- Plusieurs organisations s’indignent des dégâts subis par des paysans malgaches, à cause de la construction de l’autoroute reliant Antananarivo et la ville portuaire de Toamasina.
- Elles appellent le président de la République, Andry Rajoelina, à suspendre immédiatement et temporairement les travaux, pour une concertation inclusive et pour répondre au cri de détresse des populations affectées.
- L’exécution des travaux est vivement décriée pour avoir causé des désagréments aux populations, dont les attentes légitimes ont été méprisées, selon lesdites organisations.
- La phase II du projet se profile déjà à l’horizon, alors que le chantier de la phase initiale crée moult débats au sein de l’opinion.
ANTANANARIVO, Madagascar — Le charivari au sujet de la construction de la toute première autoroute à Madagascar, reliant Antananarivo et la ville portuaire de Toamasina, est loin de se taire. Entre discorde et concorde, la construction de la future infrastructure, dont le chantier sur le premier tronçon Antananarivo-Anjozorobe (80 kilomètres) a démarré en avril 2024, alimente toujours des polémiques.
Des organisations militant en faveur de la durabilité écologique et des droits humains reviennent à la charge après une relative accalmie, à la suite d’une grande rencontre dans la capitale, le 22 novembre dernier. Dans un communiqué rendu public le 5 mars, elles se sont adressées au président Andry Rajoelina pour lui demander la « suspension immédiate et temporaire des travaux de construction de l’autoroute pour une concertation inclusive et pour répondre à la détresse des populations impactées ».
« Nous, les organisations et les représentants des populations victimes, signataires du présent communiqué, exprimons par la présente notre profonde préoccupation face au cri d’alarme et de détresse des populations rurales ignorées, et gravement affectées par le projet de construction de l’autoroute reliant Antananarivo et Toamasina », lit-on dans le communiqué. Exactement, 109 organisations ont signé le document largement diffusé.
Celles-ci disent que « depuis plusieurs semaines, des milliers de familles des communes concernées par les 80 km du premier tracé du projet d’autoroute vivent une situation dramatique, étant victimes d’expropriations forcées et abusives et de destruction soudaine de leurs terres agricoles, principal pilier de leur survie ».
Rapportant les doléances des populations affectées par le projet, les organisations déplorent la violation des droits fondamentaux des victimes. « Cela se fait de manière chaotique, sans aucune indemnisation juste et préalable, en dépit des dispositions de l’article 34 de la Constitution [de la République de Madagascar] et sans mesures de compensation », indique au passage le communiqué.

La gestion du chantier par la firme égyptienne Samcrete Holding, l’adjudicataire du marché, est vivement décriée. L’exécution de la tâche est pointée du doigt pour avoir causé aux populations des désagréments comme l’ensablement des rizières et, au sujet de leurs attentes légitimes, les signataires du communiqué ont attiré l’attention des bailleurs, dont le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), sur la gravité des faits dénoncés évoqués plus haut.
Les fortes intempéries en janvier-février ont engendré des situations catastrophiques sur le terrain. Celles-ci sont plus accentuées le long du tracé de l’autoroute en construction à cause des crues imputables à la modification du comportement des cours d’eau liée au remblayage qui ont charrié des torrents de boues rouges dans les rizières et les plaines.
De plus, aucun tracé officiel et définitif n’a été officialisé, selon les dénonciateurs du projet autoroutier. « Nous ne remettons pas en cause la nécessité du développement des infrastructures. Toutefois, nous refusons qu’il se fasse au détriment des populations rurales et des principes de justice sociale », ont-ils dit.
« Le projet ne doit pas être synonyme d’expropriations brutales, ni d’insécurité alimentaire, de destruction des moyens de subsistance des citoyens ou encore de dégradation irréversible des écosystèmes naturels », ont-ils ajouté.
Le tracé du premier tronçon passe à proximité d’une zone comprenant une colline royale inscrite en 2001 sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO et d’un corridor forestier ou une forêt relictuelle.
Les organisations ont ainsi demandé au sommet de l’Etat de faire respecter les engagements en matière de protection de l’environnement et de sécurité alimentaire, en mettant en place des solutions alternatives pour préserver les terres fertiles et les moyens de subsistance des communautés rurales.

Le gouvernement déterminé à poursuivre le projet
La réponse à l’appel des organisations signataires du communiqué du 5 mars a été immédiate. Le même jour, Volamiranty Donna Mara, ministre de la Communication et de la Culture, a sorti un communiqué soulignant la détermination du gouvernement à poursuivre ses efforts pour une croissance inclusive qui bénéficie équitablement à toutes les parties de la population.
La porte-parole du gouvernement a indiqué que celui-ci poursuivrait la réalisation de l’autoroute incriminé. « Ce projet stratégique est essentiel, non seulement pour le développement économique, mais aussi pour assurer une connectivité durable du pays », a-t-elle dit.
De ce fait, les autorités perçoivent, derrière le langage des organisations de la société civile (OSC), la manœuvre des opposants qui, aux yeux des responsables gouvernementaux, ne cherchent qu’à saper le processus de développement. Les réactions à répétition de ces entités « apolitiques » a priori sont même considérées comme un acharnement.
Un plan de réhabilitation est déjà mis en œuvre pour les rizières endommagées, rassure la missive officielle en précisant que la société Samcrete prépare une étude, pour proposer des compensations en nature aux personnes affectées par l’ensablement des rizières, suivant une approche respectueuse des communautés et de leur environnement.
Par la même occasion, la ministre a exprimé son regret à l’endroit des organisations qui ont choisi de critiquer le projet tout en minimisant, selon ses dires, ses impacts positifs. « (…) Ce projet, a-t-elle dit, améliorera significativement la qualité de vie, notamment en réduisant le temps de trajet, en désenclavant des zones isolées et en contribuant à la diminution des émissions de gaz à effet de serre (sic) ». D’autres bénéfices durant et après la construction ont aussi été évoqués.
Le ministre des Travaux publics, Richard Rafidison, est également monté au créneau. S’adressant à l’ensemble de la population, par média interposés, il a indiqué que le projet autoroutier est encore au stade de terrassement et de remblayage.
Il a parlé de l’ensablement accidentel de certaines rizières touchant près de 500 ménages. « Le ministère et l’adjudicataire du marché sont en dialogue constant avec les paysans, et un système de compensation est déjà déployé à leur profit pour la remise en état de leurs propriétés », a-t-il dit.
Le ministre a rappelé que la réalisation d’une étude d’impact environnemental et social, qui donne lieu à l’obtention du permis environnemental, est toujours un préalable à l’exécution de tout projet d’envergure. « Toutes les normes requises ont été respectées », a-t-il indiqué.
Il a alors réitéré que le projet autoroutier relève d’une audace politique du chef de l’Etat. « Nous avons besoin de nous donner la main. Mais il est regrettable de voir des compatriotes qui ont adressé des lettres au FMI et aux eurodéputés pour dénoncer le projet », a-t-il dit, en annonçant sa disponibilité au dialogue avec les paysans et la société civile.
Un tapage médiatique, au détriment du projet autoroutier à Madagascar, lors du sommet mondial sur le climat à Bakou, en Azerbaïdjan, a poussé trente-cinq membres du Parlement européen a adressé, le 19 décembre, une lettre à la direction générale du FMI.
Les eurodéputés ont demandé à l’institution de Breton Woods de revoir certaines conditionnalités imposées à l’île en rapport avec la résilience climatique sur son territoire, en rappelant que les pays membres de l’Union européenne, détiennent environ 31 % des quotas du Fonds.

En tout, l’autoroute controversée mesurera 260 km pour moins de 4 millions de dollars le kilomètre. Le chantier comprend une tranche ferme de 80 km (Antananarivo-Anjozorobe), financé sur fonds propre de l’Etat, et deux tranches conditionnelles pour le reste. L’achèvement de la première tranche, qui fait jaser les défenseurs de la nature, est prévu en décembre.
De là, dépendra la phase II du projet pour laquelle la BADEA s’apprête à allouer près de 325 millions de dollars. La société civile et d’autres parties prenantes seront conviées à une grande concertation vers novembre prochain, afin de déterminer le tracé des deux tranches conditionnelles. Des consultations préalables ont même déjà eu lieu en ligne, en janvier et février dernier.
« Vous, les hauts fonctionnaires de l’Etat, ne pouvez que vous exécuter parfois en face des impositions venant d’en-haut. Il vous échoit de fournir avec nous des arguments crédibles aux instances supérieures. Les politiciens estiment souvent avoir le dernier mot. Voilà pourquoi vous êtes contraints de suivre leurs idées », a dit Ndrantomahefa Razakamanarina en face aux équipes ministérielles présentes à la réunion du 22 novembre 2024 à Antananarivo.
Expert en plaidoyer, l’interlocuteur est le patron de l’Alliance Voahary Gasy, une plateforme des OSC œuvrant pour l’instauration de la bonne gouvernance environnementale à Madagascar. L’entité figure parmi les plus influentes signataires régulières des communiqués consacrés à l’autoroute.
En France, le tribunal administratif de Toulouse a récemment pris une décision historique au sujet d’une affaire d’autoroute. À Madagascar, un colloque international, focalisé sur la justice administrative et l’environnement, tenu à Antananarivo du 18 au 20 octobre 2021, a été un moment pour les juges administratifs malgaches et les autres intervenants à cette rencontre d’échanger sur la procédure à suivre en cas de projets d’envergure mettant en péril la santé publique, l’environnement, les écosystèmes, etc.
Image de bannière : Le tracé de la première tranche de l’autoroute. Image de Corinne Rahoeliarisoa avec son aimable autorisation.
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