- Selon les Nations unies, près de 3 millions de Congolais sont confrontés à une grave insécurité alimentaire dans l’Est de la RDC, suite à l’intensification des combats dans cette partie du pays.
- À Goma et à Bukavu, une startup, œuvre de certains scientifiques et entrepreneurs locaux, a lancé une initiative qui recourt à l’agriculture urbaine et périurbaine comme locomotive de résilience en cette période de guerre.
- Plus de 10 tonnes des légumes ont été produits ces dix derniers mois pour renforcer la production et consommation locale, stimulant également la création de nombreux emplois au niveau local.
- De nombreux experts estiment que la RDC possède l’une des terres les plus fertiles du monde et qu’une agriculture à grande échelle suffira pour la faire décoller.
Alors que les combats continuent de faire rage dans la partie orientale de la République démocratique du Congo (RDC), certains scientifiques et entrepreneurs agricoles mettent en place des initiatives pour freiner les risques d’insécurité alimentaire qu’encourent les populations civiles dans la région.
Selon les initiateurs, ces initiatives visent à repenser la manière de nourrir les communautés en cette période de guerre, à permettre la production d’aliments locaux, à renforcer l’autonomie alimentaire et à réduire la dépendance vis-à-vis des circuits d’approvisionnements fragilisés par les conflits.
Pour le professeur Jackson Sebigunda, directeur de la coopération scientifique à l’université de Goma et co-fondateur de Kivu Solution, une startup spécialisée dans la production, la transformation des produits agricoles et l’étude des sols, l’agriculture est un pilier « fondamental » de l’économie congolaise.
« En cette période de guerre, alors qu’il n’y a plus moyen d’amener la nourriture des fins fonds des villages, pourquoi ne pas initier les jeunes hommes et femmes dans l’agriculture urbaine et périurbaine, avec les techniques de permaculture », dit-il à Mongabay.
Celui-ci indique que sa startup a déjà réussi à former, entre 2022 et octobre 2024, près de 5000 personnes à Goma, Bukavu et leurs environs sur les techniques d’agriculture urbaine et péri-urbaine pour contourner tout risque d’insécurité alimentaire dans la région, décimée par les violences armées depuis 30 ans.
Le professeur Sebigunda souligne que c’est en cette période où le conflit armé s’est exacerbé à Goma et Bukavu, que le projet s’est avéré « salvateur ».

Selon l’ONG internationale Action Aid, depuis le 25 janvier 2025, les prix des denrées alimentaires à Goma, ont connu une hausse significative, allant de 18 à 160 % pour des articles essentiels tels que la farine, les haricots et l’huile. Cette augmentation est liée aux conflits qui bloquent l’aide et les approvisionnements.
Des habitants de Goma interrogés par Mongabay révèlent que certains produits vivriers, dont les légumes deviennent rares sur le marché, suite à la poursuite des combats dans certains villages qui approvisionnent le chef-lieu du Nord-Kivu.
Le manque d’argent liquide s’adjoint également à d’autres difficultés qu’ils endurent, déplorent certains d’entre eux.
« J’ai du mal à trouver aujourd’hui les épinards qui proviennent du Sud-Kivu, et pourtant, ils avaient une saveur incomparable. Et la petite quantité sur le marché devient un peu chère », se lamente Uwezo Bora, mère de 6 enfants résidant à Goma, tout en négociant le prix des légumes au marché dit Alanine.
Une difficulté, que compte solutionner l’entreprise Kivu solution, dont le professeur Sebigunda est la tête pensante.
« La population, aujourd’hui, n’a pas les moyens pour se procurer ce dont elle a besoin. Les banques sont fermées, certaines routes ne sont pas encore ouvertes, car il y encore cette phobie de la guerre. Nous pensons que, dans nos communautés, celui qui a un petit champ peut produire des légumes et autres produits maraichers sans recourir au marché », dit-il, soulignant que de nombreux habitants de Goma possèdent des terrains exploitables, mais ne le font pas, en raison de la peur liée à l’incertitude sécuritaire.

Booster la cohésion sociocommunautaire, l’autonomie alimentaire et la création d’emplois
À l’avènement des conflits armés dans l’Est congolais, de nombreux observateurs soulignent que cela s’accompagne de discordes sociales.
Le groupe armé du M23, qui, selon l’ONU, est soutenu par Kigali, dit protéger certaines minorités ethniques dont les Tutsis, qui selon lui, sont persécutés en RDC.
Une motivation balayée du revers de la main par les autorités de Kinshasa, qui évoquent un « faux motif » des rebelles pour piller les ressources naturelles de la RDC.
« Je pense que les jardins communautaires permettent, en ce moment de conflits, qu’il ait cohésion. Beaucoup de conflits tribalo-ethniques s’entretiennent lorsque les gens ne se parlent pas. Lorsqu’il y a des jardins, des activités en commun, celles-ci font que les gens arrêtent avec des préjugés en vue d’une cohésion dans leurs communautés », dit Sebigunda.
Il croit également que l’agriculture urbaine et péri-urbaine contribue à la création d’emplois au niveau local. « J’ai réalisé qu’à Goma, les gens dépensent beaucoup d’argent dans les légumes. Et ces légumes viennent des pays voisins. Il y a lieu de produire plus que ce que nous importons ici », ajoute le professeur Sebigunda.
« Lorsque les gens achètent des légumes qui ont déjà parcouru plusieurs kilomètres, ils participent à l’émission du gaz à effet de serre, car les engins de leur transport émettent ce gaz-là. Lorsque nous consommons localement, nous diminuons l’empreinte du dioxyde de carbone et participons à une production durable respectueuse du climat. Pour produire, nous n’utilisons pas d’engrais chimiques pour ne pas dégrader le sol », dit-t-il à Mongabay.

John Tsongo, ingénieur agronome et analyste en nutrition basé à Goma, en province du Nord-Kivu, dit que la ville et ses encablures offrent une véritable opportunité en agriculture avec son sol « volcanique ».
« Les sols volcaniques sont riches en silice. Le sol volcanique est très propice pour l’agriculture. C’est pourquoi vous voyez qu’à Goma, en dépit des pierres et graviers çà et là, quand vous semez un légume, il s’adapte très facilement et la production est satisfaisante », dit-il, soulignant que l’agriculture urbaine est un levier important sur quoi les populations peuvent s’appuyer pour lutter contre l’insécurité alimentaire.
Selon lui, l’insécurité alimentaire est caractérisée par certains indices dont la malnutrition qui s’accompagne de certaines maladies, suite à l’affaiblissement du système immunitaire.
Il estime donc que l’agriculture urbaine et périurbaine, en ce contexte, est incontournable pour parer tout risque lié à l’insécurité alimentaire. « Si à Goma, la population peut entretenir des jardins pourvoyeurs de légumes, de cultures maraichères et autres, cela a donc un rôle très important dans le combat contre l’insécurité alimentaire enregistrée dans certaines zones », conclut-il.
Le professeur Sebigunga souligne qu’ils exploitent deux hectares dans la concession de l’université de Goma, au Sud-Ouest de la capitale du Nord-Kivu.
Plusieurs cultures, dont les fruits et légumes, ont été récoltées, fin 2024, dont les tomates, les amarantes, les aubergines, les pastèques, les carottes, les choux et les poivrons.
Ces produits ont été mis sur le marché dans ville de Goma, à des prix abordables, selon Sebigunda, qui rêve désormais de rendre la ville de Goma auto-suffisante du point de vue alimentaire. « Nous réduisons la dépendance à l’importation et nous produisons bio. C’est possible de produire les aliments importants dans la nutrition humaine, surtout en ce contexte de guerre, ici chez nous à Goma. Nous tendons la main pour tout soutien financier et logistique pour y arriver », dit-il.
Image de bannière : Des produits maraîchers cultivés sous la supervision du Professeur Jackson Sebigunda au campus de l’université de Goma, au quartier Mugunga. Image de Jackson Sebigunda avec son aimable autorisation.
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