- Une étude révèle que les activités humaines nuisent, non seulement à la survie directe des singes de Preuss à cause du braconnage, mais compromettent également leur habitat naturel, augmentant ainsi le risque d'extinction pour cette espèce déjà vulnérable.
- Les communautés vivant autour de l’habitat de ce singe affirment qu’elles ont toujours protégé ces animaux, raison pour laquelle ils existent toujours dans la région.
- L’étude affirme que, malgré les efforts de conservation, le gouvernement camerounais a accordé des concessions forestières, qui menacent la protection de l’habitat du singe.
- Le gouvernement explique que la concession forestière n’est pas incompatible avec la conservation de la biodiversité, car les Unités Forestières d’Aménagement sont également des aires protégées.
La forêt d’Ebo dans le littoral du Cameroun, qui abrite environ 13 % de l’aire de répartition restante du singe de Preuss (Allochrocebus preussi), est menacée par l’expansion agricole, le braconnage, l’exploitation forestière et la chasse, rendant urgente la nécessité des mesures de conservation.C’est le résultat d’une étude, publiée en septembre 2024.
Selon l’étude, cette forêt, sanctuaire pour la biodiversité, abritant de nombreuses espèces végétales et animales menacées, héberge 11 espèces de primates diurnes, notamment le chimpanzé Nigeria-Cameroun en voie de disparition (Pan troglodytes ellioti) », une sous-espèce non qualifiée du gorille occidental (Gorilla), ainsi que l’une des deux seules populations restantes de colobes rouges de Preuss (Piliocolobus preussi). Ebo, l’un des écosystèmes les plus précieux du golfe de Guinée, abrite aussi le singe de Preuss (Allochrocebus preussi), une espèce de primate endémique du Cameroun et du Nigéria, classée en danger sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
D’après les chercheurs camerounais qui ont mené cette étude, les principales menaces pour ce singe proviennent de la destruction de son habitat, de la chasse et de la fragmentation de la forêt due à l’exploitation forestière et à l’agriculture.
Menaces anthropiques sur la biodiversité de la forêt d’Ebo
L’étude a estimé la population de singes de Preuss dans cette forêt à environ 481 individus, mettant en évidence le besoin d’une gestion efficace pour protéger cette espèce et son habitat.
Les résultats montrent une corrélation négative entre la présence des singes de Preuss et les activités anthropiques, indiquant que, plus ces activités sont présentes, moins il y a de chances d’observer ces primates. Les singes ont été majoritairement observés dans les zones à faible présence humaine.
L’étude a par exemple documenté un total de « 1 079 signes d’activités humaines avec une prévalence marquée de la chasse et de l’exploitation forestière ». Les signes de chasse étaient particulièrement fréquents, dont une majorité de pièges actifs.
Éric Bertrand Fokam, Professeur de biologie animale et co-auteur de l’étude, explique par courriel à Mongabay que « l’augmentation de la population humaine conduit inexorablement à une intensification des pressions de destruction d’habitat par l’abattage de la forêt et du braconnage, surtout que des études antérieures, ont établi que les primates étaient évalués à de 30 % du nombre de gibiers abattus dans cette zone et que, de ceux-ci, environ 20 % des prises étaient des cercopithèques de Preuss. Par ailleurs, l’absence d’un plan de gestion de la zone d’Ebo conduit à un déficit d’efforts de conservation des espèces résidentes ».
Fokam, est le Chef du département de Biologie animale et conservation à l’université de Buéa (Cameroun). Il insiste sur l’engagement communautaire, essentiel, selon lui, pour la préservation de cette espèce menacée. « Les populations locales de la région de la forêt d’Ebo dépendent de la viande de brousse pour leur alimentation et comme source de revenus. Le cercopithèque de Preuss est ciblé pour la viande en raison de sa grande taille (9 à 15 kg) qui fournirait plus de viande que les autres espèces de “singes”. De plus, ses habitudes semi-terrestres le rendent plus vulnérable à diverses pratiques de chasse que d’autres singes », dit-il.
Pour lui, l’engagement des communautés pour la préservation de cette espèce inclut la reconnaissance de son déclin, l’identification des causes du déclin, telles que la déforestation et le braconnage, et la co-création de solutions pour limiter ces menaces. « Il est aussi essentiel de proposer des activités génératrices de revenus qui ne dépendent pas de la chasse, comme l’écotourisme et les pratiques agricoles durables, et de sensibiliser les communautés aux méthodes efficaces pour coexister pacifiquement avec les singes (et la biodiversité au sens large), notamment aux techniques de protection des cultures sûres et aux moyens de dissuasion non létaux des potentiels ravageurs », précise-t-il.
Victor Yetina est le chef du clan Ndikbassogog 1 et représentant de l’Association Munen Retour aux Sources, un groupe de défense des intérêts des membres de la communauté Banen, l’une des communautés vivant autour de la forêt d’Ebo.
Il explique : « Si aujourd’hui, on parle de biodiversité dans la forêt d’Ebo, c’est parce que les communautés qui y ont vécu l’ont conservée. Si nous avions fait tout ce dont on nous accuse, ces singes et autres animaux n’existeraient plus dans cette forêt. D’ailleurs, dans nos traditions, nous avons des interdits alimentaires, ce qui fait que nous ne mangeons pas un certain type d’animaux, et c’est pourquoi ces animaux ont prospéré ».
« Vous ne verrez pas les populations de notre communauté tuer un gorille ou un singe. Les populations chassent les sangliers, les biches, les lièvres et les porcs-épics. Par contre, l’État a donné des concessions forestières aux gens. Nous avons constaté que des gens viennent d’ailleurs, s’installent dans ces concessions et braconnent. Sans l’aide de qui que ce soit, nous avons quand même entrepris de les sensibiliser sur le type d’animaux à ne pas tuer », ajoute Yetina.
L’étude met également en lumière l’impact direct des activités humaines sur la forêt d’Ebo, notamment l’exploitation forestière et la chasse, qui constituent des menaces majeures pour la biodiversité de la région.
Elle révèle particulièrement que deux nouvelles concessions forestières ont été accordées par l’État camerounais en 2020 pour l’exploitation commerciale du bois, notamment dans des zones importantes pour le singe de Preuss.
Bien que ces concessions aient suscité des protestations et aient été suspendues temporairement, « des décrets ministériels publiés en 2023 ont permis de rouvrir certaines zones de la forêt à l’exploitation industrielle », souligne l’étude. Des décisions, précise l’étude, qui ont été largement critiquées par les communautés locales, des ONG internationales et des acteurs de la conservation.
Urgence de mesures de conservation pour le singe de Preuss
Selon les chercheurs, l’ouverture de ces zones à l’exploitation forestière présente plusieurs risques pour l’écosystème fragile de la forêt d’Ebo. D’une part, elle entraîne une déforestation qui réduit l’habitat naturel du singe de Preuss et d’autres espèces rares. D’autre part, ces activités facilitent l’accès des braconniers aux zones reculées de la forêt, augmentant ainsi la pression sur la faune locale. La fragmentation des forêts par l’exploitation du bois et la création de nouvelles routes permettent aux braconniers d’atteindre plus facilement des zones qui étaient autrefois inaccessibles. Cette situation aggrave la pression sur les populations de singes de Preuss.
« Le gouvernement a certes opté pour la création de deux Unités Forestières d’Aménagement – UFA 07 005 et 07 006 dans cette zone, en dépit d’un projet de création du Parc national d’Ebo, dont le processus initié en 2006 n’est pas arrivé à terme. Cette option n’est pas incompatible avec la conservation de la biodiversité, comme cela peut paraitre au premier abord », explique, à Mongabay, le Sous-directeur de la Conservation de la faune au ministère des Forêts et de la Faune du Cameroun, Geneviève Fomo.
« Les UFA sont également des aires protégées, bien que l’objectif premier soit la production de la matière ligneuse. Ces deux forêts de production classées suivant un processus participatif au même titre que les aires protégées de conservation de la faune, ont spécifiquement l’obligation, suivant leur décret de classement, de sanctuariser les zones de hautes valeurs de conservation de la faune et les hot spots de biodiversité, outre le suivi et la préservation de la faune prescrits pour toutes les forêts de production en général, lesquelles sont assujetties au Plan d’Aménagement », a-t-elle ajouté.
L’étude plaide pour une réévaluation des concessions forestières et propose une gestion plus rigoureuse de la forêt d’Ebo, afin de concilier les intérêts économiques et la préservation de cet habitat exceptionnel.
Les auteurs recommandent le développement de stratégies de gestion durable des ressources naturelles, prenant en compte à la fois les besoins des communautés locales et les impératifs de conservation.
Ils pensent qu’une meilleure protection de la forêt, notamment par la création de zones protégées sans exploitation industrielle et le renforcement de la gestion communautaire, pourrait offrir des solutions viables pour préserver à long terme l’intégrité écologique de la forêt d’Ebo et assurer la survie du singe de Preuss et d’autres espèces menacées.
Fomo affirme que « la lutte contre les activités d’exploitation illégale des forêts et le braconnage est une mission effectuée de manière permanente par le ministère des Forêts et de la faune en dépit de l’insuffisance des moyens logistiques et humains, par le déploiement sur l’ensemble du territoire camerounais de la Brigade nationale des opérations de contrôle forestier et de lutte anti-braconnage et les brigades régionales, dont le rayon d’action couvre la région concernée. Ces actions de surveillance et de contrôle devront être renforcées pour contenir les menaces qui pèsent sur les ressources naturelles vivantes ».
La loi camerounaise sur la faune classant les animaux sauvages en trois catégories (classes A, B et C). Le singe de Preuss est classé dans la classe A, celle des espèces intégralement protégées. Les animaux de la classe A doivent être entièrement protégés et, en aucun cas, ils ne peuvent être abattus. Leur capture ne serait autorisée qu’après l’obtention d’une autorisation des autorités en charge de la protection de la faune.
«Malheureusement, la faiblesse des institutions chargées d’appliquer la loi, notamment du fait du manque de ressources humaines, financières et matérielles, fait que la loi est facilement contournée . En l’absence d’actions formelles impliquant les pouvoirs publics pour protéger le singe de Preuss dans la forêt d’Ebo, l’espèce risque de disparaître dans la zone, qui reste l’un de ses bastions les plus importants », déplore Fokam.
« Le Cameroun entend mobiliser les moyens pour la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre le braconnage et la criminalité faunique, adoptée en 2020 pour dix ans. La mise en place des forêts de production dans cet espace, qui va désormais exiger l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’aménagement, est aussi une autre modalité de préservation de l’habitat du singe Preuss, qui vient s’ajouter aux mesures susmentionnées applicables dans le domaine national », conclut Fomo.
Image de bannière : La déforestation dans la forêt d’Ebo au Cameroun. Image de Greenpeace Afrique.
Citation :
Nkengbeza, S.N., Mesame, N.L., Ngansop, E.T., et al. (2024). Effects of Human Disturbance on the Endangered Preuss’s Monkey (Allochrocebus preussi) in the Ebo Forest, Cameroon: Implications for Conservation. Tropical Conservation Science, 17(1). doi:10.1177/19400829241283712.
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