- Après des années de retard dues à un financement insuffisant et à des conflits persistants, la Grande Muraille Verte du Sahel, qui vise à prévenir la désertification, a pris de l’ampleur grâce à un programme accélérateur annoncé en 2021.
- Dans le cadre de cet accélérateur, des efforts sont en cours pour remédier aux retards, améliorer le suivi de l’avancement des différents projets qui font partie de l’initiative de la GMV, les suivre par pays et évaluer leur efficacité. y compris la construction d’une nouvelle base de données en ligne.
- Les partenaires de la GMV espèrent que l’harmonisation du suivi et de l’évaluation des progrès permettra de maintenir le financement et d’atteindre les objectifs de cette initiative ambitieuse au Sahel.
La Grande Muraille Verte (GMV) du Sahel, une mosaïque de forêts, de terres agricoles et de prairies qui parsèment les franges arides du Sahara, a été lancée par l’Union africaine en 2007, pour lutter contre la désertification et la dégradation des sols. S’étendant de Dakar à l’Ouest jusqu’à Djibouti à l’Est, cette « muraille » de 8 000 kilomètres, vise à restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées, à créer 10 millions d’emplois et à séquestrer 250 millions de tonnes de carbone pour lutter contre le changement climatique d’ici à 2030.
Bien que quelques points positifs soient apparus au fil des ans, les retards de financement, les conflits dans la région et une coordination insuffisante ont ralenti la progression de la GMV. Ce retard a nourri les inquiétudes quant à la capacité de l’initiative à atteindre son objectif fixé à 2030. En effet, en 2020, seuls 18 millions d’hectares environ avaient été restaurés, et 350 000 emplois créés.
Dans son rapport de mise en œuvre publié en 2020, le secrétariat de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), a présenté les avancées de la Grande Muraille Verte, tout en pointant plusieurs difficultés persistantes, comme l’absence de suivi et d’évaluation des projets en cours. Il a également souligné qu’il faudrait mobiliser au moins 33 milliards USD, en plus des 14 milliards initialement prévus, pour atteindre les objectifs fixés.
« Le rapport a tenté de faire le point sur la situation de la Grande Muraille Verte à l’époque », explique Gilles Amadou Ouédraogo, responsable de la gestion des programmes à la CNULCD, ajoutant que c’était la première fois qu’ils faisaient le bilan de l’ensemble de l’initiative. « C’est essentiellement ce qui a mené à ce déclic : ces indicateurs n’existent pas [et] il faut les créer ».
La création de ces paramètres et l’élaboration d’un critère commun permettant de mesurer les progrès de tous les projets de la GMV (plantation d’arbres, restauration des terres et création d’emplois et génération de revenus), occupent désormais le devant de la scène avec l’annonce de l’Accelerator de la Grande Muraille Verte en 2021, qui inclut le lancement de l’Observatoire en ligne de la Grande Muraille verte.

À la suite de l’annonce de l’accélérateur, les donateurs ont injecté 19 milliards de dollars supplémentaires pour combler les déficits de financement et relever certains des défis urgents qui ont ralenti l’initiative. La CNULCD a été chargée de suivre l’investissement promis, d’évaluer les nombreux projets couvrant les 11 pays partenaires du Sahel et de remettre la GMV sur les rails.
« L’Accelerator de la Grande Muraille Verte est une réponse technique à ces obstacles », explique Ouédraogo. Grâce au lancement de plusieurs programmes de suivi des progrès, « nous sommes réellement capables de mesurer l’avancement de l’initiative », a-t-il ajouté.
Ange Mboneye, responsable du plaidoyer chez SOS Sahel, une ONG qui travaille dans le Sahel depuis plus de cinq décennies et qui est partenaire de la GMV depuis 2013, affirme que le regain d’enthousiasme pour l’initiative est palpable, avec une visibilité accrue, des efforts de communication plus importants, un intérêt plus grand des donateurs et des engagements financiers qui affluent.
« Nous avons senti que la Grande Muraille Verte suscitait un vif intérêt », explique Mboneye.


Rassembler les acteurs de la GMV
L’une des premières actions entreprises par la CNULCD après l’annonce de l’Accelerator de la GMV, a été de s’attaquer au manque de coordination entre les différents acteurs de l’initiative. En 2022 et 2023, des coalitions nationales ont été mises en place dans chacun des 11 pays participants. Elles ont réuni tous les acteurs concernés : représentants de l’État, bailleurs publics et privés, organisations de la société civile, instituts de recherche et ONG internationales et régionales. Tous se sont retrouvés en face-à-face avec l’agence nationale chargée de piloter les projets de la Grande Muraille Verte.
Ces coalitions, qu’Ouédraogo décrit comme une « pièce maîtresse », ont été créées pour centraliser les informations sur l’avancement de tous les projets menés dans chaque pays et en rendre compte.
« C’était vraiment intéressant parce que nous ne nous connaissions pas vraiment », confie Mboneye à propos de cet effort. « [La CNULCD] a essayé de faire en sorte que nous nous parlions et que nous explorions des pistes de collaboration ».
La CNULCD a également développé un outil commun pour mesurer les résultats de chaque projet, afin qu’ils puissent être suivis au fil du temps, évalués et comparés. Auparavant, explique Ouédraogo, le partage des données de progression était ponctuel et à la discrétion de chaque projet. Les mesurer et assurer un suivi était compliqué, car leurs indicateurs « ne s’alignaient pas nécessairement les uns avec les autres ».
Cependant, grâce au cadre de suivi harmonisé, la contribution de chacun est mesurée et il est désormais possible d’identifier quels projets fonctionnent ou non, et les domaines dans lesquels les ressources pourraient être réaffectées.
Ce suivi exhaustif a également permis de s’assurer que les projets menés par des organisations de la société civile de terrain, telles que SOS Sahel, sont désormais intégrés dans le compte rendu sur les progrès globaux de la GMV — ce que le rapport de mise en œuvre 2020 n’avait pas pris en compte.
« L’absence d’un système de suivi harmonisé dans la Grande Muraille Verte a fait que certains projets n’ont probablement pas été pris en compte », explique Mboneye. « Disposer d’un bon système de suivi et d’évaluation permet une plus grande transparence, ce qui est très important pour les bailleurs de fonds et notamment pour les donateurs publics, qui donnent l’argent des contribuables ».

Garantir les financements grâce au suivi des données
Après leur création, les coalitions nationales ont commencé à rassembler les données relatives à chaque projet. La CNULCD a ensuite créé un référentiel sous la forme d’un tableau de bord, baptisé Observatoire de la Grande Muraille Verte. Lancée en 2024, cette plateforme en ligne permet de suivre la part de financement de chaque donateur, les résultats et les progrès réalisés par plus de 350 projets, et d’analyser la contribution de chacun des 11 pays à la GMV.
Selon Tom Skirrow, directeur général de Tree Aid, une ONG qui travaille à la restauration des terres et à la lutte contre la pauvreté au Sahel dans le cadre de la GMV, les données recueillies par l’observatoire permettent d’expliquer ce qui se passe dans l’ensemble de l’initiative pour toutes les personnes impliquées.
« Nous voulons que chaque pays puisse suivre les progrès et les avantages de la Grande Muraille Verte », explique Ouédraogo, ajoutant que l’observatoire peut contribuer à mobiliser les ressources nécessaires et à susciter l’intérêt du monde entier pour l’initiative. « Mon rêve est de pouvoir un jour associer un montant en dollars à chaque hectare restauré dans la Grande Muraille Verte ».
Certaines données étaient manquantes lorsque Mongabay a consulté le tableau de bord. Mais c’est tout de même un bon point de départ, estime Skirrow : « On n’aura pas toujours des réponses parfaites, mais l’objectif est de centraliser autant de données que possible ».


Malgré des défis persistants, la GMV explore de nouveaux horizons
Alors que la GMV connaît un nouvel élan, le manque de financement reste un défi, en particulier pour les acteurs non étatiques et les organisations de la société civile, explique Mboneye.
« Parfois, des fonds sont disponibles, mais il est trop compliqué pour nous de les obtenir, parce que de grandes institutions comme [la] Banque mondiale ne sont pas disposées à donner de l’argent aux OSC », dit-elle, ajoutant que les grands bailleurs de fonds travaillent directement avec les agences nationales sur les projets de grande envergure. « Nous essayons de collecter des fonds quand nous le pouvons et de monter nos propres projets ».
Tree Aid, pour sa part, a exploré la piste des marchés volontaires du carbone comme moyen de collecter des fonds et de résoudre les problèmes de financement. Lors du sommet COP16 de la CNULCD qui s’est tenu à Riyad en décembre dernier, l’ONG a publié, conjointement avec le Forum économique mondial, un livre blanc sur le potentiel de ces marchés pour aider à combler le déficit de financement nécessaire à la réalisation de la GMV. Seuls 19 milliards USD ont été mobilisés en 2021, alors même que le rapport de mise en œuvre pour 2020 indiquait qu’au moins 33 milliards de dollars supplémentaires étaient nécessaires.
S’appuyant sur l’expérience de Tree Aid dans le cadre d’un projet d’agroforesterie communautaire de 12 000 hectares au Burkina Faso, le livre blanc estime que la GMV a un potentiel inexploité de séquestration de 1,8 milliard de tonnes d’équivalent CO2 au Sahel. Ce qui représente, en se basant sur les prix du marché carbone de 2023, une valeur de 28 milliards de dollars. Il identifie le Nigeria et l’Éthiopie comme les deux pays ayant le plus grand potentiel de séquestration du carbone dans le Sahel.
Skirrow estime que lorsqu’ils sont mis en œuvre correctement, en mettant l’accent sur les droits des communautés, les marchés volontaires du carbone peuvent combler les déficits de financement des projets de la GMV, tandis que l’investissement du secteur privé « permettrait non seulement d’assurer la restauration nécessaire, mais aussi de créer des emplois et de réduire la pauvreté de manière significative ».
Pour Ouédraogo, le flot de projets, les fonds entrants et les initiatives de suivi en cours rendent l’avenir de la GMV prometteur. « Les chiffres de la Grande Muraille Verte seront impressionnants, car il se passe beaucoup de choses en ce moment », déclare-t-il en parlant des plus de 300 projets suivis par l’observatoire et d’autres acteurs sur le terrain. « C’est considérable».
Mboneye se fait l’écho d’un enthousiasme similaire : « Je suis optimiste », dit-elle à propos des bénéfices promis par l’initiative. « Nous parlons de millions de personnes, donc nous devons nous assurer que la Grande Muraille Verte se réalisera : ce ne peut pas être seulement une vision, elle doit se concrétiser sur le terrain ».
Image de bannière : Membres de la coopérative Vohoko Est avec des plants d’arbres dans la pépinière à Tewaka, Burkina Faso, où Tree Aid a lancé un projet d’agroforesterie communautaire de 12 000 hectares. Image © Martha Tadesse/Tree Aid.
Cet article a été publié initialement ici en anglais le 7 mars, 2025.