- À l’Est du Cameroun, les peuples autochtones Baka participent à la protection de leurs forêts, grâce à l’utilisation de l’application « Sapelli ».
- Ils ont été à la base de la conception de cet outil, dans le cadre d’un projet lancé dans six villages autour du Parc national de la Lobéké en 2021.
- Cette application permet aux Baka de cartographier les Produits forestiers non-ligneux (PFNL), de dénoncer les conflits homme-faune, de lutter contre le braconnage, entre autres.
- Selon un récent rapport co-rédigé par l’ONG World Wild Fund for nature (WWF) et le service de Conservation du parc, il n’y a pas eu d’abattage d’éléphants, de gorilles et de chimpanzés dans cette aire protégée entre 2022 et 2024, grâce à l’inclusion de la technologie dans les activités de gestion du parc.
SALAPOUMBÉ, Cameroun – Freddy Mbengue, un jeune agriculteur de 24 ans, vêtu d’un polo noir et d’une culotte jeans, balade sans cesse un regard inquisiteur au milieu des arbres. Ce membre de la communauté Baka du village Yenga-Tengué, situé au Sud-est du Cameroun, près du Parc national de la Lobéké, tente d’identifier des arbres fruitiers, ou des essences utilisées pour leurs vertus médicinales pour se soigner. Il est muni d’un smartphone de couleur noire et d’une machette, qui lui permet de déblayer une piste herbacée, qu’il n’a plus empruntée depuis le retour des pluies en avril dernier.
À l’intérieur de ce téléphone, se trouve une application dénommée « Sapelli », grâce à laquelle Mbengue identifie les ressources de la forêt, essentielles pour le bien-être de sa communauté. Il s’en est servi dans la matinée du samedi 7 juin 2025, pour cartographier un manguier sauvage dans une forêt non loin du village. La mangue sauvage, dont le noyau est également utilisé comme épice chez les Baka, fait partie des Produits forestiers non ligneux (PFNL), qu’il recense régulièrement dans son smartphone pendant ses randonnées pédestres en forêt.
« Lorsque je trouve des arbres fruitiers, du miel, des arbres que nous utilisons pour nos remèdes ou bien les traces de l’éléphant ou du gorille, et aussi les campements des braconniers dans la forêt, j’ouvre l’application, je clique sur l’image (icone), je filme et j’envoie au parc pour signaler ce que j’ai vu. Après, ils font une descente sur le terrain pour confirmer. Ça nous permet de surveiller nos forêts et de donner aussi les informations aux gens du parc », explique-t-il.

Les Baka, co-concepteurs de l’application Sapelli
Cette technologie contribue à améliorer l’accès des Baka à la forêt à travers la cartographie des ressources importantes pour leur bien-être (arbres fruitiers, miel, igname sauvage, sites de pêche et de chasse, arbres médicinaux). Elle permet aussi de signaler le braconnage des animaux sauvages, de documenter les cas de violence et d’abus dont ils sont victimes, et d’enregistrer les endroits où les animaux mangent et endommagent les cultures des villageois (conflit homme-faune).
L’application « Sapelli » a été introduite auprès des communautés Baka en 2021, dans le cadre d’un projet du groupe de recherche Extreme Citizen Science (ExCiteS) de l’University College of London, soutenu financièrement par l’European Research Council (ERC) et le World Wild Fund for nature (WWF). Elle est composée d’icônes matérialisant les situations de conflit homme-faune, de présence des ressources forestières, de violences, de braconnage, etc. auxquelles sont souvent confrontés les utilisateurs en forêt. Ces icônes (arbre fruitier, gorille, braconnier, éléphant dans un champ, etc.), essentiellement dessinées par les Baka, permettent d’inclure ceux qui ne savent ni lire, ni écrire, afin de briser les barrières de l’alphabétisation.
L’Anthropologue britannique Simon Hoyte, Spécialiste des Baka du Cameroun, a publié un article en 2021, dans le blog de ExCiteS, en lien avec ce peuple forestier et l’application « Sapelli ». Il expliquait : « J’ai constaté que si ces icônes sont conçues par chaque communauté elle-même, non seulement le logiciel a beaucoup plus de sens, mais les membres de la communauté ont un sentiment d’appropriation de la technologie. Ce processus de « co-conception » mené au niveau local, est un élément important de la tentative de décolonisation de la recherche ».

La technologie à la rescousse de la biodiversité
Depuis l’introduction de l’application Sapelli chez les Baka en 2021, au total 24 personnes ont déjà été formées à son utilisation dans six villages aux alentours du Parc national de la Lobéké. Les données collectées par ces personnes grâce à cet outil, sont envoyées au service de Conservation du parc, moyennant une rémunération symbolique de 50 francs CFA (0.08 USD) par donnée collectée.
Selon Delphin Djadja Dama, consultant et facilitateur communautaire à WWF Cameroon, « Cette application est devenue un élément du service de conservation dans les villages ». Il ajoute qu’« à travers la technologie Sapelli, les Baka contribuent à la gestion participative du parc. Le service de conservation ne pouvant pas être partout à la fois, il est nécessaire d’impliquer les communautés dans la gestion du parc ».
Les informations fournies par l’application Sapelli ont permis une meilleure élaboration de la politique de gestion et de protection de cette aire protégée qui couvre une superficie de 217 854 hectares (538 328 acres).
Djadja explique en outre que cette application a permis de cartographier les zones à fortes tensions entre les humains et les éléphants dans les villages environnant le parc, et que des actions concertées sont menées pour juguler ces conflits homme-faune. Elle a surtout contribué à la lutte contre le braconnage des grands mammifères du parc.

Un récent rapport co-rédigé par le WWF et le service de Conservation du parc consulté par Mongabay, indique qu’il n’y a pas eu d’abattage d’éléphants, de gorilles et de chimpanzés dans cette aire protégée entre 2022 et 2024, grâce en partie à l’inclusion de la technologie dans les activités de gestion du parc, notamment des outils tels que Sapelli, Smart ou EarthRanger. Mais également grâce à la multiplication des patrouilles pédestres, fluviales et motorisées à l’intérieur et à la périphérie du parc.
« Nous avons des drones que nous utilisons. Et lorsque nous déployons les équipes sur le terrain, nous utilisons le Smart [technologie intelligente connectée et souvent automatisée, qui aide à mieux protéger la biodiversité et à gérer les ressources naturelles en temps réel, Ndlr], qui permet aux équipes de communiquer avec le centre de commandement que nous avons mis place. On est en train d’implémenter aussi le EarthRanger, qui permet de voir l’évolution des équipes sur le terrain en temps réel », a dit Donatien Joseph Guy Biloa, Conservateur du parc dans une interview accordée à Mongabay.
Les Baka, représentés par l’association Sanguia Baka Buma’a Kpodé (ASBABUK), et le ministère des Forêts et de la faune (MINFOF), sont par ailleurs liés par un Memorandum of Understanding (MoU), signé en 2019, puis renouvelé en 2023, pour une durée de trois ans. Ce partenariat vise à faciliter l’accès de ces communautés autochtones dans les parcs nationaux de la Lobéké, de Boumba-Bek et de Nki, tous situés à l’Est du pays, pour la collecte des ressources forestières essentielles, la pratique de la chasse à base d’outils artisanaux (lances, pièges à fil, etc.), la pêche, etc. En retour, ils doivent dénoncer les actes de braconnage et contribuer à la protection de la biodiversité dans lesdits parcs.
Image de bannière : L’application « Sapelli » et ses différentes icônes entre les mains de Freddy Mbengue, un membre de la communauté Baka au Sud-est du Cameroun. Image de Yannick Kenné pour Mongabay.
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