- À Kpalimé et Atakpamé, les producteurs de tomates font face à une saison agricole perturbée par des pluies tardives et irrégulières, suivies de périodes de sécheresse prolongée.
- En mars 2025, l’Agence nationale de la météorologie avait tiré la sonnette d’alarme sur une saison des pluies tardive, avec des poches de sécheresse de cinq à dix jours, et un stress hydrique généralisé.
- Des agriculteurs comme Essi Agbewodo et Saïd Djobo témoignent des difficultés accrues dans la culture de la tomate.
- Face à la crise climatique, des initiatives telles que la culture sous serre à Davié ou l’agroécologie basée sur la diversification des sols est promue. Le gouvernement togolais a distribué des kits d’irrigation, réalisé des forages et lancé des concertations pour structurer la filière. Des initiatives saluées, mais jugées insuffisantes par les producteurs, faute d’un accès équitable à l’eau, aux données climatiques, et à un accompagnement technique durable.
Ce lundi 5 mai 2025, le soleil vient à peine de percer les nuages, Essi Agbewodo, la quarantaine, observe son champ d’un hectare avec inquiétude. Les feuilles sont pâles, certaines plantes gisent au sol, desséchées avant même de porter des fruits.
« D’habitude, on sent l’odeur des tomates mûres, on entend les abeilles. Là, il n’y a rien. Pas même une mouche », dit-elle. Elle a tenté de creuser des puits, mais trop profond, l’eau est difficile à puiser et le coût du forage, prohibitif.
À quelques kilomètres de son champ dans les encablures de Kpalimé, dans la préfecture de Kloto, une parcelle voisine est laissée à l’abandon. Son propriétaire est parti chercher du travail à Lomé. « Cette saison, les pluies ont été tardives, puis elles se sont arrêtées brutalement. Même les semences résistantes n’ont pas tenu », dit Kossi Tsoekem, ingénieur agronome et agroécologiste.
Le dérèglement climatique, autrefois abstrait, s’installe désormais dans le quotidien des maraîchers togolais. À Atakpamé, dans la région des Plateaux, le constat est similaire. Saïd Djobo, maraîcher et pépiniériste à Nima (2 km d’Atakpamé), témoigne : « La tomate aime la chaleur le jour, mais a besoin de fraîcheur la nuit. Ici, il fait chaud tout le temps ».
Paradoxalement, c’est durant la saison sèche que la tomate est la plus rentable, car les prix flambent. Mais les conditions de production y sont désormais intenables. « Pendant la saison des pluies, ça pousse mieux. Mais les prix chutent. Produire en saison sèche, c’est prendre le risque de tout perdre », dit Djobo.
L’Agence nationale de la météorologie (ANAMET) avait pourtant lancé l’alerte dès mars 2025 : un démarrage tardif des pluies, des poches de sécheresse de cinq à dix jours, un stress hydrique majeur en début et en fin de saison agricole. Des alertes qui prennent ici tout leur sens, au cœur de champs desséchés.
« Ces poches de sécheresse pourraient avoir des répercussions sur la croissance des plantes. Voilà pourquoi il est important que les agriculteurs soient vigilants, pour ne pas vivre les mêmes situations dramatiques que l’année dernière », a dit Dr Latifou Issaou, directeur général de l’agence.
« Cette année, il faut avouer qu’il y a moins de producteurs qui se sont engagés dans la production de la tomate pour cause de plusieurs facteurs dont le manque d’eau dans les barrages, la disponibilité des engrais, etc. », ajoute Djobo.

Entre aléas climatiques et fragilité structurelle
Les perturbations climatiques ne sont qu’un maillon d’une chaîne de problèmes qui affectent le secteur agricole. Une étude, publiée en 2021, dans la revue European Journal of Agriculture and Food, indiquait que 90 % de la production de tomates du sud du Togo, pourrissait pendant la petite saison à cause des pluies irrégulières.
« L’agriculture au Togo est principalement pluviale, ce qui rend les rendements des cultures extrêmement dépendants des précipitations saisonnières. Le changement climatique a perturbé la saisonnalité traditionnelle, avec des périodes prolongées de sécheresse et des précipitations irrégulières, affectant les cycles de croissance des cultures », explique Kossi Tsoekem, ingénieur agronome et agro écologiste à l’Union régionale des organisations de producteurs de céréales de la Maritime (UROPC-M).
À cela, s’ajoutent les ravageurs, le manque de systèmes de conservation, l’insuffisance d’accès à l’eau, aux crédits, et aux intrants agricoles. Des freins d’autant plus pesants que la majorité des petits producteurs, sont des femmes rurales peu outillées pour faire face à ces chocs répétés.
Tout comme Djobo et Agbewodo, beaucoup de maraîchers ont constaté une baisse de leur production en raison des effets du dérèglement climatique. Dans les régions de la Kara et des Savanes situées au Nord du pays, l’on relève des rendements agricoles bas, en-deçà de la moyenne, ainsi qu’une disparition du couvert forestier.
En 2023, l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), a estimé à « 3 800 milliards d’USD la valeur de la production végétale et animale qui a été perdue à la suite de catastrophes climatiques et d’autres désastres au cours des trente dernières années ; ce qui correspond à des pertes annuelles moyennes de 123 milliards, soit 5 % du Produit intérieur brut (PIB) agricole mondial annuel ».
L’organisation a précisé que « ces catastrophes surviennent aussi de plus en plus souvent : alors qu’on en dénombrait une centaine par an dans les années 1970, la moyenne annuelle est aujourd’hui de 400 ».

Des pistes de résilience
Face à cette crise, certaines initiatives tentent d’ouvrir des voies. À Davié (31 km de Lomé), une expérimentation menée par l’Institut togolais de recherche agronomique (ITRA), montre que la culture sous serre permet une nette amélioration des rendements. « Nous avons obtenu un rendement de 23 tonnes par hectare sous serre, contre 15 à l’extérieur », dit Kossi Kpemoua, ancien directeur scientifique de l’institution.
La serre permet de créer un microclimat contrôlé, limitant les effets des extrêmes. Mais son coût d’installation reste inaccessible pour la plupart des exploitants.
En dehors de la tomate, l’expérimentation a été effectuée sur des variétés améliorées de concombre avec un rendement cinq fois plus élevé qu’à l’extérieur, selon Kpemoua.
Une étude intergouvernementale publiée en février 2025, appelle à intégrer les pratiques agroécologiques comme alternatives viables.
Selon Dr Yasser Darou-nansam, expert en changement climatique et auteur principal de cette étude, il faut combiner plusieurs approches complémentaires allant de diversification des cultures, l’irrigation solaire, la conservation des sols aux semences résilientes et à la modélisation climatique.
Pour Dodji Adjata, enseignant-chercheur à l’École supérieure d’agronomie (ESA) de Lomé joint par téléphone, « la tomate a besoin d’une humidité régulière et d’un bon écart thermique entre le jour et la nuit. Ces conditions deviennent rares dans le sud, même durant la saison dite favorable ».
« Ce qui serait intéressant, c’est que des mesures soient prises pour l’installation de ces dispositifs dans les zones de production ou pour faciliter l’accès aux équipements des coopératives de producteurs ».
En attendant, le chercheur estime que l’accompagnement des producteurs dans la maîtrise des techniques d’irrigation et de stockage des récoltes, ainsi que la gestion des maladies restent des enjeux importants. « Il faudra également poursuivre les recherches sur les cultivars capables de résister aux variations climatiques surtout dans le Sud du Togo ».

Cultiver la résilience dans l’incertitude
Essi Agbewodo, Saïd Djobo et bien d’autres maraîchers dans la région des Plateaux refusent de baisser les bras face à un climat devenu instable et imprévisible. Si la sécheresse précoce a compromis une partie de leur récolte, elle n’a pas tari leur volonté de s’adapter.
Creuser des puits, utiliser des bâches pour retenir l’humidité, choisir des semences précoces ou résistantes à la chaleur, sont autant de solutions qui émergent dans les champs.
« Même si nous n’avons pas les moyens pour des serres ou un forage, on essaie de couvrir les jeunes plants avec des feuilles de palmiers pour limiter l’évaporation », explique Agbewodo.
Certains producteurs explorent aussi la rotation culturale et la diversification, en introduisant des légumes moins sensibles à la chaleur ou plus tolérants à la sécheresse. À Atakpamé, Djobo teste la culture en planches surélevées, qui permet une meilleure gestion de l’eau lors des rares pluies.
« À l’allure où vont les choses, je pense arrêter la production de tomates pour me spécialiser dans des cultures plus résilientes, qui sont fortement demandées sur le marché et offrent une meilleure rentabilité. Je prévois de commencer le repiquage des plants de piment à partir de la mi-juin. S’il pleut pendant cette période, cela permettra d’endurcir les jeunes plants et de les habituer à mieux résister au manque d’eau », dit Djobo.
L’agroécologie, bien qu’encore marginale, commence à s’imposer comme une alternative crédible. Inspirés par les formations offertes par certaines ONG ou par la Coordination togolaise des organisations paysannes (CTOP), des producteurs s’essaient à l’usage de compost, de paillis organiques et de techniques d’irrigation goutte-à-goutte artisanale. « Le climat a changé, nous aussi on doit changer », ajoute le maraîcher.
Mais beaucoup s’accordent à dire que leur résilience individuelle ne suffira pas. Sans un accès aux crédits agricoles, une formation, un accès à l’information climatique en temps réel, leurs efforts risquent de s’essouffler.
Image de bannière : Couverture des jeunes plants de tomates avec des feuilles de palmiers à Kpalimé pour limiter l’évaporation. Image de Hector Sann’do Nammangue pour Mongabay.
Togo : Un jeune agroforestier redonne vie aux terres agricoles
FEEDBACK : Utilisez ce formulaire pour envoyer un message à l’éditeur de cet article. Si vous souhaitez publier un commentaire public, vous pouvez le faire au bas de la page.