- Ditorga Brangama, un pionnier de l’agroforesterie, à Langabou, a réussi à restaurer 300 hectares de terres autrefois stériles et à améliorer les rendements agricoles de nombreux cultivateurs.
- Des agriculteurs de la localité témoignent d’une augmentation significative de leur production, grâce aux arbres fertilisants et aux techniques de conservation des sols.
- Des études démontrent que l’agroforesterie favorise la biodiversité, améliore la fertilité des sols et agit comme un régulateur climatique en augmentant les précipitations locales.
- Des politiques publiques, encouragent activement l’adoption de cette pratique pour une agriculture durable. Des experts appellent à une généralisation de cette approche.
Sur la piste poussiéreuse, qui mène à Langabou, localité située à 260 kilomètres environ au nord de Lomé dans la préfecture de Blitta, le paysage oscille entre champs desséchés et parcelles verdoyantes. Assis sous l’ombre bienveillante d’un manguier, Ditorga Brangama, un agroforestier, la quarantaine, nous accueille avec un sourire franc et un regard habité par la passion de son métier.
« Il y a dix ans, cette terre était morte », dit-il en désignant une parcelle derrière lui. « Plus rien ne poussait, l’eau de pluie ruisselait au lieu de s’infiltrer, et à chaque saison, les récoltes étaient plus maigres. Mais regardez aujourd’hui », signale-t-il, faisant un geste de sa main droite.
Devant nous, s’étend un champ où des plants de maïs et de niébé cohabitent harmonieusement avec des haies d’arbres. Brangama nous explique qu’il a mis en place ce système agroforestier inspiré des méthodes traditionnelles, mais optimisé grâce à ses recherches. Il l’a conçu en sélectionnant des cultures adaptées aux conditions locales et complémentaires dans leur fonctionnement. Le maïs bénéficie de l’ombre créée par les haies d’arbres, ce qui peut améliorer sa croissance en réduisant le stress thermique. De son côté, le niébé, en tant que légumineuse, fixe l’azote atmosphérique dans le sol, enrichissant ainsi la terre pour les cultures actuelles et futures. Cette association de cultures améliore la fertilité du sol, protège contre l’érosion et diversifie la production agricole sur une même parcelle.
« Dans un système agroforestier, les cultures coexiste avec des arbres en toute synergie. Les arbres ne sont pas seulement des éléments décoratifs, mais jouent un rôle clé de soutien aux cultures. Les racines des arbres maintiennent la structure du sol, évitant qu’il ne soit emporté par les pluies ou le vent. Cela est particulièrement important dans les zones où l’érosion est un problème », dit-il.
« Les arbres aident à maintenir l’humidité du sol en réduisant l’évaporation et en servant de barrière contre le soleil direct. Ils créent une ombre bénéfique pour certaines cultures comme le maïs, en particulier », ajoute-t-il.

Restaurer les sols, un travail de patience
Autrefois, raconte Brangama, le sol était dur, fissuré, presque stérile. Chaque pluie, au lieu d’être absorbée, s’écoulait en torrents, emportant avec elle les nutriments précieux et laissant derrière elle une terre appauvrie. Là où jadis les plantes avaient poussé, il n’y avait plus que des terres dénudées, sans vie. Le sol était sec, compact, presque incapable de nourrir quoi que ce soit. Les racines, cherchant en vain l’humidité, se débattaient sans succès dans ce terrain hostile.
Les cultures, elles, étaient maigres et fatiguées. Elles luttaient contre des conditions de plus en plus difficiles, poussant sans réelle vigueur. Les récoltes diminuaient chaque année, car la terre ne pouvait plus fournir l’énergie nécessaire à leur croissance.
« Regardez ici », dit Brangama en montrant un arbre qui semble vieux et imposant. « Il fixe l’azote dans le sol. Cela aide, non seulement cette culture de maïs, mais aussi les légumes et les légumineuses autour. C’est une vraie symbiose entre la nature et l’agriculture », dit-il.

Aujourd’hui, la terre semble vivre à nouveau. L’eau est mieux conservée, les racines des plantes vont plus profondément, le sol est devenu plus riche, plus vivant. Ce changement a été possible grâce à l’introduction des espèces fertilisantes comme le gliricidia (gliricidia sepium) et l’acacia (Acacia dealbata). « L’agroforesterie ne nous a pas seulement permis de nourrir nos familles, elle a redonné à cette terre ce qu’elle nous avait pris ».
Les sols se dégradaient à cause de la perte de la biodiversité. Les cultures intensives peuvent épuiser le sol, car elles ne laissent pas le temps à celui-ci de se régénérer. L’agroforesterie, en réintroduisant des arbres et une diversité de plantes, permet de préserver la biodiversité, ce qui favorise un équilibre écologique du sol et aide à maintenir ses propriétés sur le long terme.
Ces pratiques sont confirmées par une étude sur la cacaoculture en Afrique de l’Ouest, menée par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui démontre que l’agroforesterie permet de restaurer la fertilité des sols tout en limitant l’érosion.

La technique du paillage
Brangama a aussi introduit des techniques de paillage pour limiter l’évaporation de l’eau et protéger les jeunes pousses contre la chaleur excessive. Il se fait juste avant de planter les cultures après le nettoyage du sol.
« Le paillage intervient au niveau de la surface du sol avec une couche de matériaux organiques ou inorganiques. Cette pratique est utilisée pour améliorer la santé du sol, conserver l’humidité, réduire la croissance des mauvaises herbes et protéger les racines des plantes », dit-il.
« Dans le contexte de l’agroforesterie, le paillage est particulièrement bénéfique. Il facilite l’établissement des jeunes arbres en réduisant la concurrence des herbes et en maintenant une humidité adéquate, essentielle pour le développement d’un système racinaire robuste », ajoute-t-il.
Il nous montre une bande de terre recouverte de feuilles mortes et de branches sèches. « Avant, sous cette chaleur, le sol craquelait. Maintenant, il reste frais et nourricier ».
En diversifiant et en intensifiant les productions, les arbres fertilisants contribuent à améliorer les conditions de vie des agriculteurs en assurant la viabilité et la durabilité de leurs cultures.
« En vérité, l’agroforesterie par les arbres fertilitaires est une technique ancestrale africaine redécouverte et réactualisée avant de la vulgariser en milieu paysan. C’est une technique oubliée mais qui était très pratiquée dans le temps », explique au téléphone à Mongabay Pascal Humbert, technicien forestier résidant en France et président de l’Association pour la promotion des arbres fertilitaires.

Une alternative contre l’usage des engrais chimiques
Au Togo, l’utilisation d’engrais chimiques est relativement faible, avec une moyenne d’environ 16 kilogrammes par hectare, bien en deçà de la moyenne mondiale de 98 kg par hectare.
Avant d’adopter les techniques agroforestières promues par Brangama Ditorga, certains agriculteurs augmentaient progressivement leur consommation d’engrais chimiques pour compenser l’appauvrissement des sols, atteignant parfois 20 à 30 kg par hectare, selon les cultures et les pratiques agricoles. Cependant, cette quantité restait limitée en raison du coût élevé des engrais et des difficultés d’accès.
Avec l’introduction d’arbres fertilitaires tels que l’Albizia lebbeck et le Gliricidia sepium, les besoins en engrais chimiques ont progressivement diminué. Trois ans après la mise en place, de nombreux paysans ont pu réduire leur utilisation d’engrais de 50 %, descendant ainsi à 8 ou à 10 kg par hectare, voire moins dans certaines régions. Cette transition leur permet, non seulement d’améliorer la fertilité des sols, mais aussi de réaliser des économies substantielles tout en maintenant de bons rendements agricoles.
Ainsi, cette technique agit positivement sur les finances des paysans en réduisant ou en supprimant les dépenses d’engrais au bout de trois ans.

Former pour mieux préserver l’environnement
Convaincu que la restauration des sols passe aussi par un changement de mentalité, Brangama s’est donné pour mission de former les agriculteurs locaux. « Après mes formations sur ce système et son expérimentation à l’Institut national de formation agricole (INFA) de Tové (Sud-Togo), quand je suis revenu ici avec ces idées, on me regardait comme un fou », dit-il en riant. « Mais j’ai invité les cultivateurs à voir les résultats eux-mêmes ».
Brangama Ditorga a entrepris la valorisation de 300 hectares de terres dégradées à Langabou, en mettant en œuvre une série d’initiatives stratégiques. Il a établi des pépinières pour fournir des plants adaptés aux besoins locaux, renforçant ainsi les capacités des coopératives togolaises. Parallèlement, il a introduit des variétés améliorées d’essences forestières et fruitières pour renforcer les forêts sacrées et communautaires, contribuant ainsi à la restauration des terres et à la préservation de l’environnement. Etant également spécialiste en aménagement des forêts et la sylviculture, il a aidé les coopératives agricoles à mettre en place des fermes intégrant le maraîchage, l’élevage et l’agroforesterie, favorisant une utilisation durable et productive des terres.« Ensemble, nous avons valorisé au moins 300 hectares de terres dégradées », dit-il, avec fierté.
Interrogée sur la démonstration de ces bonnes pratiques agricoles dans le village de Langabou, Dr Chantal Goto, experte en agroforesterie à l’Institut togolais de recherche agronomique (ITRA), explique : « Aujourd’hui, il faut combiner les arbres aux cultures, c’est-à-dire l’agroforesterie pour montrer aux producteurs que les feuilles des arbres contribuent à la fertilité des sols. En combinant les deux, nous obtenons des rendements plus élevés, grâce à l’amélioration de la fertilité des sols. Raison pour laquelle nous encourageons et proposons des formations à l’endroit des agriculteurs ».
Selon Kodjo Noumonvi, coordonnateur de la cellule technique de l’Union régionale des organisations de producteurs de céréales (UROPC-M), c’est un moyen efficace pour lutter contre les changements climatiques. « Il est important d’amener les populations à la base et surtout les producteurs à pouvoir comprendre les dangers climatiques auxquels ils font face. Il sera important de mettre à leur disposition différentes essences d’arbres pour reboiser une certaine superficie, les années à venir », dit-il.

Des agriculteurs de Langabou convaincus
Sous l’ombre d’un acacia, Yawovi Kpétou, un agriculteur de 52 ans, observe avec satisfaction ses champs verdoyants. Il fait partie des nombreux cultivateurs qui ont adopté les techniques agroforestières enseignées par Ditorga Brangama. « Avant, ma récolte de maïs ne dépassait pas deux sacs par hectare. Aujourd’hui, j’en produis le double, et mon sol reste fertile, même après plusieurs saisons, et nous devons ceci aux formations de l’agroforestier », dit-il.
Pour Yawovi et bien d’autres agriculteurs, l’agroforesterie a révolutionné leurs pratiques agricoles. Après avoir suivi la formation dispensée par Brangama Ditorga, il a planté une dizaine d’arbres par hectare sur ses parcelles. Cette association a permis une amélioration notable de la structure du sol, une meilleure rétention de l’humidité et une augmentation de la biodiversité locale. En conséquence, sa production de maïs a doublé, passant de deux à quatre sacs par hectare, tout en maintenant la fertilité du sol sur plusieurs saisons. Fort de ces résultats, Yawovi a diversifié ses cultures et cultive désormais du niébé et des patates douces sans utiliser d’engrais chimiques, ce dont il se réjouit fièrement.
Koudjo Adjovi, une maraîchère de 38 ans, confirme également l’impact positif de ces nouvelles pratiques. « Avant, j’arrosais mes légumes trois fois par jour en saison sèche. Malgré cela, beaucoup ne survivaient pas. Aujourd’hui, grâce au paillage et aux arbres qui maintiennent l’humidité du sol, mes plants résistent mieux à la chaleur, et je fais des économies d’eau », explique-t-elle.
Ces témoignages rejoignent les conclusions d’une étude de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), menée au Malawi et en Zambie, où l’intégration de Faidherbia albida, dans les champs de maïs, a multiplié par deux, voire trois, les rendements.
Une autre étude, publiée en janvier 2020, dans la revue World Development, révèle que, grâce à l’agroforesterie, des agriculteurs ont vu leurs revenus augmenter de près de 50 USD environ par personne et par an.
Judith Oduol, co-auteur de l’étude et économiste agricole, souligne dans un courriel à Mongabay que bien que l’agroforesterie soit promue pour son potentiel de réhabilitation des paysages dégradés, son potentiel d’amélioration du statut des bénéficiaires en termes de revenus des ménages, de sécurité alimentaire et de lutte contre les conséquences du changement climatique est limité en raison de sa faible adoption.

Les experts plaident pour l’adoption généralisée de l’agroforesterie
Les experts appellent à une généralisation de cette approche. Dr Olivier Rouspard, bioclimatologue au Cirad explique : « L’agroforesterie ne se limite pas à la production agricole. Elle agit aussi comme un puits de carbone et un stabilisateur climatique. En piégeant du CO₂, ces systèmes favorisent la restitution de la vapeur d’eau. Ce qui augmente les précipitations locales ».
Face aux défis climatiques croissants, le Togo a mis en place plusieurs politiques pour encourager cette pratique : la Politique Forestière du Togo (2011-2035), qui vise à intégrer l’agroforesterie dans les stratégies agricoles et à renforcer la formation des producteurs ; le Programme National de Reboisement (2017-2030), qui favorise l’introduction d’arbres fertilisants dans les exploitations agricoles.
Kokouvi Akpamou, directeur des études et de la planification au ministère de l’Environnement, indique que la nouvelle politique de reboisement en cours d’élaboration nécessite une forte implication des partenaires techniques et financiers, pour la mobilisation des ressources, afin de mettre en œuvre l’essentiel du contenu. « Je pense qu’il faudrait expressément travailler sur l’amélioration de la gouvernance, sur la mobilisation de l’ensemble des acteurs, sur la mobilisation des terres à reboiser, la mobilisation des ressources pour passer aux activités de reboisement et de valorisation telles que définies dans la politique », dit-il.
« Cette politique vise fondamentalement l’amélioration de la productivité forestière, la conservation de la biodiversité, en vue d’accroître la capacité de séquestration du carbone et la mise en exergue de la contribution de la forêt à l’économie nationale et au bien-être des populations », précise-t-il.
Même son de cloche chez Aniko Polo-Akpisso, coordonnateur national des CDN au Togo, qui indique que l’agroforesterie fait partie intégrante des stratégies d’adaptation aux changements climatiques au Togo. « Les Contributions Déterminées au niveau National (CDN), révisées du Togo, mentionnent que 75,9 % des populations locales ont recours à l’agroforesterie comme mesure adaptative face aux effets des changements climatiques, notamment dans le bassin de l’Oti », dit-il.

Un modèle à répliquer pour un avenir durable
Avant notre départ, nous demandons à Brangama ce qui le motive le plus dans son combat. Il réfléchit un instant, puis répond d’une voix posée : « Ce n’est pas seulement une question d’agriculture, c’est une question de survie. Si nous ne protégeons pas notre terre aujourd’hui, nos enfants n’auront plus rien demain », dit-il. « L’agriculture biologique et l’agroforesterie offrent plusieurs avantages aux producteurs. Tout d’abord, elles permettent de créer un microclimat favorable dans leur zone de culture. Ensuite, elles contribuent à l’amélioration de la fertilité des sols grâce aux essences agroforestières. Ce sont les arbres qui enrichissent naturellement le sol en nutriments essentiels », ajoute Brangama.
« De plus, lorsque le producteur met en place un système agroforestier, il peut pratiquer l’agriculture agro-pastorale. Cela signifie qu’il peut utiliser les branches des arbres pour nourrir son bétail, tout en améliorant la qualité du sol, grâce à la matière organique produite par ces essences », précise-t-il.
L’agroforesterie apparaît ainsi comme une réponse incontournable aux défis agricoles et climatiques du Togo. Entre pratiques ancestrales revisitées, expertise scientifique et soutien institutionnel, elle ouvre la voie vers une agriculture durable et résiliente face aux défis climatiques et environnementaux.
Image de bannière : Formation aux femmes sur la fertilité des sols. Image de Ditorga Brangama avec son aimable autorisation.
Citations :
Kouassi, K. A., Zo-Bi, C. I., Aussenac, R., Kouamé, K. I., Marie R. Dago, N’guessan, E. A., Jagoret, P. & Hérault, B. (2023).The great mistake of plantation programs in cocoa agroforests – Let’s bet on natural regeneration to sustainably provide timber wood,Trees, Forests and People,Volume 12,100386. https://doi.org/10.1016/j.tfp.2023.100386
Hughes, K., Morgan, S., Baylis, K., Oduol, J., Smith-Dumont, E., Tor-Gunnar Vågen, T. & Kegode, H. (2020). Assessing the downstream socioeconomic impacts of agroforestry in Kenya, World Development, Volume 128. 104835. https://doi.org/10.1016/j.worlddev.2019.104835
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