- En janvier et février 2025, Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, et Bukavu, deuxième ville du pays, sont tombées aux mains du groupe armé rebelle M23 (Mouvement du 23 mars). Le groupe s'est également emparé de la ville de Minova.
- Les défenseurs des droits de l'homme et de l'environnement, qui faisaient partie des rares personnes à dénoncer les activités extractives illégales et à protéger les ressources naturelles dans cette région riche en minerais, se cachent aujourd'hui, car ils craignent pour leur vie, en raison de la nature de leur activité. Certains ont également vu leur salaire bloqué à la suite de la décision du gouvernement américain de suspendre l’aide de l'USAID.
- Selon les défenseurs de l'environnement, l'extension du conflit armé accentue l'exploitation illégale des ressources naturelles par plusieurs acteurs dans toute la région, ce qui contribue à la déforestation et à l'érosion de la biodiversité.
- Il s'avère également que le M23 gagne des sommes considérables grâce à la contrebande et au blanchiment de minerais tels que le tantale, en provenance de la RDC.
« Depuis la chute de Goma, je vis dans la peur. Je n’ose pas sortir de chez moi ». Tels sont les mots de Justin Shamutwa Masumbuko, coordinateur général de l’ONG de défense des droits des autochtones ADELIPO-Congo.
Depuis plusieurs mois, il se rend, avec son organisation, dans des camps de personnes déplacées internes dans et autour de la ville de Goma, dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Ils y sont allés pour venir en aide aux indigènes Batwa, qui, selon lui, continuent d’être victimes de discrimination et de ségrégation, alors qu’ils ont fui le conflit armé.
Mais aujourd’hui, parmi les personnes déplacées, on trouve des militants comme Shamutwa ainsi que des défenseurs de l’environnement. Elles sont les rares voix qui s’élèvent pour dénoncer les activités minières illégales. Mais à cause de leur activismes, ils se sentent en danger.
Depuis la résurgence du groupe armé M23 (Mouvement du 23 mars) en 2021, de nombreux habitants de la province orientale du Nord-Kivu ont été contraints de fuir les combats. Avec le temps, au moins neuf camps de déplacés ont vu le jour dans la ville de Goma, chef-lieu de la province, où plusieurs centaines de milliers de personnes vivent dans des conditions extrêmement précaires.
En janvier 2025, les combats se sont intensifiés, selon l’agence des Nations unies pour les réfugiés, forçant 400 000 personnes supplémentaires à fuir. Le 21 janvier, le M23, aidé par l’armée rwandaise (les Forces rwandaises de défense), s’est emparé de Minova (une ville d’importance majeure, située à 40 kilomètres de Goma). C’est à ce moment-là que de nombreux défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement, voyant le danger se rapprocher, se sont enfuis.
« Certains défenseurs des droits de l’homme ont réussi à quitter la ville plus tôt. Les rebelles avaient déjà pris possession de plusieurs villages, la route était bloquée et la ville était assiégée, je n’ai pas pu m’échapper », explique Shamutwa. « Dimanche, nous étions pratiquement coupés du monde».

Le lendemain, le 27 janvier, le M23 a annoncé que Goma, chef-lieu du Nord-Kivu, était tombée aux mains du groupe armé. Quelques semaines plus tard, le 16 février, Bukavu, deuxième ville du pays et capitale du Sud-Kivu, tombait également aux mains du groupe. Ces événements ont renforcé les craintes d’un conflit régional dans la région des Grands Lacs.
Les Nations Unies et les défenseurs des droits de l’homme ont largement fait état des crimes perpétrés par le M23. Shamutwa et d’autres militants craignent d’être pris pour cible, car ils se sont exprimés par le passé.
« Nous avons peur, parce que les rebelles ont promis de tuer tous les défenseurs des droits de l’homme qui dénoncent les abus qu’ils ont commis dans les villages qu’ils occupent », explique Shamutwa. « Quand ils ont tué des gens à Masisi, nous avons dénoncé . Il y a eu des violences sexuelles, ils ont instauré le travail forcé et les taxes… Lorsqu’ils se sont emparés de Goma, ceux qui pouvaient partir l’ont fait. Les autres se sont cachés, car ils nous connaissent ».
Les défenseurs de l’environnement connaissent le même sort. Beaucoup d’entre eux refusent de répondre à nos questions par peur de représailles. Certains, toutefois acceptent de témoigner auprès de Mongabay, à condition de rester anonyme.
« D’une part, la ville connaît actuellement une prolifération d’armes, et d’autre part, la présence de bandits de grand chemins qui se sont évadés de la prison. Cette situation a plongé Goma dans un état d’insécurité caractérisé par des assassinats, principalement de défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement, ainsi que de leaders communautaires », explique-t-il. « En moyenne, deux assassinats ou plus sont enregistrés chaque soir. Jusqu’à présent, il m’est difficile de déterminer l’origine des tueurs ».
Dans la nuit qui a suivi la prise de Goma, des prisonniers de la prison centrale de Munzenze se sont évadés et auraient violé au moins 165 prisonnières avant de les brûler vives. « Certains des évadés ont récupéré des armes abandonnées par les soldats lors de leur fuite. Nous avons peur pour nos vies, alors nous nous cachons tous », explique de manière anonyme le défenseur de l’environnement.
Un spécialiste de la conservation, qui a choisi de rester anonyme affirme que certains sont piégés à Goma et à Bukavu. Ils sont incapables de se mettre à l’abri avec leur famille et se retrouvent dans une situation de chaos toujours plus grand, marquée par des tensions ethniques grandissantes, des pillages sporadiques et des accusations de complicité avec les rebelles.
« Nous ne sommes pas uniquement des individus pris dans le chaos. Nous sommes aussi des défenseurs de la faune, des avocats de la paix et des alliés de la communauté. Chacun d’entre nous se sent responsable de sa famille et de son travail », expliquent-ils à Mongabay. « Je crains que quelque chose de terrible ne se produise. Une catastrophe majeure semble imminente et nous ne savons pas comment nous sortir de ce chaos ».

Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU, près de 3000 personnes auraient été tuées lors de l’offensive du M23 sur Goma. Le 5 février, la même organisation a rapporté l’assassinat de trois travailleurs humanitaires par des hommes armés non identifiés dans la province du Nord-Kivu. À Bukavu, des pillards ont emporté 7000 tonnes de denrées alimentaires humanitaires après la prise de la ville par le M23.
Afin d’en savoir plus, Mongabay a contacté la coalition politico-militaire Alliance Fleuve Congo, dont le groupe armé M23 est membre, mais ils n’ont pas souhaité donner suite à notre demande. Même chose auprès du ministère des Affaires étrangères du Rwanda. Notre requête est restée lettre morte.
Selon des analystes politiques belges, les objectifs du M23 sont multiples : sécuriser les Tutsis qui parlent le kinyarwanda ainsi que leurs terres, démanteler d’autres groupes armés tels que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qu’ils accusent d’être liées au génocide rwandais de 1994, mais aussi, de plus en plus, évincer le président de la RDC. Selon eux, ces objectifs coïncident avec les intérêts du gouvernement rwandais.
En janvier, le président rwandais Paul Kagame a d’ailleurs déclaré à la télévision nationale que les FDLR poursuivaient « leur idéologie génocidaire » en RDC avec le soutien du gouvernement congolais et sous le regard de la Mission de l’Organisation des Nations Unies, pour la stabilisation en RDC, la MONUSCO.
Certains experts du secteur extractif local, comme Jean-Pierre Okenda, directeur de l’ONG Sentinel Natural Resources basée en RDC, affirment que l’attaque du M23 et de l’armée rwandaise contre Goma et Bukavu est motivée par la volonté de prendre le contrôle des minerais essentiels du pays.
La peur de dénoncer la contrebande
Pour ce membre important de la société civile du Sud-Kivu, qui a souhaité garder l’anonymat pour des raisons de sécurité, le travail des défenseurs des droits de l’homme et de l’environnement pourrait entraver les activités du M23.
« La propagation du conflit armé dans la région favorise l’exploitation illégale des ressources naturelles. Des émissaires venus des pays voisins s’y rendent désormais pour exploiter ces ressources, ce qui entraîne l’érosion de la biodiversité dans des zones comme les Virunga », explique-t-il.
Selon ce membre de la société civile anonyme, sans la présence des militants et de leurs organisations locales, certaines zones risqueraient de disparaître en raison de l’absence de contrôle total de la situation par le gouvernement. « La présence de ces défenseurs de l’environnement permet de réduire la pression sur les ressources naturelles », indique-t-il à Mongabay.
Les provinces du Nord et du Sud-Kivu, situées dans la luxuriante forêt du bassin du Congo, sont des régions riches en minerais d’importance mondiale. On y trouve de l’or, de la cassitérite, mais aussi la plus grande réserve reconnue de coltan, un minerai utilisé dans la fabrication d’ordinateurs et de smartphones.
Selon le Mouvement mondial pour les forêts tropicales (WRM), la présence de nombreux groupes armés et l’inefficacité de l’armée congolaise empêchent souvent les mineurs artisanaux et les entreprises de respecter les réglementations minières relatives aux droits des communautés et aux normes environnementales. Selon le WRM, cela contribue à la déforestation dans la région.

En septembre 2024, les Nations Unies ont déclaré que le groupe armé M23 vendait du tantale pour une valeur d’environ 300 000 dollars par mois dans la zone de Rubaya. Le tantale est utilisé dans l’aérospatiale et dans les centrales nucléaires, et 15 % de la production mondiale provient de la RDC, mais ce pays ne possède pas de centrales nucléaires.
« Le blanchiment des ressources naturelles de la RDC qui sortent clandestinement du pays renforce les groupes armés, entretient l’exploitation des populations civiles, dont certaines sont réduites à l’esclavage, et compromet les efforts de rétablissement de la paix », déclare Bintou Keita, représentante spéciale des Nations unies pour la RDC et cheffe de la MONUSCO, dans un communiqué de presse.
Certains de ces minerais atterriraient potentiellement en Europe et aux États-Unis. En février 2024, l’Union européenne a signé un protocole d’accord sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières avec le Rwanda. Cet accord a pour objectif de renforcer la « production et l’utilisation durables et responsables de matières premières critiques et stratégiques » dans ce pays d’Afrique, l’UE cherchant à s’approvisionner en matières premières pour atteindre ses objectifs en matière d’énergie renouvelable. L’accord, qui prévoit un appui financier au Rwanda, a été signé alors que le soutien du pays au groupe armé M23 était déjà largement établi.
Alors que la Belgique, ancien colonisateur de la RDC et foyer d’une importante diaspora congolaise, demande la suspension de cet accord à la suite des récents événements, de son côté, le reste de l’Europe reste discret et se contente pour l’instant de condamner le soutien du Rwanda au M23. Il en va de même pour les États-Unis, où des filiales de l’entreprise américaine Apple sont poursuivies pour avoir supposément utilisé des « minerais de sang » extraits illégalement en RDC et blanchis dans les chaînes d’approvisionnement internationales. Le nouveau président Donald Trump a seulement qualifié la crise de « problème très grave ».

Manque de fonds et suspension de l’USAID
Selon certaines sources, la suspension récente de l’aide étrangère, en particulier de la part d’organisations telles que l’USAID, a laissé certains défenseurs de l’environnement « sans salaires ni ressources ». L’un d’entre eux explique que certains avaient reçu des subventions censées les aider à traverser cette période difficile, mais que même ces fonds ont été supprimés. « Nous n’avons plus rien, plus de soutien, plus aucun moyen d’aller de l’avant. La charge émotionnelle est immense. »
L’année dernière, l’USAID a consacré 365 millions de dollars à des programmes de conservation dans le monde entier. En RDC, le gouvernement américain est l’un des plus grands bailleurs de fonds des projets de conservation et a versé des centaines de millions de dollars, principalement par le biais du Programme régional pour l’environnement en Afrique centrale (CARPE) de l’USAID, depuis 1995. Cependant, en janvier, le président Donald Trump a suspendu l’aide étrangère, le temps de réévaluer son utilisation et ses priorités.
« Notre vie a été consacrée à aider nos communautés et à défendre l’environnement, mais nous nous retrouvons aujourd’hui impuissants, incapables d’offrir le même soutien à ceux que nous aimons. L’incertitude est accablante, » explique le spécialiste de la conservation à Mongabay. « Il est difficile d’exprimer la frustration et le désespoir que nous ressentons. Nous avons tout donné à cette cause, et maintenant, sans rien sur quoi compter, nous sommes dans un état de désespoir. Je ne peux que prier pour qu’un miracle se produise, même si je sais au fond de moi que ce n’est pas suffisant ».
Pendant que les groupes armés s’emparent de la ville de Bukavu, les bombardements ont cessé à Goma. Cependant, la peur persiste parmi les personnes que nous avons interrogées à Goma, même si un calme précaire s’est installé dans la ville et que les activités socio-économiques ont repris.
« Ils [le M23] nous observent et ont chargé leurs services de renseignement de nous surveiller. Ils ne disposent d’aucune prison pour vous arrêter. J’ai donc peur de finir par recevoir une balle dans la tête », déclare Guy Mukumo, qui milite pour les droits des populations indigènes Batwa de la région.
Et il n’est pas le seul à s’inquiéter. Selon Claude Kalinga, chargé de communication du Programme alimentaire mondial en RDC, le M23 a fermé de nombreux camps de déplacés dans et autour de Goma, et a ordonné aux habitants de retourner dans leurs villages d’origine.
« Ils ont forcé les personnes déplacées à quitter leurs camps sans accompagnement, sans aucune mesure de sécurité, ce qui est un geste inhumain. Ceux qui ont un téléphone ont commencé à nous appeler. Ils sont en difficulté et ne trouvent pas de nourriture », explique Mukumo.
Cependant, Shamutwa précise que le risque est d’autant plus important pour les populations indigènes.
« Ils sont discriminés, ils l’ont toujours été, même avant la guerre. Cette fois, c’est pire. Ce sont les “sans-voix”. Hier, notre officier de protection a été attaqué alors qu’il se rendait auprès des enfants dont il s’occupe habituellement. Il a été menacé et roué de coups ». « Nous avons peur de sortir. Du coup, personne ne s’occupe d’eux ».
Image de bannière : Des membres de Yuturi Warmi, originaires de la communauté de Serena en Amazonie équatorienne. Image : Archives Yuturi Warmi.
Les principaux facteurs alimentant le conflit dans l’Est de la RDC
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 18 février, 2025.