- La COP30 a lieu du 10 au 21 novembre 2025, à Belém, au Brésil, une énième rencontre dédiée à la recherche des solutions d’adaptation aux effets du changement climatique.
- Des milliers d’organisations de la société civile y prennent part, à titre consultatif, pour aider à trouver ces solutions.
- L’ONG GRAIN, engagée aux côtés des communautés dans la préservation des systèmes agricoles paysans, milite pour que les communautés soient elles-mêmes au cœur des solutions de lutte contre les effets du changement climatique.
La COP30 sur le climat se tient du 10 au 21 novembre 2025, à Belém, au Brésil, dix ans après l’adoption de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement de la planète. Ce rendez-vous mondial des acteurs engagés dans la lutte contre les effets du réchauffement climatique, va mettre un accent sur l’adaptation. En clair, il s’agit d’explorer, entre autres, l’ensemble des méthodes et solutions à mettre en œuvre pour une meilleure adaptation aux effets du changement climatique.
En Afrique, l’ONG GRAIN travaille avec les communautés paysannes et les soutient dans leur plaidoyer en faveur d’une justice climatique, face aux actions nocives des multinationales, qui menacent leur sécurité et leur souveraineté alimentaire.
Dans un entretien accordé à Mongabay, Ange-David Baïmey, Coordonnateur des programmes de cette ONG en Afrique, signale que GRAIN prend part au rendez-vous brésilien, en tant que fédératrice des communautés, pour échanger sur des méthodes d’adaptation au changement climatique. Ceci en vue de revendiquer une justice climatique, qu’il résume en la capacité desdites communautés à pouvoir contrôler leurs terres et à y produire ce qu’elles désirent, et non à continuer de subir l’hégémonie des multinationales faisant la promotion des monocultures.

Mongabay : Participez-vous aux négociations de la COP 30 ? Espérez-vous qu’elles aboutissent à des résultats concrets ?
Ange-David Baïmey : Nous ne participons pas à la COP en tant qu’espace de négociations des changements climatiques, parce qu’on pense que ce n’est pas là-bas que se trouve les solutions. Ce n’est pas là-bas qu’il faut de l’énergie. Par contre, nous sommes engagés sur la question des changements climatiques, et nous travaillons avec les communautés à la base, avec les mouvements sociaux, avec les organisations de la société civile, pour faire avancer leur agenda. Donc, nous sommes au Brésil, pas pour être dans la COP en tant qu’espace de négociations, mais pour être dans ce qu’on appelle le sommet des peuples, où on va rencontrer les gens du bassin du Congo, de l’Amazonie, du Sahel, qui y sont pour apporter les solutions locales pour lutter contre les effets du changement climatique.
Mongabay : Que signifie la justice climatique pour GRAIN ? Que signifie-t-elle pour les communautés avec lesquelles vous travaillez en Afrique de l’Ouest ?
Ange-David Baïmey : Quand on parle de justice climatique, pour nous à GRAIN, c’est de pouvoir prendre en compte les réalités des communautés à la base. C’est vrai que l’agenda de la justice climatique, les acteurs essayent de le faire avancer d’une certaine façon, mais pour nous, cela a des limites. Globalement, quand nous parlons de justice climatique, c’est de faire en sorte que les communautés qui subissent le plus ses effets puissent avoir des solutions à leurs problèmes. Je reviens sur le secteur de l’agriculture et de l’alimentation. Quand nous parlons de justice climatique, nous parlons de souveraineté alimentaire, qui est pour nous, ce droit des communautés à pouvoir consommer ce qu’elles souhaitent, et ne pas dépendre des importations et ce que cela induit. Par exemple, au Cameroun, on a la multinationale SOCFIN/Bolloré, qui ne permet pas aux communautés de cultiver le plantain, leur alimentation de base ; et qui se voient imposer un modèle « extractiviste » agroindustriel, à travers les plantations de palmiers à huile. Notre conception de la justice climatique est de dénoncer cet état de chose et d’œuvrer pour que les communautés puissent cultiver leur plantain, leur macabo, leur igname, pour se nourrir et nourrir leurs familles.
La question de la justice climatique est très essentielle. L’Afrique ne pollue pas assez comme on le sait (moins de 4 % des émissions de CO2), mais elle subit tellement de dommages liés, non seulement aux phénomènes météorologiques, mais à d’autres dommages structurels et économiques, où on voit les pays du Nord, qui viennent encore dans les pays africains avec des modèles de développement axés sur des cultures de rente. En résumé, la justice climatique, pour nous, c’est lutter pour la souveraineté alimentaire, lutter pour que les communautés puissent contrôler leurs terres, et produire les cultures qu’elles souhaitent.
Mongabay : Avez-vous participé à des négociations climatiques par le passé au nom des communautés que vous fédérez autour de votre organisation ? Ces discussions ont-elles été fructueuses ?
Ange-David Baïmey : Non, nous ne l’avons jamais été et nous n’acceptons même pas d’être mandatés par les communautés. Ce que nous faisons, c’est de leur permettre d’être elles-mêmes présentes, et de porter leur plaidoyer. Dans la collaboration que nous estimons utile et dans laquelle nous nous sentons également à l’aise, c’est que les communautés puissent elles-mêmes porter leurs revendications. En plus, les ONG ne font pas partie des négociations dans les rencontres des Nations unies. Elles peuvent être présentes, contribuer aux débats, mais ce sont les États, les ministres, les politiques qui sont en charge des négociations. Les ONG n’ont vraiment pas voix au chapitre. Elles sont là pour essayer d’influencer les discussions, encore qu’elles ne négocient rien. C’est pour cela qu’après une quinzaine d’années, GRAIN a trouvé qu’il n’était pas nécessaire de continuer à rester dans ce genre d’espace, où les États-Unis peuvent décider de sortir des négociations quand ils veulent, de rentrer quand ils veulent, où on réalise que ce ne sont pas les principes de la Convention des Nations unies qui sont respectés, mais plutôt les oppositions entre les pays. On se demande si ce ne sont pas plutôt les multinationales qui imposent une orientation dans les discussions.

Mongabay : De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest tentent d’améliorer l’accès à l’énergie pour leurs citoyens, certains d’entre eux investissant dans des projets liés au charbon et au gaz, invoquant leur « droit au développement ». Cet argument est-il valable ? Comment concilier ces besoins ?
Ange-David Baïmey : L’argument n’est pas totalement valide. Nos États africains vont aux négociations dans les COP et s’entendent sur un certain nombre de choses. La mise en place de l’Accord de Paris a changé beaucoup de choses dans les négociations des COP climat, parce qu’avant, on était dans un schéma, où les pays en développement n’avaient pas d’engagement à prendre, y compris la Chine. Mais après, la Chine a connu un développement fulgurant et est devenue un rival économique des États-Unis. À l’Accord de Paris en 2015, on a décidé d’intégrer un certain nombre de pays qui ne prenaient pas d’engagement comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire, etc., qui ne sont pas responsables des émissions de C02, mais qui se sont retrouvés au même niveau que la Chine, en prenant des engagements de réduire leurs émissions, alors qu’ils n’ont pas d’émissions à réduire, puisqu’ils n’en émettent presque pas. Leur problème se rapporte à leur adaptation aux problèmes des émissions créés par les autres États. Les pays africains savent très bien qu’ils ne peuvent pas tenir les engagements qu’ils prennent. Mais s’ils ne prennent pas d’engagements, ils ne vont pas bénéficier de la finance climatique. Du coup, les pays comme la Côte d’Ivoire prennent des engagements à la COP, mais le lendemain, ils s’engagent à construire une centrale à charbon ; la RDC qui veut forer du pétrole dans les parcs alors qu’elle a pris des engagements. C’est carrément en opposition.
Puisque les pays ont droit au développement, ils doivent discuter pour dire que s’ils doivent protéger la planète et se retrouver dans un schéma où ils n’auraient pas la capacité financière, et leur économie serait fragile, ils sont en droit de demander des compensations ou des aides. Nous parlons aussi de justice climatique dans le sens où, des pays au monde se sont développés avec la contribution commune, parce qu’ils ont émis des gaz à effet de serre, alors que les autres pays n’étaient pas dans le même schéma, et qu’aujourd’hui il y a des problèmes et qu’il faut trouver des solutions communes pour les régler. Par exemple, qu’on décide de commun accord que le Cameroun ne doit pas forer, mais au nom du bien commun qu’est la planète, on peut mettre en place des systèmes de compensations tels que le Fond vert climat, qui, malheureusement, ne fonctionne pas comme cela se doit, pour permettre à tous les pays d’en bénéficier. Certes, les pays africains n’ont pas à imiter le modèle de développement des pays occidentaux, mais l’Afrique et l’Europe doivent se mettre ensemble pour trouver les solutions. Les occidentaux doivent comprendre qu’il faut permettre que les fonds d’adaptation soient disponibles pour pouvoir faire un développement bas carbone, qui n’est pas émetteur.

Mongabay : Quel est le lien entre les négociations climatiques et les discussions sur les systèmes alimentaires, la sécurité et la souveraineté ?
Ange-David Baïmey : Les négociations climatiques sont tellement complexes. Ce n’est pas facile pour les ONG de se retrouver dans ce système des Nations unies, parce qu’il y a tellement de groupes de travail. Le constat est là : cela fait 30 ans qu’on négocie et on continue d’aller à la COP. On sait un peu comment les négociations se terminent. Puis, on va passer à la prochaine COP, et aucune solution n’est trouvée. Ces négociations ne permettent plus d’écouter les aspirations des peuples et c’est en cela que nous, GRAIN, nous irons à la COP des peuples, parce que les mouvements sociaux au Brésil ont pu avoir un espace pour discuter entre les organisations de la société civile et les communautés. C’est là-bas que nous allons discuter des solutions pour lutter contre le changement climatique. Nous n’allons pas parler des négociations en tant que telles, mais plutôt des solutions à faire avancer pour régler les questions de justice climatique, parler de la souveraineté alimentaire qui est vraiment fondamentale. Si le système alimentaire continue d’être contrôlé par les multinationales, cela ne va rien donner de bon. Ces entreprises sont dans la promotion d’un concept qu’elles appellent « solutions basées sur la nature », dans la promotion des concepts comme les « compensations carbone » ou « agriculture intelligente » …, ce sont des notions qui sont mises en avant par ces entreprises ayant plutôt des impacts négatifs sur le système alimentaire africain et mondial. Nous n’encourageons pas ce système. Ce que nous proposons, c’est l’agroécologie paysanne, la lutte pour la souveraineté alimentaire mondiale, qui passent par le contrôle des semences, des terres, de l’eau, par les communautés.
Mongabay : Comment les communautés avec lesquelles vous travaillez sont touchées par les changements climatiques ?
Ange-David Baïmey : Les communautés ne parviennent pas à avoir accès aux terres pour pouvoir cultiver. Aujourd’hui, dans le domaine de l’agriculture, le climat change et les saisons culturales ne sont plus les mêmes. Ce qui entraine un retard des pluies ou une abondance de pluies. Ce qui influe négativement sur les cultures et affecte la production. On a compris, par exemple, que la question de l’accès à l’eau, à la terre, aux semences, est très importante. Ce que nous appelons semences paysannes, et qui sont conservées par nos parents depuis des années, sont en train de disparaitre du fait des multinationales et des cabinets de recherches, qui rendent ces semences stériles au laboratoire, et obligent les populations à aller acheter des semences améliorées. On se rend compte que ces semences ne peuvent pas être plantées sur plusieurs saisons. À défaut, quand on les plante, il faut recourir aux engrais, aux pesticides, aux herbicides, etc. Il y a chez ces multinationales une volonté de contrôler les semences, ce qui aggrave les impacts négatifs du climat sur ces communautés, qui deviennent dépendantes de ces entreprises pour payer leurs semences, leurs engrais, leurs pesticides. Alors que les semences paysannes, ayant fait des millénaires, continuent d’être productives et appropriées. C’est vrai que le changement climatique, avec des moments plus chauds, influe sur la productivité, mais ce sont des semences ayant démontré leur capacité de résilience, et nous devons travailler pour maintenir cette capacité.
Mongabay : Que considérez-vous comme une victoire pour les pays africains à la COP 30 ?
Ange-David Baïmey : Ce que nous pourrions considérer comme une victoire au sortir de la COP, c’est que ce système, en tant que système alimentaire industriel, mette totalement un frein à la poussée de ce qu’ils appellent « marché carbone ». La cessation de ce mécanisme serait une victoire car c’est un mécanisme très violent, qui permet à des entreprises du secteur des énergies fossiles ou agroindustriel de prendre des terres dans d’autres pays, pour les vendre sur le « marché carbone ». Que ce mécanisme soit totalement démantelé, car il favorise l’accaparement des terres agricoles et menace la sécurité et la souveraineté alimentaire.
Image de bannière : Ange-David Baïmey, Coordonnateur des programmes à l’ONG GRAIN en Afrique. Image fournie par Ange-David Baïmey.
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