- La restauration des terres dans les régions du Centre-ouest et du Kadiogo au Burkina se conjugue au féminin.
- Les femmes desdites localités ont fait des arbres fertilitaires leurs alliés incontournables pour restaurer les terres agricoles. Grâce à ces fixateurs d’azote, elles redonnent vie aux terres dégradées.
- Ces femmes revitalisent une technique ancestrale qui permet d’améliorer la productivité et de renforcer la biodiversité à Cassou et à Bazoulé, au Centre-ouest du Burkina Faso.
Daba en mains, le dos voûté par les années et les travaux champêtres, « Maan », grand-mère en langue locale nuni du Centre-ouest du Burkina Faso, n’est pas encore prête à lever l’encre.
En cet après-midi du mois de juillet 2025, pendant que le soleil darde de ses rayons, cette septuagénaire, assistée de son petit-fils de 8 ans, sarcle dans la joie son champ non loin de Cassou, cette commune rurale de quelques 54000 âmes qui l’a vu naître.
De parents agriculteurs, « Maan » de son vrai nom Alima Tagnan aussi ne connaîtra que ce métier. À 70 ans, sa force physique commence à la lâcher, mais son cœur lui tient toujours.
Ce lopin de terre familial d’environ deux hectares, légué par son défunt mari, lui permet de nourrir sa petite famille (elle et les petits enfants à sa charge). Elle cultive divers produits depuis plusieurs années. À l’intérieur, un décor inhabituel attire les regards des plus curieux. De jeunes arbres alternés de grands plantés en lignes, avec des distances précises entre les arbres, s’épanouissent au milieu du niébé, du petit mil et d’autres cultures ayant entamé leur maturité.
C’est de la polyculture en agroforesterie avec les « arbres fertilitaires ». Une technique ancestrale que l’Association pour la promotion des arbres fertilitaires, de l’agroforesterie et la foresterie (APAF), a ressuscitée et modernisée en introduisant de nouvelles variétés d’arbres fixateurs d’azote. Le directeur exécutif adjoint d’APAF-Burkina Faso, Firmin Hien, parle d’une innovation en matière de restauration des terres dégradées dans le pays. « Nous n’avons rien inventé, parce que ce n’est rien de nouveau, planter les arbres dans les champs pour enrichir les sols ; les parents aussi le faisaient, mais que les gens avaient abandonné avec l’arrivée des engrais chimiques. Aujourd’hui, on a vu que ce n’était pas la solution, parce que cela a plus détruit. Nous, on a seulement ressuscité la pratique en expérimentant de nouvelles variétés d’arbres (les arbres fertilitaires), qui ont cette particularité d’être conviviaux avec toutes les plantes cultivées et qui apportent beaucoup de nutriments aux sols », a-t-il dit.
Ses propos sur l’apport de ces arbres ont été appuyés par Dr Cheick Zouré, Maître-Assistant en caractérisation, restauration et réhabilitation des écosystèmes dégradés à l’université Joseph-Ki-Zerbo (Burkina Faso). L’enseignant-chercheur fait savoir que les résultats des travaux ont montré que ces arbres permettent de capturer les éléments fertilisants du sol, notamment les nodules d’azote, le potassium et le phosphore (éléments dont les plantes ont besoin pour bien pousser).
Il précise qu’ils améliorent de ce fait 30 voire 60 % les sols en apportant des éléments fertilisants. Et, selon Dr Zouré, une fois que le sol est enrichi, cela est automatiquement visible sur les rendements des cultures.

Dans son champ, « Maan », a planté plusieurs variétés d’arbres fertilitaires, au nombre desquels, l’Albizias stipulata (chinensis), le Ferruginea, le chevalieri…, l’Albizia saman (Samanea saman), l’Acacia albida (Faidherbia albida).
Dans cette liste des variétés expérimentées, le Faidherbia albida, connu sous le nom indigène « Zaanga », est sacré pour les agroforestiers et constitue une perle du Sahel, selon Dr Zouré « C’est un arbre de contre-saison qui perd ses feuilles pendant la saison des pluies et donne de l’ombre à la saison sèche, ce qui fait qu’il a une importance capitale dans le maintien de la fertilité des sols des systèmes agroforestiers », a-t-il expliqué.
Pour la « Mamie », vu que les terres que son défunt mari lui a léguées n’étaient plus productives, il lui fallait donc trouver une alternative : les engrais minéraux. Alors que leur utilisation pour la fertilisation des sols conduirait à une lourde charge pour ces femmes qui n’ont pas assez de moyens. « À mon âge, où aurai-je de l’argent pour acheter de l’engrais si cher. Alors, lorsque j’ai découvert ce truc-là (les engrais minéraux), je n’ai pas hésité à l’accepter et aujourd’hui, mes terres de culture s’améliorent au fur et à mesure que les arbres que j’ai plantés grandissent. Et, quand tu regardes les plants des cultures, tu sais que ça a bien donné, sinon avant ils étaient mince avec des feuilles jaunâtres », dit-elle.
Toutefois, il faut souligner qu’avant que les plants ne soient mis en terre, les femmes ont reçu plusieurs sessions de formation sur les bonnes techniques de plantation et d’entretien d’arbres fertilitaires qui leur a permis d’atteindre les résultats enregistrés aujourd’hui, d’après Firmin Hien. « D’abord, des lignes parallèles sont tracées à l’intérieur du périmètre sur lesquelles sont plantés des arbres fertilitaires espacés de 10 mètres les uns des autres, et de 5 mètres des cultures hivernales ou maraîchères, et faire de telle sorte qu’ils occupent tout l’espace disponible », explique Hien.
« Par la suite, on a appris aux femmes à arroser régulièrement les arbres plantés au moins une fois tous les deux à trois jours, désherber périodiquement le champ, couper la tête des jeunes plants lorsqu’ils ont entre 1 et 1,50 m de haut, les tailler périodiquement pour les permettre de monter plus facilement en hauteur », précise-t-il.
Testée depuis quelques années dans les communes de Cassou et à Bazoulé (Centre), l’approche est appliquée par plusieurs dizaines de femmes. Selon les témoignages des bénéficiaires, la technique a permis de restaurer plusieurs dizaines d’hectares de terres auparavant dégradées par les mauvaises pratiques agricoles.
L’on remarque, par ailleurs, que la présence des arbres a recommencé à attirer les abeilles et autres espèces d’oiseaux qui avaient disparu de la zone, ce qui favorise l’équilibre de la biodiversité, ont reconnu les bénéficiaires.

Warama K. Nébié, la soixantaine bien sonnée, n’attendait qu’une telle opportunité. Pendant plusieurs saisons agricoles, cette veuve et ses enfants sont sortis bredouilles à la fin des campagnes de 2018, de 2019 et des années suivantes, et ne savaient pas à quel saint se vouer. Le regain de cette pratique ancestrale est accueilli avec espoir par cette famille. « Depuis qu’on a planté ces arbres dans nos champs, on a vu que ce n’est plus même chose. Nos cultures ont bonne mine et les rendements s’augmentent de saison en saison. Aujourd’hui, on peut manger à notre faim, et il arrive même qu’on vende le surplus pour contribuer à la scolarité de nos petits enfants », dit Nébié, le visage illuminé de joie et d’une certaine reconnaissance.
Comme elle, Adjara Diasso, présidente de l’association « Les marolaines » de Cassou dans laquelle « Maan » et Warama Nébié sont membres, s’en réjouit elle-aussi. La quarantaine, cette mère est une agricultrice passionnée qui avait du mal à s’en sortir du fait de l’infertilité des sols qu’elle exploitait. Elle dit avoir voulu à un moment tout abandonner pour se consacrer à une autre activité. C’est là qu’elle a entendu parler de cette pratique dans laquelle elle s’est donnée sans se demander si cela allait marcher ou pas. « Aujourd’hui, tout va pour le mieux, vous-mêmes voyez », dit-elle avec satisfaction.
Dans son champ de petit mil, mélangé de niébé, de sorgho et d’autres cultures, Nébié dit avoir l’embarras du choix entre les cultures à semer, parce que tout ce qu’elle a essayé a, pour le moment, fonctionné avec les arbres.
L’eau et la terre freinent l’engagement des femmes
Mais tout ce travail ne s’est pas fait sans défi pour ces femmes, qui disent être confrontées au déficit d’eau, tuant ainsi certaines petites plantes, alors que leur souhait, c’est de pouvoir planter plusieurs variétés d’arbres fertilitaires dans tous les champs, afin de restaurer toutes les parties dégradées. « Mais actuellement, avec la pluviométrie qui ne suffit plus, c’est compliqué, parce qu’après la saison, les arbres qui n’ont pas pu avoir de bonnes racines, meurent s’ils ne sont pas arrosés, alors que nous n’avons pas de forage à grand diamètre pour faire ce travail », a Diasso, toute inquiète.
La principale difficulté dans cette activité de plantation de ces arbres, c’est donc le problème de l’eau, selon les témoignages de ces « agricultrices ».
En effet, ces dernières années, les terres agricoles se sont plus dégradées au Burkina et les statistiques indiquent que la superficie moyenne annuelle des terres dégradées dans le pays s’élève à 469 090 hectares, soit 656 988,795 terrains de football.
Pourtant, sur les plus de 80 % de la population agricole enregistrée, plus de 50 % sont des femmes, dont l’alimentation familiale est pour la plupart laissée à leur charge dans les villages.
C’est d’ailleurs pourquoi, la chercheure et ingénieure des eaux et forêts, Dr Madjelia Somé/Dao, déclarait au cours d’une conférence publique que la lutte contre les changements climatiques ne peut se faire sans l’implication active des communautés, en particulier des femmes rurales qui vivent au quotidien ces effets néfastes.

Depuis que les femmes de Cassou ont adopté cette technique, le nombre d’arbres a systématiquement augmenté dans les champs aménagés, a témoigné Firmin Hien.
Cette technique d’agroforesterie avec les arbres fertilitaires n’est pas seulement faite pour les grandes cultures, mais également pour les petites, notamment dans la maraîchéculture à l’exemple de Bazoulé, dans la région du Kadiogo.
Edwige Ouédraogo, présidente de la Coopération des femmes de Bazoulé et ses consœurs bénéficiaires des arbres fertilitaires d’APAF, ont-elles aussi adopté la technique pour restaurer un « zipélé : terre dégradée en langue locale mooré » d’un hectare et demi ayant été abandonné depuis une dizaine d’années, selon le technicien agricole de Bazoulé, Ambroise Kaboré. « C’est grâce à APAF, sinon avant nous ne connaissons pas ces arbres. Si vous aviez quitté ce lieu, il y a plus de cinq ans et que vous revenez aujourd’hui, vous ne reconnaitrez plus le site et vous diriez que ces arbres ont plus de 10 ans, alors qu’ils auront leurs cinq ans en septembre 2025. Ces arbres ont grandi. Cela a été rendu possible grâce à l’arrosage », a dit Kaboré, tout en précisant que chaque arbre fertilitaire a sa spécificité et son apport particulier au sol.
Par exemple, dit-il, le « Gliricidia sepium » est riche en potassium, parce que ces racines sont comme de la potasse et lorsqu’une culture est ensemencée autour de lui, il grandit rapidement et l’arbre constitue aussi un brise-vent pendant la saison d’hivernage.
Sur ce sol dégradé que Ouédraogo et les autres femmes ont transformé avec divers arbres fertilitaires, elles cultivent plusieurs variétés de légumes (tomate, oignon, poivron, piment, aubergine, et autres) et des tangelos pendant la saison sèche.
Rencontrée le samedi 9 août 2025, très tôt le matin à Sambin (l’un des villages de Bazoulé), dans son champ de maïs et d’arachide, le cinquantenaire vante ces espèces d’arbres et reconnaît qu’ils sont bons pour le sol. « Parce que n’eut été ces arbres, je ne sais pas par quel moyen on pouvait encore exploiter ce sol. C’était un « zipélé : terre dégradée », qui a été transformé en jardin des femmes du village et ça nous occupe pendant la saison sèche. Sinon avant, quand les travaux champêtres s’achevaient, on se promenait et on n’avait pas de quoi s’occuper. Certaines parmi nous ramassaient le sable pour vendre, d’autres faisaient le commerce. Les moins chanceuses n’avaient aucune activité génératrice de revenus. Heureusement, aujourd’hui, on sait quoi faire, grâce au site et ça nous aide dans nos dépenses ».
Un avantage qu’elle souhaite que d’autres femmes rurales dans d’autres localités du pays en bénéficient, afin que la pauvreté change de visage. À l’image de celles de Cassou, ces ambassadrices de ces arbres « fertilitaires » de Bazoulé sont aussi confrontées à la question de l’eau pour les arrosages des jeunes plants, mais doublement. Car, en plus du problème de l’eau, Edwige Ouédraogo révèle un autre problème qui freine leur ambition de planter ces arbres fertilitaires en grande quantité et dans plusieurs espaces dégradés. « Comme nous sommes des femmes, nous n’avons pas de terre. Nous négocions avec les hommes pour qu’ils nous donnent un peu de leurs portions pour cultiver chaque année. Donc, ça ne nous appartient pas, on ne peut pas planter des arbres là-bas, parce que ce n’est pas notre propriété. Nous nous contentons pour le moment de notre jardin », dit-elle sans aucun détail.
Au-delà du pays des Hommes intègres, de nombreux États d’Afrique, notamment le Sénégal et le Togo, ont opté pour cette méthode bénéfique pour la santé des sols et de leur restauration avec l’appui de l’association APAF.
Image de bannière : « Maan » arrêtée sous son arbre Gliricidia sepium, l’un des arbres fertilitaires qu’elle a planté dans son champ et répondant aux questions d’Yvette Zongo. Image d’Yvette Zongo pour Mongabay.
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