- Mamilani Gnakou, un ancien ingénieur en génie civil, s’est reconverti en agroécologie dans son village natal à Lassa Tcholla, au nord du Togo.
- En 2018, il a créé « Bio Lamessin », un marché spécialisé dans les produits agroécologiques, pour offrir une solution durable à la commercialisation des produits sains.
- L’initiative s’inspire du document stratégique national sur l’agroécologie, adopté en 2019, et qui promeut des pratiques durables comme l’agroforesterie.
- Des experts saluent l’innovation, qui lie durabilité, sécurité alimentaire et préservation de l’environnement.
Nous sommes à Lassa Tcholla, à environ 5 kilomètres de Kara au nord du Togo. Dans cette vallée nichée entre les collines verdoyantes, l’air est saturé de senteurs de terre humide et de feuilles fraîches.
Ce jeudi 16 janvier 2025, sous un soleil radieux, nous rencontrons Mamilani Gnakou. Il nous accueille dans son champ avec un sourire franc. « Ici, tout a commencé avec un hectare de terre dégradée », dit-il en nous guidant à travers des rangées bien entretenues de légumes et de céréales.
Le visiteur, qui met les pieds dans son champ, ne peut qu’être frappé par la vitalité du sol et des plantes. Un contraste avec le paysage désolé des parcelles voisines.
Le sol, autrefois compact et infertile, respire aujourd’hui de vie grâce à des techniques d’agroécologie qu’il a expérimentées avec passion. « Ce champ est ma salle de classe », poursuit-il, tout en s’arrêtant pour montrer des vers de terre qui grouillent sous une couverture végétale.

Gnakou était ingénieur en génie civil avant de se reconvertir en acteur clé de la révolution agroécologique. En 2015, il décide de revenir dans son village natal à Kara après ses études à l’université de Lomé. Ce retour aux sources est marqué par un choc : les terres sont épuisées, les rendements catastrophiques.
« C’était comme si la terre pleurait en silence », dit-il. L’émotion est perceptible dans sa voix. Cette prise de conscience marque le début d’une aventure audacieuse.
Armé de lectures sur l’agroécologie, il transforme un hectare de terres infertiles, prêté par un oncle, en laboratoire vivant. La rotation des cultures, le compost naturel et les associations de plantes deviennent ses outils. Très vite, les résultats dépassent toutes les attentes : des légumes rayonnants, un sol régénéré et des rendements doublés. Lors de notre visite, il montre fièrement une parcelle dédiée aux expérimentations, une preuve tangible de ses succès.
Les agriculteurs locaux, curieux de ces pratiques, se pressent pour le voir et gravitent autour de lui. Mais un nouveau défi émerge : ces produits sains, exempts de pesticides, peinent à trouver leur place sur les marchés conventionnels où ils ne sont pas valorisés.

Du champ au marché bio
En 2018, le jeune Togolais décide de lancer « Bio Lamessin ». Un marché spécialisé dans les produits agroécologiques. Conscient que Lomé, la capitale, représente le principal centre de consommation au Togo, il choisit d’y établir le marché pour toucher un public plus large et sensibiliser les citadins à l’importance d’une alimentation saine et durable.
« Lomé, c’est là où la demande est la plus forte. C’est aussi là où les consommateurs sont prêts à payer pour des produits de qualité », explique-t-il.
Il poursuit. « Depuis nos débuts en 2018, nous avons parcouru un long chemin. Bien que nous ne soyons pas encore là où nous souhaitons être, les progrès sont encourageants. Au départ, nous faisions face à des défis majeurs, notamment en termes de diversité et de régularité des produits. Avec le temps, nous avons formé de nouveaux producteurs. Ce qui nous a permis d’élargir notre offre. Aujourd’hui, “Bio Lamessin” dispose d’un point de vente actif du mardi au samedi. Nous proposons des produits certifiés et diversifiés. Notre ambition constante est de satisfaire les consommateurs ».
Ce marché dispose d’un réseau d’une vingtaine de collaborateurs fermiers dans les cinq régions du Togo. Ensemble, ils produisent des légumes, fruits et céréales tout en respectant les principes de l’agroécologie.
Mais, en dehors des coûts intrants biologiques et la formation, les effets des changements climatiques, notamment les périodes de sécheresse prolongée et des pluies imprévisibles ayant parfois mis en péril les cultures, ont découragé certains des producteurs du réseau. « Il y a eu des moments où nous avons perdu une partie de nos récoltes, mais nous avons appris à diversifier nos cultures et à améliorer la rétention d’eau grâce à l’agroforesterie », explique Gnakou.

Lors de notre passage dans ce marché installé dans une petite halle animée, nous découvrons une cinquantaine de produits certifiés BIO SPG Togo (un label unique délivré par le Togo) : légumes croquants, fruits juteux, céréales nutritives et épices aromatiques. Ce réseau national permet, non seulement de diversifier l’offre, mais aussi de garantir une disponibilité régulière des produits tout au long de l’année.
Murielle Hundjo Akakpo, promotrice d’une ferme spécialisée dans l’élevage des mouches soldat noire, a expliqué comment le réseau l’a aidée à diversifier sa production : « Nous avons commencé par élever des larves de mouche soldat noire comme source de protéines pour l’alimentation animale, et maintenant, nous nous sommes lancés dans l’élevage de volailles locales et la production de fruits exotiques. Nous pensons que l’agroécologie nous permettra d’offrir une diversité de produits à des prix abordables ».
Depuis son lancement, le marché, a connu une croissance notable en termes de fréquentation. Il s’est imposé comme une référence à Lomé pour l’achat de produits frais et biologiques. La clientèle est diversifiée, comprenant des consommateurs soucieux de leur santé, des familles recherchant des aliments sans produits chimiques, ainsi que des personnes sensibilisées aux enjeux environnementaux. Le marché attire également des expatriés et des touristes en quête de produits locaux de qualité. Les efforts déployés pour rendre les produits biologiques accessibles à un large public ont contribué à élargir cette clientèle.
Un modèle inspiré par les politiques nationales
Gnakou s’est également appuyé sur la stratégie nationale pour l’agroécologie et l’agriculture biologique, adoptée en 2019 par le ministère en charge de l’agriculture. « Ce cadre nous a montré comment structurer nos efforts pour répondre aux défis climatiques tout en garantissant des récoltes durables », dit-il. Lors de notre passage dans son champ, il nous montre une zone agroforestière où des arbres fruitiers cohabitent avec des cultures vivrières. Un exemple concret des orientations de cette stratégie.

Pour Yannick Abodah, ingénieur agricole au Service chrétien d’appui à l’animation rurale (SECAAR), Bio Lamessin est la preuve que « des initiatives locales peuvent s’aligner avec des politiques nationales pour transformer durablement l’agriculture ».
« Bio Lamessin est un modèle très innovant de valorisation des produits issus de l’agroécologie. Cette initiative met en lien le producteur et le consommateur, où tout le monde tire son avantage. Le producteur togolais a un marché garanti et vend au meilleur prix, tandis que le consommateur achète des produits sains pour sa bonne santé. Ce système de marché valorise le travail des producteurs dans la préservation des services écosystémiques. C’est à dire qu’en payant les produits écologiques du producteur à un juste prix, il est encouragé à faire mieux pour préserver nos ressources naturelles », affirme-t-il.
Guenou Kossi, ingénieur agronome et agroécologiste, soutient également l’initiative du jeune Togolais. Il affirme que ce marché se présente comme une solution novatrice, permettant de répondre à ce défi pour les producteurs engagés.
« Grâce à cette structure, les produits agroécologiques au Togo trouvent aujourd’hui un marché dédié. Cela favorise, non seulement l’augmentation de la production à la base, mais garantit aussi aux consommateurs un accès à des produits de qualité, sains et disponibles en permanence. Les retours des consommateurs, qui apprécient particulièrement ces produits pour leur fraîcheur et leur saveur naturelle, en témoignent », confie-t-il.
« Bio Lamessin simplifie également la vie des consommateurs. Ceux qui souhaitent acheter des produits agroécologiques savent désormais où se rendre : un marché fiable, où la diversité des produits répond aux besoins de chacun. En mettant en place un tel système de distribution, ce marché joue un rôle clé dans la valorisation des efforts des producteurs tout en encourageant une consommation responsable et durable », dit-il.

Selon Kossi Agbalenyo, biologiste à l’ONG AGIDE, une structure spécialisée dans la gestion intégrée de l’environnement basée à Davié, non loin de Tsévié, au sud du Togo, « Bio Lamessin répond aux problèmes de dégradation des sols, d’insécurité alimentaire et de changement climatique au Togo. Les méthodes d’agriculture traditionnelles, souvent basées sur les engrais chimiques, menacent la biodiversité et la fertilité des sols ».
Pour Sidoine Akpotor, chargé du programme agriculture familiale, à Inades-Formation Togo, une institution qui fait la promotion de l’agroécologie et de l’alimentation saine, équitable et durable en Afrique basée à Lomé, cette initiative s’inscrit dans une démarche globale de promotion du droit à une alimentation saine pour les populations.
« Dans la campagne “Conscience Alimentaire”, nous rappelons que l’alimentation est un droit fondamental. Mais, en même temps, “manger, c’est voter”. Chaque consommateur vote pour ce qu’il met dans son assiette en toute connaissance de cause. Ainsi, pour nous, les marchés bio représentent une alternative concrète », confie-t-il.
« Lorsque nous appelons l’État à respecter les droits des citoyens à une alimentation saine et durable, il est essentiel de proposer des solutions. Ces marchés agroécologiques permettent de rendre disponibles des produits issus de pratiques respectueuses de l’environnement et de la santé. Ils répondent à deux enjeux majeurs : pour les agriculteurs, nous proposons des alternatives comme la production d’intrants organiques pour soutenir une agriculture durable. Et pour les consommateurs, ces marchés rendent accessibles des produits agroécologiques, leur permettant ainsi d’exercer leur choix », a-t-il précisé.

L’agroforesterie : la stratégie de Bio Lamessin
Au cœur de la stratégie de Bio Lamessin, l’agroforesterie joue un rôle clé. Gnakou explique : « Nos producteurs sont confrontés à des effets climatiques extrêmes : irrégularité des pluies, chaleur excessive, pertes de récoltes. Nous encourageons la diversité : combiner cultures et reboisement pour limiter les risques ».
« Nous considérons que protéger l’environnement est indissociable de notre mission. Chaque fermier de notre réseau adopte des pratiques durables : plantation d’arbres et interdiction des produits chimiques. Une ferme, qui ne respecte pas ces principes, ne peut pas faire partie de notre réseau. », dit-il d’un ton ferme.
Cette approche est soutenue par Banlikpo Djakambi, chercheur au Laboratoire d’Écologie végétale (LBEV) de l’université de Lomé. « Aménager et diversifier les agrosystèmes en introduisant des espèces résilientes et fertilitaires est impératif pour allier durabilité et sécurité alimentaire », dit-il.
Il revient très amplement sur cette opinion dans son étude publiée en décembre 2023 Le chercheur y indique que la question de la sauvegarde des ressources ligneuses et la nécessité de satisfaire les besoins en produits vivriers d’une population en pleine croissance ont imposé à l’humanité la pratique de l’agroforesterie.
Pour Anne-Lise Avril, spécialiste en communication à Reforest’Action, l’agroforesterie joue un rôle important dans la croissance des produits vivriers, précisément grâce aux arbres d’ombrage.
« Les arbres d’ombrage et les arbres fertilitaires bénéficient aux cultures de rentes, vivrières et maraichères grâce à plusieurs leviers. Ils procurent un couvert protecteur pour les plantes agricoles. Ce sont de véritables fertilisants naturels. Ces essences permettent de réduire les coûts liés à l’entretien des parcelles en évitant l’usage d’engrais chimiques. Les arbres enracinés au sein de paysages aux pentes vertigineuses contribuent à stabiliser et à contenir l’érosion des sols », explique-t-elle.
Pour sa part, Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB), estime que l’agriculture biologique a des atouts majeurs pour répondre aux enjeux de par ses pratiques agroécologiques, notamment l’agroforesterie.
« Les arbres alignés, les vergers sont au cœur des agrosystèmes et nous devons plus que jamais nous en servir pour une agriculture biologique toujours plus cohérente et productrice de services environnementaux et sociaux, pour aujourd’hui et surtout pour demain », dit-elle.

Former pour pérenniser l’agroécologie
Au-delà de la production et de la commercialisation, Gnakou met un point d’honneur à partager son savoir. Depuis 2023, il a organisé 20 formations, initiant plus de 20 agriculteurs aux pratiques agroécologiques. Pendant notre visite, nous assistons à l’une de ces sessions. Gnakou, avec une pédagogie simple mais percutante, montre comment préparer un compost efficace. « La terre est notre héritage, nous devons en prendre soin », martèle-t-il devant un auditoire captivé.
« J’avoue qu’au début, ma production de légumes était très faible, mais depuis que j’ai bénéficié de la formation avec Gnakou, j’ai constaté une nette amélioration. Je n’avais surtout pas connaissance de l’importance à associer des vergers aux cultures de légumes », témoigne Mawuli Kakpo, une des participantes, propriétaire d’une ferme agroécologique.
Dr Million Belay, coordinateur de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA), interrogé, reste tout ému par l’innovation du jeune Togolais. Il existe d’innombrables opportunités pour les jeunes, que ce soit dans l’emballage, le marketing, la vente ou l’innovation de produits respectueux de l’environnement. Cette forme d’entrepreneuriat permet aux jeunes africains d’être à la pointe de l’agriculture durable, de développer des pratiques résistantes au climat et de créer des produits à valeur ajoutée, tels que des aliments biologiques et des biofertilisants. En adoptant l’agroécologie, les jeunes peuvent exploiter les marchés en expansion pour les produits durables, réduire la dépendance aux intrants externes et renforcer les économies locales », affirme-t-il.
Aujourd’hui, Bio Lamessin est bien plus qu’un marché. C’est un écosystème où producteurs, transformateurs et consommateurs convergent autour d’une vision commune : promouvoir une agriculture qui respecte la terre et soutient les communautés. Grâce à l’engagement de Gnakou et à son réseau national de fermiers, l’agroécologie au Togo ne se contente plus de prendre racine ; elle fleurit.
Image de bannière : Mamilani Gnakou à l’extreme droite présentant un panier de légumes au marché Bio Lamessin. Image de Hector Sann’do Nammangue pour Mongabay.
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