- Six mois après la prise de contrôle des capitales provinciales de l’Est de la République démocratique du Congo par le groupe rebelle armé M23, des militants locaux et des images satellites recueillies par Mongabay, révèlent une augmentation de la perte du couvert forestier au sein du Parc national de Kahuzi-Biega.
- Les chercheurs attribuent ce phénomène à l’effondrement des efforts en matière de protection de l’environnement, à l’absence de surveillance du parc et à l’intensification de l’exploitation forestière et de la production de charbon de bois au sein du parc. Bien que le M23 et d’autres groupes armés ne soient pas directement impliqués dans la production du charbon de bois, ils en tirent profit en taxant son transport et son commerce.
- Les militants ayant dénoncé cette exploitation illégale ont été harcelés, attaqués, voire assassinés. Certains, comme Josué Aruna, ont été contraints de se cacher ou de s’exiler après avoir reçu des menaces de mort.
- Le 19 juillet, le gouvernement de la RDC et le M23 ont signé un accord de cessez-le-feu. Les défenseurs de l’environnement espèrent qu’il permettra de rétablir la sécurité dans la région et de mettre fin à la destruction de la forêt tropicale.
Le groupe rebelle armé M23 s’est emparé de Goma, l’une des plus grandes villes de l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), il y a six mois. Depuis cette attaque, des militants locaux et des images satellites compilées par Mongabay, ont permis d’identifier les zones affichant une diminution rapide du couvert forestier au sein du Parc national de Kahuzi-Biega, au sud-ouest de Goma. Selon les chercheurs, les pics de déforestation dans cette vaste étendue de forêt primaire, qui abrite des gorilles des plaines orientales (Gorilla beringei graueri), seraient dus à l’augmentation de la production illégale de charbon de bois, à l’effondrement des mesures de protection des forêts et aux conflits fonciers.
Après près d’une décennie d’absence relative dans la région, le groupe de rebelles soutenu par le Rwanda a réaffirmé sa présence dans la province du Nord-Kivu en RDC en novembre 2021. Les événements se sont intensifiés en janvier et février 2025, lorsque le M23 a lancé une offensive éclair et pris le contrôle de zones stratégiques dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, dont les capitales provinciales respectives, Goma et Bukavu. À ce jour, ces zones sont toujours sous le contrôle du M23.
Au-delà de ces grandes villes, le groupe armé contrôle également l’accès à des zones minières clés et à des zones protégées d’importance mondiale, telles que le Parc national des Virunga et le Parc national de Kahuzi-Biega, tous deux inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les chercheurs soulignent que le conflit a des répercussions visibles sur la biodiversité, exacerbant les défis déjà existants en matière de protection de l’environnement et accélérant la déforestation.
Les images satellites du programme spatial européen Copernicus montrent une forte diminution de la couverture forestière au sein du Parc national de Kahuzi-Biega, entre janvier et juillet 2025. Des zones qui étaient encore verdoyantes il y a six mois, offrant une forêt primaire luxuriante, présentent désormais des parcelles de terre nue. Mongabay a pu identifier une intensification de la déforestation dans plusieurs zones sensibles du parc, notamment à l’extrémité nord du secteur montagneux, où la perte du couvert forestier progresse depuis la lisière vers l’intérieur du parc. De nouveaux foyers de déforestation ont également été recensés dans le territoire de Kabare et aux abords du village de Muhonga, où la destruction forestière avait pourtant été maîtrisée en 2019.
Avant : Forêt au sein du Parc national de Kahuzi-Biega, près du village de Kasopo, dans le territoire de Kabare, le 11 janvier 2025. Après : Étendue de la perte de couvert forestier au 25 juin 2025. Source : Union européenne. Contient des données Copernicus Sentinel modifiées, 2025.
Avant : Forêt à la frontière ouest du secteur montagneux du Parc national de Kahuzi-Biega, le 17 mars 2025. Après : Étendue de la perte de couvert forestier au 27 juin 2025. Source : Union européenne. Contient des données Copernicus Sentinel modifiées, 2025.
« La frontière forestière à Kabare a été rouverte à l’exploitation depuis que le M23 en a pris le contrôle, car les efforts entrepris pour appliquer les mesures relatives à la protection de l’environnement ont été en grande partie suspendus dans cette région », déplorent le chercheur postdoctorant Fergus O’Leary Simpson et la chercheuse doctorante Lara Collart, tous deux exerçant à l’Institut de politique du développement (IOB) de l’université d’Anvers, en Belgique.
« Le charbon de bois et le bois produits dans cette zone permettent d’approvisionner essentiellement les habitants de Bukavu », ajoutent-ils.
Ils soulignent que cette situation alarmante n’a pourtant rien de surprenant, la région étant une « zone libre d’accès ».
Dans une publication parue dans le dernier numéro du Gorilla Journal, les deux chercheurs indiquent que le M23 a confisqué les armes des écogardes locaux dès son arrivée au siège du parc à Tshivanga. Selon eux, cela a empêché les écogardes de prévenir et de sanctionner l’exploitation illégale du charbon de bois au sein du parc.
« Une grande partie du secteur montagneux du parc reste fortement convoitée, le contrôle passant régulièrement des mains du M23 à celles des milices pro-Kinshasa [progouvernementales] », expliquent les chercheurs dans leur article. « Il est donc difficile d’attribuer la destruction d’une quelconque zone du parc à un acteur spécifique, y compris au M23. En outre, le fait que le parc soit moins connu que Virunga réduit d’autant l’intérêt du M23 à en assurer la protection ».
Les habitants produisent du charbon de bois à partir d’arbres fraîchement abattus, qu’ils carbonisent ensuite dans des fours artisanaux pendant environ une semaine. Chaque kilogramme de charbon de bois produit nécessite 4 à 10 kilogrammes de bois. L’offensive du M23 dans les provinces du Kivu a contraint des centaines de milliers d’habitants de la RDC à fuir leur foyer. En juillet 2025, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), a estimé que le Sud-Kivu accueillait à lui seul 1,5 million de personnes déplacées dans leur propre pays. Nombre d’entre elles dépendent du charbon de bois pour cuire leurs aliments et se nourrir.

Des chercheurs locaux ayant témoigné auprès de Mongabay sous couvert d’anonymat, pour des raisons de sécurité, expliquent que la production de charbon de bois s’inscrit également au sein d’un véritable réseau commercial. Selon eux, certains chefs autochtones Batwa, désormais souvent armés, imposent des taxes aux membres de la communauté Bantou en échange du droit de couper du bois dans les forêts du parc. Ils ajoutent que de nombreux Bantou entrent simplement dans le parc par leurs propres moyens. Le charbon de bois est ensuite vendu sur de petits marchés situés à la lisière du parc, comme à Katasomwa, Bugamanda et Buzunga. De là, il est acheminé vers des marchés plus importants à Kabamba et Katana, avant d’être chargé dans des camions pour être vendu à Bukavu, ou sur des bateaux aux ports d’Ihimbi et de Kasheke à destination des marchés de Goma.
O’Leary Simpson et Collart soulignent que la production n’est supervisée ni par le M23 ni par les groupes Wazalendo, terme swahili signifiant « patriotes » pour désigner les différents groupes opposés au M23. Ils précisent qu’à la place, ces groupes prélèvent des taxes à certains points clés, le long des routes commerciales partant du parc, sans prendre de mesures pour freiner l’exploitation illégale de la forêt.
Mongabay a contacté l’Alliance Fleuve Congo (AFC), une entité politique incluant le M23, pour tenter d’obtenir des informations au sujet de la déforestation dans le parc et des éventuelles initiatives déployées par le M23, pour lutter contre le phénomène. Cependant, à la date de la publication de l’article, aucune réponse n’avait été reçue.
Il reçoit des menaces de mort pour avoir parlé
En tirant la sonnette d’alarme, les défenseurs de l’environnement mettent leur vie en danger.
« Le Parc national de Kahuzi-Biega est constamment pillé », déclare Josué Aruna, membre de Stop Ecocide International et directeur général de la Congo Basin Conservation Society (CBCS). « Il y a certes l’exploitation du bois rouge [Pterocarpus tinctorius] et du charbon de bois, mais on y a aussi recensé un commerce illicite d’animaux sauvages, de chimpanzés notamment. Si rien n’est fait pour y mettre un terme, le parc pourrait disparaître».
Aruna s’est exprimé devant la communauté internationale, ce qui, selon lui, a mis sa vie en danger.
« Je ne suis plus en sécurité à Bukavu. Ils sont déjà venus trois fois à mon bureau pour tenter de me tuer ; ils ont essayé de me kidnapper, mais ils n’y sont pas arrivés. Mon téléphone a été piraté, mon équipe est constamment suivie… Mes sources ont confirmé qu’une prime avait été mise sur ma tête, alors je vis caché », explique Aruna.


Par téléphone, Aruna confie à Mongabay qu’il n’est pas retourné chez lui depuis plusieurs mois, et qu’il déménage régulièrement par crainte d’être localisé et assassiné. Il ajoute ne pas savoir exactement qui le poursuit, les individus qui le menacent ne s’étant pas identifiés à ce jour.
« C’est une période où l’on règle ses comptes rapidement, en utilisant des individus armés qui rôdent en ville. Ma voix, comme celle d’autres défenseurs de l’environnement, dérange. Alors forcément, ils veulent la faire taire », indique-t-il.
Depuis que Bukavu est tombée sous le contrôle du M23 en février 2025, l’OCHA signale que la criminalité s’est généralisée et rapporte « plusieurs cas de violations des droits humains impliquant des acteurs armés… notamment des agressions, des enlèvements, des mariages forcés et des viols de mineurs ».
Aruna n’est pas le seul défenseur de l’environnement et des droits humains contraint à fuir depuis l’attaque du M23. De nombreux autres militants se sont réfugiés dans les pays voisins. Pour ceux qui ont choisi de rester, la situation est extrêmement précaire.
Espoir Kitumaini Kakoy, directeur de l’organisation de défense de l’environnement UMOJA-AFRICA RDC, explique que de nombreuses personnes ont fui vers le Burundi, l’Ouganda ou Uvira, une ville du Sud-Kivu située à la frontière entre la RDC et le Burundi, où le gouvernement contrôle toujours la région. « Beaucoup de personnes ont été kidnappées, assassinées ou ont disparu. Par exemple, trois militants du mouvement Lucha ont été récemment assassinés ». Lucha (acronyme pour Lutte pour le changement) est un groupe de défense des droits humains.
Kakoy ajoute que « d’autres préfèrent désormais travailler discrètement. Car, si on vous identifie, c’est fini pour vous. Ils vous traquent. Nous recevons constamment des menaces ».

Kakoy est lui-même une personne déplacée à l’intérieur de son propre pays et vit caché. Il surveille les violences commises contre les défenseurs des droits humains et de l’environnement pour le Bureau conjoint des Nations unies pour les droits de l’homme (UNJHRO) en RDC, essentiellement dans le Nord-Kivu. Mais il souligne que la situation est tout aussi alarmante dans le Sud-Kivu.
« Il est difficile d’estimer combien de militants ont été tués depuis que le M23 a pris le contrôle de la région, mais nous continuons à suivre et à consigner toutes les violations, même si nous sommes nous-mêmes des personnes déplacées, en raison des menaces que nous recevons », déclare-t-il.
Le 19 juillet, le M23 et le gouvernement de la RDC ont signé un accord de cessez-le-feu au Qatar. Cet accord fait suite à un traité de paix signé à Washington, D.C., le mois précédent entre la RDC et le Rwanda, considéré comme le principal soutien du M23. Le nouvel accord prévoit des négociations en vue d’un accord de paix global. Les défenseurs de l’environnement espèrent que l’accord permettra de rétablir la sécurité et de mettre fin à la destruction des forêts.
Image de bannière : Jeune gorille de Grauer dans le Parc national de Kahuzi-Biega, en République démocratique du Congo. Image de Mike Davison via Flickr (CC BY-ND 2.0).
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 31 juillet, 2025.