- Une nouvelle loi régissant la pêche et l’aquaculture au Cameroun, promulguée par le président Paul Biya, innove en prenant en compte l'aquaculture.
- La loi met l’accent sur la gestion durable des activités de pêche et prévoit, par exemple, un emprisonnement et une amende allant jusqu’à un million francs CFA (1553 USD) pour tout pêcheur artisanal s’adonnant à la pêche pendant les périodes de repos biologique ou dans les zones interdites par le ministre en charge des pêches.
- Les experts disent que, l’aquaculture se fait actuellement au Cameroun en eau douce. Or, la pêche se fait le plus souvent en mer. Il faut donc mettre des programmes sur pied pour développer l’aquaculture marine, afin que les pêcheurs continuent d’avoir des revenus pendant la période de repos biologique.
- Les avis des pêcheurs camerounais ne s’accordent pas. Certains pensent que l’aquaculture peut être une alternative pour leurs communautés, d’autres estiment qu’il faut plutôt mieux encadrer la pêche, afin que ceux qui ont de gros moyens ne continuent plus d’étouffer le pêcheur artisanal.
La préservation et la conservation de la pureté et de la qualité génétique des espèces aquacoles, la prise des mesures d’aménagement pour faciliter l’installation des acteurs dans le respect des règles de protection de l’environnement, le contrôle des activités de production et les mouvements des espèces aquacoles, en conformité avec les normes de la biodiversité, de la biosécurité et de la santé animale, végétale et alimentaire, sont quelques nouveautés introduites dans une nouvelle loi régissant la pêche et l’aquaculture au Cameroun.
Promulguée, le 23 décembre 2024, par le président de la République, Paul Biya, ce texte remplace la précédente loi du 20 janvier 1994, portant sur les forêts, la faune et la pêche, plus généraliste et vieille de 30 ans.
La loi prévoit que l’aquaculture, désignée comme la culture d’organismes aquatiques comprenant les poissons, les mollusques, les crustacés et les plantes aquatiques, est exercée suivant quatre types : l’aquaculture de subsistance, commerciale, scientifique et pédagogique. On peut aussi avoir comme activité connexe la production d’aliments à usage aquacole.
Le texte met l’accent sur la gestion durable des activités de pêche. L’article 26, par exemple, interdit la capture des espèces halieutiques protégées et des espèces aquatiques intégralement protégées. Dans le même temps, l’aquaculture est introduite comme une alternative et un complément à la pêche.
Un récent podcast publié par Mongabay indique que, de manière globale, l’aquaculture est souvent promue comme une solution aux déclins des populations de poissons sauvages.
Cependant, bien que la production aquacole ait largement dépassé la pêche sauvage en termes de tonnes de poissons, elle entraîne de nombreux impacts environnementaux négatifs, nuisant tant aux humains qu’aux océans.

Carl Safina, écologiste et auteur, souligne dans ce podcast que la recherche incessante des intérêts industriels, comme dans le cas de l’aquaculture, entraîne souvent des abus environnementaux et sociaux.
Il met également en avant le fait que ces abus sont exacerbés lorsque les régulations sont insuffisantes et que l’industrialisation est priorisée.
Face à ces abus souvent liés à un manque de régulation, des mesures réglementaires, comme celles prévues par la nouvelle loi camerounaise, deviennent essentielles pour encadrer l’aquaculture et limiter ses impacts négatifs.
Ce texte prévoit en effet des sanctions administratives pour ceux qui enfreignent ses dispositions, allant du retrait de l’agrément au refus d’entrer au port, à la radiation des navires de pêche ou encore à la fermeture de l’exploitation aquacole, ainsi que des sanctions pénales, incluant l’emprisonnement et des amendes.
L’aquaculture pendant la période de repos biologique
Robillard Kouekam, ingénieur halieutique et chargé du suivi écologique au sein de l’ONG camerounaise « Association pour la Conservation de la Biodiversité », pense que c’est bien d’encadrer la pêche au Cameroun, d’autant qu’elle a certaines conséquences néfastes.
« À certains endroits, la pêche entraîne la diminution de la biodiversité au Cameroun. La capture excessive de poissons non ciblés et juvéniles réduit la diversité des espèces marines. Cela peut, à la longue, entraîner une diminution de la résilience des écosystèmes marins face aux changements environnementaux. De plus, la pêche non réglementée et non déclarée (INN) empêche la collecte des statistiques réelles de la pêche, ce qui plombe l’inventaire et l’évaluation des stocks », dit au téléphone Kouekam à Mongabay.
En son article 28, la nouvelle loi camerounaise prévoit des mesures de conservation des ressources halieutiques et des écosystèmes aquatiques, notamment, entre autres, « la protection des végétaux et des animaux marins dans la zone verticale et les mangroves, la protection des frayères, des nurseries, des zones de refuge des espèces biologiques et des écosystèmes aquatiques, la prévention et la lutte contre la pêche des poissons immatures ou juvéniles avant l’âge de la première reproduction ».

La loi interdit aussi l’exercice de la pêche dans les estuaires et les nurseries. Un emprisonnement de 3 mois à 6 mois et une amende de 100 000 à un million francs CFA (soit 156 à 1553 USD) sont prévus pour tout pêcheur artisanal qui pratique la pêche pendant les périodes de repos biologique ou dans les zones interdites par le ministre en charge des pêches.
Pour ceux qui pratiquent la pêche industrielle ou semi-industrielle, cette peine est d’un à 2 ans ou une amende de 100 millions à 200 millions (155 364 à 310 724 USD). Le repos biologique est l’arrêt de la pêche pendant la période de reproduction des poissons.
Kouekam adhère aux sanctions et pense que l’aquaculture est, dans ce cas, une solution de résilience pour les communautés de pêcheurs. « L’aquaculture est une solution pour la gestion durable de la pêche. Avec l’aquaculture, on va se retrouver en train de produire du poisson au moment où on a laissé le repos biologique dans le milieu naturel. Cependant, actuellement au Cameroun, l’aquaculture se fait en eau douce ; or la pêche se fait le plus souvent en mer. Donc, il faut penser à mettre sur pied des programmes pour développer la recherche sur les espèces marines qu’on peut implémenter en aquaculture », dit Kouekam.
Il ajoute : « On va ensuite faire cette aquaculture sur la côte, en installant les cages flottantes, comme au Maroc par exemple et dans d’autres pays. On installe les cages flottantes, ce qui va permettre d’élever les poissons comme réserve. Au moment de la période de repos biologique, on peut pêcher ces poissons qu’on a gardés en cage, les vendre, et ainsi les pêcheurs continueront d’avoir des revenus, même pendant la période de repos biologique ».

Eli Priso est secrétaire général de l’Association des pêcheurs du Wouri, un fleuve situé dans le littoral du Cameroun. Sceptique par rapport à l’aquaculture, il confie à Mongabay : « Le poisson qu’on élève au Cameroun est différent de celui qu’on pêche. Donc, pour moi, il n’y a pas d’équivalence entre la pêche et l’aquaculture, l’un ne peut pas remplacer l’autre ».
« Le poisson d’eau douce qu’on élève au Cameroun coûte cher et on le mange lors des occasions spéciales. Il ne peut pas remplacer le poisson d’eau salée que les gens consomment au quotidien. Pour moi, la solution est de bien encadrer la pêche, afin que les industriels qui ont de gros moyens ne continuent plus d’étouffer le pêcheur artisanal », ajoute-t-il.
Daniel Moukoko est le vice-président de l’Association des pécheurs dynamiques du Lac Ossa, une réserve de faune située dans la ville de Dizangué, et bénéficiant du statut d’aire protégée, à cause de la présence de plusieurs espèces protégées telles que le lamantin (Trichechus) et la tortue à carapace molle (Trionychidae).
« Nous sommes des communautés riveraines d’une aire protégée, donc nous sommes habitués aux restrictions en matière de pêche. Pour nous, l’aquaculture peut être une bonne alternative pour continuer de vivre de la pêche en toute période. Mais, il faut un accompagnement technique et financier de l’État et d’autres institutions compétentes pour nous aider à maitriser cette technologie », dit Moukoko.
Image de bannière : Mereng Alima Bessela, est une entrepreneuse prospère de Ntui, dans la région centrale du Cameroun. Elle cultive du cacao, une culture traditionnellement pratiquée par les hommes, possède son propre restaurant et une ferme piscicole. Image de ONU Femmes/Ryan Brown via Flickr (CC BY-NC-ND 2.0).
Des tortues marines du Cameroun sauvées par des initiatives de conservation
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