnement sûre à la fois à l’échelle régionale et à l’échelle de la planète. »
Dans un article publié dans la revue Science en octobre dernier, Shaw a rejoint une équipe internationale de scientifiques appelant à ce que la CBD définisse des objectifs ambitieux pour la biodiversité et la durabilité, telle qu’aucune perte nette de biodiversité en 2030.
Ce qui rend les conférences de cette année plus importantes que jamais : le rappel des échecs des sommets passés, et une vision claire que le temps commence à manquer.
Une lueur d’espoir
Les spécialistes plaident pour une approche intégrée et transformatrice pour éviter les points critiques dangereux, en considérant le système terrestre comme un bien commun mondial partagé, avec les humains comme régisseurs. « La nature entrelacée de cette structure nécessite le développement d’une nouvelle approche de gouvernance aux échelles mondiale, régionale et locale », a dit Loboguerrero.
Une de ces structures est la Global Commons Alliance, qui rassemble plus de 50 ONG internationales, sociétés multinationales, et responsables politiques de villes afin de promouvoir l’adoption d’objectifs fondés sur des données scientifiques pour fonctionner à l’intérieur des limites planétaires. Mais ce partenariat doit se développer géométriquement si nous voulons agir efficacement.
Il s’agit d’un but mondial colossal. Mais, il y a une limite planétaire, la première que nous avons réalisé être sur le point de passer, qui offre un espoir : l’appauvrissement de la couche d’ozone. En 1987, les nations du monde ont reconnu l’urgence et la validité des données scientifiques, et ont adopté les exigences politiquement contraignantes du Protocole de Montréal. Nous nous sommes éloignés du bord, rétrécissant le trou de la couche d’ozone, qui pourrait maintenant être reconstituée d’ici à 2050.
Si les nations se rassemblent pour lutter contre le changement climatique, la perte de la biodiversité et la pollution, comme elles l’ont fait pour combattre la menace pesant sur la couche d’ozone, il y a une chance que nous puissions inverser les tendances actuelles et ramener la trajectoire de la Terre vers un état stable de l’Holocène. Cette chance s’amenuise, mais il s’agit d’un effort que nous devons absolument faire.
Les neuf limites planétaires : un examen plus approfondi
Le cadre des limites planétaires (mis à jour pour la dernière fois en 2015) définit neuf processus du système terrestre et définit des limites sûres pour les activités humaines. Il s’agit de :
Changement climatique : les concentrations croissantes de gaz à effet de serre dans l’atmosphère entraînent une hausse des températures globales. Nous avons passé la limite sûre de 350 parties par million de CO2 en 1988. En 2020, les niveaux étaient de 417 ppm.
Entités nouvelles : l’une des limites planétaires les moins bien définies, les entités nouvelles font référence aux produits chimiques, matériaux et autres nouvelles substances (telles que les plastiques) nocifs, ainsi qu’aux substances présentes à l’état naturel, telles que les métaux lourds et les matières radioactives relâchées par les activités humaines. Nous relâchons des dizaines de milliers de substances synthétiques dans l’environnement tous les jours, souvent sans connaître leurs effets. Ces risques sont illustrés par la dangerosité des CFC pour la couche d’ozone, ou du DDT pour la biodiversité.
Appauvrissement de l’ozone stratosphérique : l’appauvrissement de l’O3 de la stratosphère du fait de polluants chimiques a été découvert dans les années 1980 et a abouti au Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. La couche d’ozone montre aujourd’hui des signes de rétablissement.
Aérosols atmosphériques : la pollution atmosphérique par des aérosols est un fléau pour la santé humaine et peut aussi influencer les systèmes de circulation de l’air et des océans qui ont un effet sur le climat. Par exemple, une pollution par des aérosols au-dessus du sous-continent indien peut faire que le système de mousson passe brutalement à un état plus sec.
Acidification des océans : les niveaux de CO2 dans l’atmosphère augmentent l’acidité des océans du monde, ce qui pose un risque grave pour la biodiversité marine et en particulier les invertébrés dont les coquilles se dissolvent dans les eaux acides.
Flux biogéochimiques : nous avons profondément modifié les cycles naturels de l’azote et du phosphore de la planète en répandant ces nutriments essentiels en grandes quantités sur les terres agricoles, ce qui a abouti à un écoulement dans les écosystèmes voisins.
Utilisation de l’eau douce : l’agriculture, l’industrie et une population mondiale en croissance exercent une pression de plus en plus grande sur le cycle de l’eau douce, tandis que le changement climatique modifie les conditions météorologiques, ce qui provoque des sécheresses dans certaines régions et des inondations dans d’autres.
Changement d’utilisation des sols : les changements d’utilisation des sols, en particulier la conversion des forêts tropicales en terres agricoles, ont un effet majeur sur le climat en raison de l’impact des concentrations en dioxyde de carbone de l’atmosphère sur la biodiversité, l’eau douce et le pouvoir réfléchissant de la surface de la Terre.
Intégrité de la biosphère : l’intégrité fonctionnelle des écosystèmes est une limite planétaire centrale en raison des nombreux écoservices qu’ils fournissent, de la pollinisation à un air et une eau pure. Les scientifiques s’inquiètent des déclins rapides des populations de plantes et d’animaux, de la dégradation des écosystèmes et de la perte de diversité génétique qui pourraient perturber des services essentiels de la biosphère.
Image et explications fournies par J. Lokrantz/Azote basées sur Steffen et al. (2015) par le biais du Stockholm Resilience Centre.
Image de bannière : Surveillance de la fonte des calottes glaciaires : une expédition de recherche financée par le WWF pour surveiller la fonte de la calotte glaciaire du Groenland en 2009, menée par Marco Tedesco de la City University of New York. À l’intérieur de la calotte glaciaire du Groenland est contenue suffisamment d’eau pour élever le niveau mondial des mers de plus de 65 mètres (213 pieds). Image par James Balog/Extreme Ice Survey.
Citations:
Rockström, J., Steffen, W., Noone, K., Persson, Å., Chapin, F. S., Lambin, E. F., … Foley, J. A. (2009). A safe operating space for humanity. Nature, 461(7263), 472-475. doi:10.1038/461472a
Steffen, W., Richardson, K., Rockström, J., Cornell, S. E., Fetzer, I., Bennett, E. M., … Sörlin, S. (2015). Planetary boundaries: Guiding human development on a changing planet. Science, 347(6223), 1259855. doi:10.1126/science.1259855
Steffen, W., Rockström, J., Richardson, K., Lenton, T. M., Folke, C., Liverman, D., … Schellnhuber, H. J. (2018). Trajectories of the Earth System in the Anthropocene. Proceedings of the National Academy of Sciences, 115(33), 8252-8259. doi:10.1073/pnas.1810141115
Díaz, S., Zafra-Calvo, N., Purvis, A., Verburg, P. H., Obura, D., Leadley, P., … Zanne, A. E. (2020). Set ambitious goals for biodiversity and sustainability. Science, 370(6515), 411-413. doi:10.1126/science.abe1530
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Article original: https://news-mongabay-com.mongabay.com/2021/03/the-nine-boundaries-humanity-must-respect-to-keep-the-planet-habitable/