- Le lac Édouard, situé au cœur du Parc national des Virunga, fait face à une pêche illicite croissante depuis trois décennies, en raison des hostilités dans l'Est de la République démocratique du Congo.
- Les pêcheurs accusent les autorités et les groupes armés de favoriser la pêche illicite dans les baies et les frayères et d'autres zones de reproduction.
- À Vitshumbi, par exemple, les tilapias deviennent de plus en plus rares, un poisson tilapia coûte 6000 francs congolais soit 2 USD, depuis le début de l'année. Cette situation menace la sécurité alimentaire dans la région.
- Certains pêcheurs se convertissent dans d’autres activités, notamment l’agriculture autour le Parc national des Virunga, menaçant sa biodiversité.
En mai 2025, au port d’accostage de Vitshumbi, une enclave de pêche située à la côte sud-ouest du lac Édouard, à plus de 100 kilomètres au nord de la ville de Goma, en plein Parc national des Virunga, le soleil se lève sous un ciel clair. Les pêcheurs à bord des pirogues à pagaie se servent du vent pour propulser des pirogues à voile vers la rive. Dix autres pirogues motorisées glissent lentement vers le rivage.
Un armateur pêcheur s’empresse vers sa pirogue qui accoste. La pêche ne lui a pas souri aujourd’hui. Après le déchargement, il s’aperçoit que ses pêcheurs n’ont ramené que six tilapias. Pourtant, il a investi plus de 20 litres de carburant. « La pirogue est vide. Des pêcheurs n’ont rien apporté comme tilapias. Avec moins de dix poissons, je ne sais plus comment les ravitailler en carburant et nourrir ma famille », dit-il, visiblement déçu.
Le constat est amer chez le capitaine de cette pirogue. Il n’a réussi à attraper que deux tilapias, alors qu’il s’est endetté pour acheter ses filets. Le peu de poissons tirés des filets sont loin de compenser les charges de pêcheurs. « Je n’ai rien trouvé. Je ne sais pas comment je vais payer le commerçant qui m’a prêté ses filets et nourri ma famille avec deux tilapias », confie-t-il à Mongabay.
Les tilapias (Oreochromis niloticus), autrefois disponibles, se font aujourd’hui de plus en plus rares. Des pêcheurs dénoncent la pêche illicite, favorisée par des agents de services de la pêche, les éléments de la force navale, les rebelles du M23 et les Wazalendo, d’être à la base de cette baisse des tilapias. « La pêche des tilapias ne mobilise plus. Des poissons sont devenus des denrées rares. Avant, on pouvait capturer 1 000 tilapias par jour, mais aujourd’hui, on attrape difficilement dix poissons pour l’armateur et quatre pour un pêcheur. Ces pêcheurs illégaux sont favorisés par des groupes rebelles et les agents de l’État dans la zone qu’ils contrôlent. Des pêcheurs clandestins utilisent des filets inférieurs à 4,5 pouces », dit Lufukaribu Kombi, un pêcheur de tilapias depuis 30 ans.

Reconversion de pêcheurs
Selon une étude sur le potentiel halieutique du lac de Vakily menée dans les années 1980, la production du lac Edouard est estimée entre 14 000 et 15 000 tonnes par an. Mais elle a chuté à moins de 400 tonnes en 2022, d’après les données statistiques du service de pêche et d’élevage de Vitshumbi, l’une des plus importantes pêcheries de la République démocratique du Congo qui occupe 73 % sur le lac. À Vitshumbi comme dans les villages autour du lac, les pêcheurs se réorientent dans d’autres activités pour joindre les deux bouts, en raison de la baisse de la production des tilapias. Hangi Sikuzote, cumule les activités champêtres et la pêche à Lunyasenge, un village situé à la côte ouest du lac Edouard, dans le territoire de Lubero, à plus de 200 km de la ville de Goma. « Le lac est vide. Les tilapias disparaissent chaque année. Parfois, je suis au lac et l’autre fois aux champs, c’est ainsi que je peux m’en sortir », dit-il au téléphone à Mongabay.
Eric Misonia, ancien pêcheur, a opté pour le commerce de kasiksi (une bière locale à base de bananes) pour subvenir aux besoins de sa famille. « Je ne vais plus au lac. La pêche n’est plus ce qu’elle était », dit-il
Selon une une enquête sur les impacts socioéconomiques des ressources halieutiques dans le Parc national des Virunga menée par le Réseau africain des jeunes leaders pour la paix et développement durable et publiée en 2020, pendant que la population augmente dans les villages riverains du lac Edouard, le nombre de familles des pêcheurs diminue. « Actuellement, à Vitshumbi, il y a en moyenne 300 pirogues pratiquant la pêche pour une population estimée 27 400 habitants. Sachant qu’une pirogue compte sept pêcheurs et qu’un ménage se compose en moyenne de sept personnes, cela signifie que les 300 pirogues desservent 14700 personnes, soit 53,6 % de la population. En conséquence, 12 700 personnes, soit 46,3 % de la population ne pratique pas la pêche et pour survivre, ils se tournent vers l’agriculture », indique ce rapport.
Ces pêcheurs qui se convertissent en agriculteurs envahissent le Parc national des Virunga, selon une autre étude sur l’exploitation des ressources du lac Edouard et le développement durable, réalisée par des chercheurs de l’université Catholique du Graben de Butembo, au Nord-Kivu. « Toute la région côtière du lac, bien que partie intégrante du parc, subit des dégradations environnementales liées directement ou indirectement à l’exploitation des ressources halieutiques. La diminution progressive de la production du lac face à l’absence de toute autre ressource exploitable dans la région a entraîné l’envahissement du parc par la population en quête des champs cultivables, en bois de chauffe et surtout en poissons ».

La malnutrition à la hausse
Cette rareté des poissons entraîne la hausse des prix des produits halieutiques sur le marché. À Vitshumbi, par exemple, le prix d’un tilapia est passé de 1500 à 6000 francs congolais (de 0.5 USD environ à 2 USD). Esther Kavira, vendeuse des tilapias n’en revient pas. « Actuellement, nous achetons un poisson tilapia à 6 000 voire 7 000 CDF, soit 2 USD. Avant, il fallait trois bons tilapias pour 1 USD. Il faut être connu par plusieurs armateurs pour trouver ces quelques poissons. Dans nos ménages, cette recette n’existe presque plus. Nous achetons des Ndagala (petits poissons) venus d’autres agglomérations », dit-elle, avec une dizaine de tilapias dans une bassine posée sur la tête.
Un peu plus loin à Kyavinyonge, un village de pêcheurs sur la rive nord du lac Édouard, dans le territoire de Beni, à plus de 200 km au nord de la ville de Goma, la consommation du poisson relève désormais du luxe. Prisca Mwasi, une ménagère, peine à s’acheter même un tilapia. « Nous trouvons difficilement des poissons. Nous ne mangeons presque plus de tilapias. Ils sont devenus coûteux. Imaginez-vous si mon mari a trouvé un tilapia, comment allons-nous le distribuer ?», s’interroge-t-elle.
Selon Dr Jean-Michel Kanane, responsable du Centre de santé de Vitshumbi, les malnutritions aiguë et sévère sont répertoriées dans cette enclave de pêche. « Nous enregistrons des cas de malnutrition depuis l’accroissement de la pêche illicite. Nous appelons les pêcheurs à la conscience, le lac est l’unique source locale de revenu et en poissons riches en protéines. Les autorités doivent s’impliquer dans la régulation de la pêche ».
Image de bannière : Des alevins de tilapias (Oreochromis Niloticus) du lac Édouard dans une pirogue de pêcheurs à Vitshumbi. Image de Mongabay.
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